Prologue

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Petite, je m'asseyais souvent dans la chambre de ma mère, face à son grand miroir. Je fixais mon reflet pendant des heures, ma peau laiteuse, si blanche qu'elle laissait transparaître de petites veines violettes sur mes paupières et sur mes tempes. Je détaillais mes yeux, grands, ronds, d'un bleu triste qui tirait sur le gris et me donnait l'air bien trop sage. À l'époque, seuls mes cheveux châtains contrastaient avec cette pâleur morbide. Je les portais courts, coupés net à la base du cou, parce que je détestais les coiffer, et que maman ne voulait plus se battre le matin pour les attacher. J'étais vive, curieuse, voire un peu capricieuse par moments. Une sauvageonne qui mettait la maison sens dessus-dessous à la recherche du moindre objet susceptible de tromper son ennui. Je voulais un petit frère, plus que tout. Papa m'avait promis, un jour, qu'il en discuterait avec le Père Noël. Mais cette année-là, mon seul cadeau avait été d'emménager chez ma tante. Annie m'avait expliqué que papa et maman étaient partis pour un long voyage. Je croyais qu'ils étaient partis chercher le bébé au Pôle Nord. Et puis je me suis dit qu'ils s'étaient perdus avec toute cette neige. Avec l'âge de raison, j'ai fini par comprendre qu'ils ne retrouveraient jamais leur chemin.

J'ai continué de m'assoir devant le miroir de maman. Annie l'avait mis dans ma nouvelle chambre, qu'elle avait décorée tout en bleu parce que c'était ma couleur préférée. J'observais mes traits et les comparais à ceux de mes parents. Je gardais précieusement une photo de nous trois dans mon journal intime. J'avais les cheveux et le teint de mon père, mais j'étais certaine de ressembler plutôt à ma mère, ce qui s'était confirmé par la suite. Les mêmes pommettes saillantes, le même regard, le même sourire, et ses yeux rêveurs. Je m'imaginais une vie pareille à la sienne : faire des études de lettres, rencontrer un bel homme à vingt ans, en tomber folle amoureuse et avoir un enfant. L'appeler Christophe, pour qu'il fasse de grandes choses, comme découvrir un continent. J'imaginais beaucoup. Je me berçais d'illusions, peut-être. Sans doute. Mais avec le temps, j'ai désiré façonner ma propre histoire. Cesser d'attendre de devenir la personne que je devais être pour devenir la personne que je voulais être.

Pour cela, Annie m'aidait beaucoup, dans la mesure du possible. Elle étudiait encore ; c'était une artiste. Elle touchait des allocations pour m'élever, et travaillait trois jours dans la semaine, le jeudi, le vendredi et le samedi. Le dimanche, elle peignait. Elle dessinait avec une frénésie que je ne connaissais à personne d'autre. Quand je m'étais mis en tête d'apprendre la musique, à défaut de pouvoir financer des cours de solfège, elle m'avait présenté à son petit-ami, qui tenait un magasin d'instruments et qui touchait un peu à tout. Il m'avait appris la clé de sol, puis celle de fa, jusqu'à ce que je sache lire les notes d'une partition. J'avais essayé la guitare, mais je m'étais découragée. Le piano, ça faisait moins mal aux doigts. Finalement, c'est dans le chant que je me sentais le mieux. Pour chanter, je n'avais besoin de rien. Je me suffisais à moi-même. La voix, c'est l'instrument du pauvre. Mais pauvre, je ne l'étais pas. Pas dans mon cœur en tout cas, avec toute l'affection que me donnait Annie.

Maman. C'est ton miroir que je pose le premier dans ma nouvelle chambre. J'aurais voulu que tu voies la personne que je suis devenue. J'aurais voulu que tu le rencontres, et que tu saches que malgré toutes les surprises que me fait la vie, les bonnes et les mauvaises, je ne lâche jamais rien. Pour toi.

Surikat ▴ Rock my soulOù les histoires vivent. Découvrez maintenant