Transparence

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Le chant du coq artificiel produit par le réveil était strident et réveilla Akiko en quelques secondes à peine.
"Putain de réveil...", marmonna-t-elle.
Elle méditait dans son lit. La brutalité de son réveil l'empêchait de se rendormir, et elle contemplait son plafond avec ardeur.
Comment allait-elle se lever aujourd'hui ?
Paresseusement ?
Ou au contraire, en bondissant, tel un prédateur qui s'avise ?
Il lui arrivait souvent de réfléchir à de petites choses de ce genre en leur accordant une très grande importance.
Enfin, après une bonne dizaine de minutes d'intense méditation, elle sauta courageusement de son lit. Le contact avec le parquet froid la ramena à la réalité, et elle enfila des chaussons avant de se traîner dans la cuisine. Elle vit un mot sur la table, écrit à la va-vite avec des caractères maladroits.
"Je rentre ce soir vers 21h, je t'ai laissé de quoi t'acheter un bentō"
Akiko soupira, prit le billet de cinq cents yen offert par sa mère et le glissa dans son porte-feuille. Il faisait froid. Elle prépara quelques tranches de pain et les avala nonchalamment et  se dirigea vers le réfrigérateur pour prendre la brique de jus de pommes.
Mais au moment où elle s'apprêtait à ouvrir la porte de ce dernier, un hurlement strident lui déchira la tête. Elle se mit à genoux, les mains plaquées sur les oreilles. Elle n'arrivait pas à ouvrir la porte. C'était comme si une barrière magique lui bloquait l'accès. Un peu inquiète, elle s'éloigna du réfrigérateur et but un verre d'eau.
Ensuite, elle entra dans le salon. Elle avait encore du temps devant elle et elle ne savait comment l'occuper, alors elle décida d'allumer la télévision.
"Aujourd'hui, à 3h46, un séisme a frappé la région de..."
Zap.
"Miaaaam ! Ça a l'air vraiment délicieux..."
Zap.
"Prends-moi dans tes bras, je t'en..."
Bip. Akiko éteint la télé. Elle monta dans sa chambre et attrapa son portable pour voir ce qu'elle avait manqué lors de la nuit. Une pluie de notifications l'inonda, et elle dut couper le son tant elles affluaient.
Ses amies avaient échangé deux mille messages pendant la nuit.
"C'est tout ?", pensa-t-elle.
Aucun appel manqué, des spams, la nouvelle chanson de son groupe préféré...
Elle éteint son téléphone, fit son sac, attrapa ses clés et sortit de chez elle en claquant la porte. Une légère bruine l'accueilit à l'extérieur.
Une envie de danser la prit. Vérifiant bien que personne n'était aux alentours, elle enchaîna les pas chassés et des mouvements plus ou moins originaux. Ce faisant, elle arriva devant la supérette 24/7 et arrêta son ballet. Elle entra en saluant poliment. Elle connaissait l'emplacement des bentō par cœur, et en un éclair elle était déjà en train de choisir lequel semblait le plus alléchant. Pendant qu'elle hésitait, une femme l'interpella.
«Puis-je vous aider ?
Akiko se retourna distraitement.
- Merci beaucoup, mais ne vous en faites pas, je...
Devant ses yeux ébahis se tenait une femme. Enfin pas précisément.
Plutôt une sorte de créature étrange tout droit sortie d'un drama de série B. Il s'agissait d'une jambe. Juste une jambe.
En proie à une panique glaciale, Akiko s'inclina.
- Est-ce le Jugement Dernier ?
La jambe rit à gorge déployée.
- Ah ah ah, qu'est ce qui vous fait dire ça ?
- Rien rien...
La jambe s'approcha dangereusement d'Akiko.
- J'insiste. Qu'est ce qui vous fait dire ça ?
La situation était tellement absurde qu'Akiko décida de jouer le jeu. Pour une fois que quelque-chose venait la tirer de son ennui quotidien.
- Ah, madame ! Votre chevelure si étincelante, elle m'a éblouie avec force. Ses reflets châtains, son petit côté blond... Que tout cela est spirituellement supérieur !
La jambe rougit et s'éloigna un peu.
- Oh, vous me flattez !
Un silence s'installa.
- Vous m'excuserez, mais je dois aller m'occuper d'autres clients. Passez une bonne journée !
- Vous aussi !
Amusée par la situation, Akiko se dit que c'était vraiment une journée spéciale. Elle choisit un bentō avec quantité de tonkatsu, car elle a toujours raffolé de ce plat au porc pané. Elle paya, salua la jambe et sortit de la supérette en direction de la gare.
Elle passa avec sa carte et attendit sur le quai. Peut-être qu'un autre événement allait venir bouleverser sa routine, qui sait ! Surexcitée, elle marchait de long en large sur le quai.
Mais après une dizaine de minutes, rien n'était advenu. Découragée, Akiko retrouva son expression morne habituelle. Une voix robotique annonça :
"Le train 7153 va arriver au quai numéro 1. Veuillez vous éloigner du bord du quai."
Akiko se leva, lasse. Le train arrivait rapidement, de plus en plus rapidement...
Sans qu'elle n'ait pu réagir, elle vit le train dérailler et se précipiter sur elle à toute vitesse.
Elle eut tout juste le temps d'entendre les cris des autres voyageurs et le bruit des appareils photos avant d'être violemment écrasée par la locomotive.

La Pente aux Spirales. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant