pardon eliott

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« fuguer doit sûrement être la pire idée du siècle », que j'me disais.
en plus c'était pour un de ces trucs tout cons, dont seule moi aie le secret.
mais cette p'tite voix m'avait poussée à le faire, si tu savais comme j'regrette.
ce putain de soir, j'sais pas ce qu'il m'a pris.

j'étais crevée, j'venais d'me faire lâcher par mon mec, et par mes potes.
et le pire, j'avais plus de clopes, v'là la cerise sur le gâteau.
j'me rappelle que mes parents m'avaient appelée des dizaines de fois, mais j'ai jamais décroché.
puis, dans ma galère d'hiver, j't'ai vu, assis sur le bord du pont.

tu pleurais j'crois, j'en suis pas sûre, on voyait rien, mais j'entendais des sanglots.
c'est pas bien dur de deviner pourquoi, les gars d'la classe t'avaient probablement fait chier, comme d'habitude.
ça me faisait bien rire, j'dois l'avouer. j'aimais les voir te frapper, et se foutre de toi.
« c'était juste des blagues » qu'on a tous pleurniché, après ton départ.

cette nuit là, j'étais pas d'humeur. Je voulais voir personne, même pas mon propre reflet dans la glace.
eliott, pardonne moi, j'ai été jalouse. c'est stupide pas vrai ?
mais je t'ai pensé si chanceux. j'me disais que tout le monde s'intéressait à toi, que ton nom se baladait sur toutes les lèvres, alors que le mien c'était d'la gouache qu'on effaçait à l'eau, sans même y faire attention.

j'suis passée à côté de toi, pour vérifier si c'était bien ta personne que je devais me farcir alors que je faisais ma crise existentielle,
et ouais. toi. à ce moment, j'ai oublié tout ce que on te faisait subir, et j'ai pensé qu'au final t'étais vraiment qu'un enfoiré.
gars comme filles te parlaient chaque jour, pour t'insulter et te rabaisser oui,mais j'arrivais pas à m'en souvenir d'la seconde partie.
eliott, crois moi ou non, je t'enviais.

tu t'es retourné vers moi et t'as souri, comment t'as fait ?
tu m'as demandé si j'allais bien, si je voulais parler.
qu'est-ce que j'ai répondu, moi, sans même y réfléchir ?
« va crever gros lard. »

et tu l'as fait.
à cause de moi.
je suis partie, et toi aussi, mais pas vers le même chemin.
je rentrais chez moi, tu partais d'chez nous.

le lendemain on a retrouvé ton corps inerte dans l'eau gelée.
putain, eliott.
tu nous a quitté, merde.
je voulais pas, c'était que des mots.

si je t'avais rendu ton sourire, et si je m'étais assise près de toi, ç'aurait été différent ?
si j'avais pas été le plus grosse salope du monde, on serait devenu ami ?
si j'avais pas tracé pour t'abandonner, on rirait ensemble ?

si j'avais pas été un monstre, eliott, si j'avais pas été un monstre, je pourrais admirer ton visage qui devait être le plus merveilleux que j'ai jamais vu, j'aurais appris à te connaître, j'aurais aimé ta personne j'en suis sûre, j'aurais emmerdé tous ceux qui te harcelaient, on aurait créé une équipe du tonnerre, toi et moi, puis chaque personne à qui on aurait ouvert les yeux.

si j'avais pas été un monstre, ce soir là, tu serais pas mort.

ce soir làOù les histoires vivent. Découvrez maintenant