Grey reboot

Chapitre 1

Je ne suis qu'une ombre dans un jardin de lumière. Une de ces petites ombres du zénith, qui courent le long des murs, se tapissent dans les recoins des pierres, ténues, presque invisibles. Une petite ombre comme il y en a tant. Ridiculement petite. Ni fraîche, ni accueillante. Inutile. Je suis une ombre écrasée de soleil. Je ne vais pas tarder à disparaître. Un nuage ou le zénith auront bientôt raison de moi. Je ne suis plus rien depuis que j'ai quitté Christian Grey. Je ne suis qu'une ombre.

Lundi, J+1

Je me réveille en sursaut quand mon réveil sonne. Je n'ai même pas droit à ce petit moment de répit du matin, lorsque, encore endormi, tout paraît possible. Cet instant de douceur juste avant que le souvenir horrible de la veille vienne vous frapper en pleine poitrine et vous laisse épuisé, sans force. Je n'ai pas cette chance. Je me réveille et je suis déjà en larmes.

Hier, Christian Grey m'a donné la correction de ma vie et je l'ai quitté. J'ai quitté cet homme charismatique, mystérieux, sensuel, dominateur, dangereux... Dangereux pour mon corps et pour mon cœur. Il m'a brisé. Il a laissé des marques sur mes fesses et il m'a brisé le cœur. Je lui ai dit que je l'aimais et il a reculé, il m'a regardé avec horreur. « Tu ne peux pas tomber amoureuse de moi Anastasia. Je ne suis rien. Je ne suis pas un homme. Tu ne peux pas m'aimer. Tu ne dois pas m'aimer. »

Ma colère et mon désespoir ont pris le dessus et je me suis enfuie. J'ai fui cet appartement trop grand, ce luxe qui ne me ressemble pas. J'ai maudit Christian Grey, pour m'avoir initié à un plaisir si infini que je ne pouvais même pas me l'imaginer. Je l'ai maudit parce qu'il m'a laissé l'approcher si près et que je suis tombée amoureuse. Je l'ai maudit parce qu'il ne m'a jamais laissé le toucher.

Je ne suis pas la femme qu'il lui faut. Je ne veux pas le laisser me battre, je ne veux pas être dompté. Je ne veux pas de sa putain de vie de milliardaire ! Je veux le voir rire, qu'il soit heureux. Je veux rire avec lui, je veux le toucher vraiment. Je veux qu'il soit touché par moi. Je veux être tout pour lui comme il est tout pour moi.

Je me lève en pleurs et me prépare. Aujourd'hui, c'est mon premier jour chez SIP et il faut que j'assure. J'essaie de me motiver. Ce travail j'en avais tellement envie la semaine dernière. J'étais si fière d'avoir décroché ce premier boulot. Voir du monde me fera du bien. Mécaniquement, je me douche, m'habille, me coiffe, tente de manger un petit déjeuner. Christian est partout autour de moi, des visions de lui, comme des flashs, viennent me hanter. Dans la salle de bain. Son regard suppliant et plein d'angoisse juste avant que les portes de l'ascenseur ne se referment. Dans ma chambre quand je croise mon regard dans la glace. Ses mains et sa bouche sur ma peau, qui me dévorent, me caressent, me rendent folle et suppliante. Dans la cuisine. Le claquement de la ceinture sur mes fesses, la rage qui monte en moi, la peine sur son visage lorsque je lui ai interdit de me toucher. «Je ne te laisserai plus me toucher, plus jamais ».

Je quitte l'appartement, marche jusqu'à l'arrêt de bus. J'ai des larmes plein les yeux et ça m'énerve. Je marche vite. Je baisse la tête, fuis les regards. J'ai froid et je me dis que je suis vivante. Ma poitrine est gorgée de larmes, ça me fait mal. Je monte dans le bus et je me demande si le chauffeur s'est rendu compte qu'une ombre venait de lui dire bonjour.

Je n'ai pas craqué au boulot, en tout cas, devant personne. A part mon teint particulièrement pâle et mon absence totale d'appétit, je suis parvenue à donner le change. J'ai survolé cette première journée comme une spectatrice. Se présenter, dire bonjour, sourire aux plaisanteries des collègues, pleurer dans les toilettes quand il y a trop de Christian dans ma tête, apprendre de nouvelles tâches, me familiariser avec mon bureau. Je redoute le moment de partir, de quitter cette animation qui me distrait de ma peine. A 18h Jack Hyde, mon patron, passe la tête dans mon bureau.