Smarter

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Comme tous les matins, le manoir de Rochebrune commençait à s'éveiller. Il bruissait des mille sons qui accompagnent d'habitude le soleil qui ouvre les yeux. Depuis 5h aujourd'hui, comme chacun des jours qui composent l'année, Smarter orchestrait cette pagaille organisée, cette lente agitation que construisait quotidiennement, petit à petit, chacun des domestiques de la bâtisse. Comme toujours, Smarter prenait sa fonction de majordome très à coeur. Il avait commencé par toquer à chacune des inombrables portes du plus haut étage de la maison, juste sous le toit. Puis, une fois assuré que toutes les petites gens de la maisonnée soient sorties de leurs songes, il se plantait devant la porte de service et ne bougeait plus, attendant le courrier comme un arbre enraciné au plus profond de la terre attendrait qu'une hirondelle se niche entre ses branches au printemps. Et à chaque fois, le journal et son facteur arrivaient à 6h30, avec les 21 minutes de retard qui, chaque matin irritaient les nerfs du domestique en chef. Après avoir sermonné pendant un quart d'heure le malchanceux messager, Smarter se rendait en cuisine pour rapidement déjeuner et donner à tous les consignes du jour. C'était toujours le dernier à finir de manger et c'était une fierté de pour lui de voir ses ordres appliqués et les casseroles maltraitées par de nombreuses mains expertes et affairées. Ensuite, le vieux majordome se hissait difficilement à l'étage, boitant dans les esclaliers et jurant presque à chaque marche. Puis pendant une heure encore, sa jambe folle se trainait de pièces en pièces, veillant à ce que l'ordre soit respecté. Le vieillard criait doucement des directives aux femmes de chambres, valets et autres serviteurs qui allumaient le feux dans la cheminée, nettoyait les canapés où faisaient les lits des futurs invités. Finalement, il patientait devant les appartements de ses maîtres jusqu'à ce que la femme de chambre sorte et le prévienne que le comte et la comtesse étaient près à le recevoir. Et chaque jour, il entrait dans la chambre, distribuait le journal et habillait son maître. Le reste de sa journée était occupé à gérer la comptabilité et à surveiller les activités domestiques tel un gardien de prison devant des bagnards se tuant à la tâche. Et cette vie durait depuis sept ans. Celà faisait sept ans que chaque journée, chaque matin, voire même chaques minute étaient réglés comme du papier à musique où les notes, toujours les mêmes, était écrites à la même fréquence, par la même main usée par le temps, tachée par la longueur des années, mais qui ne tremblait pas.
Depuis longtemps, on considère le majordome comme inférieur à son maître, mais tout domestique sait bien que le véritable patron d'une demeure est celui qui en voit toutes les facettes. Il connaissait d'ailleurs mieux que quiconque la maison, ses recoins, la comtesse et les lits soyeux des chambres du deuxième étage. Ainsi, Smarter était, contrairement au plantureux comte de Rochebrune qui n'avait pour cervelle que celle qui se trouvait dans son assiette, l'âme et la tête du manoir. En ce matin de décembre, dans luxueuse chambre du prétendu maître de cette maison, le vieux majordome tentait tant bien que mal d'attacher les malheureux boutons de manchettes qui se révoltaient à l'idée de devoir toute un journée, enserrer les poignets grassouillets du ventre humain qu'était le comte. Smarter se racla la gorge et demanda d'un air innocent si le canard laqué aux oranges de la veille avait su ravir le délicat estomac de "monsieur". La bouche ronde et humide, entourée d'une fine couche de poils gras que le majordome avait l'habitude raser, avait répondu que sa femme et lui en avaient été éblouis et qu'ils comprenaient parfaitement pourquoi le prix était si astronomique ! Derrière son énorme cou de taureau habillé d'un col blanc serré et à moitié descendu, le stupide comte de Rochebrune, trop occupé à déblatérer quelques idioties ne remarqua pas le grand sourir narquois qu'arborait sur son visage fin le chef des domestiques. De temps à autre, Smarter hochait la tête d'un air intéressé, laissant croir à son supérieur qu'effectivement, ce sur quoi il s'éternisait était vraiment un sujet passionnant. Une fois rentré dans son antre, le vieillard grogna que personne n'ait débarrassé les restes du poulet bas de gamme cuisiné la veille pour les domestiques et porta en claudiquant l'assiette jusqu'à l'évier. Il remarqua alors sur la table un autre morceau du même poulet, celui-ci surplombé d'une tranche d'orange et bien mieux présenté. Le majordome s'empara de ce plat qui hier avait ravi les papilles de ces maîtres et le jeta en pensant à ses économies qui, grâce à la monnaie secrètement gardée, allaient considérablement enfler. Merci au poulet qui avait parfaitement joué le rôle de ce cher canard laqué !
"Il faut qu'un domestique soit bien sôt lorsqu'au bout de sept ans, il ne gouverne pas son maître". Et il sourit en se disant qu'effectivement ce bon vieux Sedaine avait eu plus que raison !

Voici le texte proposé pour les Joutes, je n'ai pas pu compter le nombre de caractère, mais j'ai moins de 1000 mots, 828 exactement !

Exactement 5011 caractères espace compris.

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