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Un. Transparence.

Il était assis au fond de la classe, son stylo dans la main gauche. Ses cheveux mal coiffés et ses cernes prononcées lui donnaient l'air de sortir du lit. Ce cours de littérature le bassinait déjà et, ses yeux perdus dans les nuages, il ne rêvait que de fuir la salle de classe. Pourtant il restait assis.

Viktor était de ceux dont l'apparence est si banale qu'on en remarque à peine l'existence. Ses yeux verts n'avaient aucun éclat et fuyaient le regard des autres. On avait tendance à l'oublier facilement. Si on avait montré une photo de lui à ses camarades, son visage leur serait paru familier, mais seuls quelques élus particulièrement observateurs auraient été capables de retrouver son nom. « Oui je le connais, il s'appelle... mince, je l'ai sur le bout de la langue ! »

Viktor était absent et pourtant sur le bout de chaque langue. Le nez dans ses livres, le menton dans sa main, on ne connaissait pas le son de sa voix. Il n'y avait pas la moindre rumeur à son sujet, on ne le trouvait ni bizarre, ni maladroit, ni stupide, ni laid, rien de tout cela. En fait, on ne le trouvait pas.

Lui non plus ne remarquait personne. Il observait le ciel, comptait le temps que prenait un nuage pour passer devant le soleil. Il faisait tourner son stylo entre ses doigts, inlassablement, sans y faire vraiment attention. Il ne s'intéressait qu'à ses livres. A son livre.

Il pensait quelques minutes, rêvant à quelques galaxies éloignées, observant silencieusement le ciel, puis se penchait à nouveau sur son cahier et se mettait à écrire. Perdu entre deux réalités, on aurait pu le voir disparaître entre ses pages manuscrites. Son stylo griffait le papier avec une passion singulière. Des lettres aux courbes douces, des mots tracés avec soin, une écriture délicate, comme si la moindre virgule dessinée avait la même importance que le mot qui la suivait.

Viktor aimait ces mots, chérissait ces lettres. Il leur donnait à chacun une personnalité, une âme et ponctuait chaque phrase d'un point parfait.

Le vaisseau flottait dans le vide de l'espace. Lentement. Quatre mille deux cent cinquante milliards de kilomètres par heure. Soit trois mille neuf cent trente cinq fois la vitesse de la lumière. Pourtant tout paraissait presque immobile. Après sept jours de vol, il atteindrait bientôt l'exoplanète L-47-Ors. Il pouvait déjà l'apercevoir au loin, perdue dans l'immensité sombre. Son sol orange sera bientôt foulé pour la première fois. Assez éloignée de son étoile, la température y serait en moyenne de moins trente-sept degrés Celsius. Elle aurait été un refuge idéal pour l'humanité. Mais le projet de vivre sur cet planète fut abandonné pour cette simple raison. Le froid. L'humain est trop frileux et préfère se battre contre les siens pour contrôler la Terre.

Mais Lick ne pensait pas à cela. Depuis bien des années, il avait oublié la notion d'humanité, et, à présent, celle d'homme s'estompait peu à peu. Il aurait bientôt sa planète de silence à lui tout seul.

Il détourna son regard de sa future demeure juste à temps pour voir un éclair bleu filer à toute vitesse vers son sol.

Un autre éclair bleu arracha Viktor de son carnet de notes. Une tache cérulée au dehors, filant entre deux bâtiments de l'université. Rapide, silencieuse, fantomatique. Une tignasse teintée d'azur passant la grande porte vitrée. Dans son reflet, un rapide sourire, éphémère, comme elle.

Elle disparut avant qu'il ne puisse saisir toutes les nuances de sa palette.

Evaporé. Lick guetta longtemps l'espace à la recherche d'un nouvelle éclat de lumière alors que l'appareil commençait déjà à ralentir, amorçant la mise sur orbite. Hypnotisé par une fraction de seconde où le bleu avait illuminé sa pupille. Mais il n'y avait plus que l'immensité du ciel et l'orangé des poussières de L-47-Ors s'élargissant progressivement à sonapproche.