Lettres

La Guerre

1er Décembre 1916, Verdun
Ma mie,
L'aube vient de se lever alors que je t'écris, le sol où je couche est horriblement froid et dur et m'empêche de dormir de toute la nuit. La nourriture se fait de plus en plus rare par ici et bientôt, nous devrons nous résoudre à manger les rats qui croupissent dans les tranchées et qui ont déjà transmis maintes maladies à bon nombre de mes compagnons. La mort m'enveloppe et j'ai parfois presque l'envie qu'elle me frappe, et puis je revois ton doux visage et la hargne de vivre me reprend. Mais je ne suis pas le plus à plaindre, beaucoup sont déjà morts sur le champ de bataille, sous le feu des fusils ou les coups des obus, et la terre au dessus de moi regorge de leur sang. Hier, Joël est mort et je n'ai pas su verser une seule larme, pourtant, Dieu sait combien je tenais à lui, il était mon compagnon sur qui je pouvais toujours compter et nous nous donnions du courage mutuellement, mais la grippe l'a emportée. Il n'a même pas eu un enterrement digne de ce nom et, pour lui épargner les rats, on a dû le brûler. Je sens encore cette odeur immonde de chair brûlée imprégnant l'air et mes vêtements.
J'espère qu'à Paris, tout va bien et que la vie n'est pas trop dure pour toi et le bébé. Te connaissant, tu as dû lui coudre de gros habits de laine pour le protéger de ce froid glacial. D'ailleurs, je te remercie pour les chaussettes que tu m'avais envoyées, elles m'ont été très utiles et sans elles, j'aurais certainement perdu quelques orteils. La semaine dernière, j'ai bien cru y passer, un soldat allemand nous avait pris à revers et j'ai eu juste le temps de lui décocher un coup de mitrailleuse entre les deux yeux avant qu'il ne nous tue tous avec une bombe.
Je pries tous les jours pour que cette Guerre cesse enfin et que je puisse revenir auprès de toi et de Jules, vous me manquez tellement,
Réponds moi vite,
Pierre