Blind

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Puis elle est partie. Partie.

Je n'ai plus jamais entendu ses remarques cinglantes. Plus de rire. Plus de nouvelle des enfants. Plus rien. Je n'ai pas eu de nouvelles. C'est comme si elle n'avait jamais existé. Comme un rêve qui se termine, mais on ne comprend pas trop la fin. Et on cherche par tous les moyens à se rendormir pour pouvoir le continuer. Seulement voilà, ce que je vis à cet instant est bien réel. Je suis encore dans le noir, mais elle n'est plus là.

Je sens une autre présence. Quelqu'un marche sur les éclats de verre et un frisson me traverse. Je sens mes poils se dresser. Droit. La peur revient d'un coup. Une petite injection de peur violente, il n'y a rien de tel pour savoir qu'on est bien vivant, et pas en train de rêver. La personne avance. J'ai l'impression qu'elle s'amuse à marcher exprès sur les morceaux de verre !

-C'est un bordel ta chambre mon gars ! Tu pourrais entretenir un peu j'arrive même pas à passer !

C'est lui. J'ouvre la bouche pour lui dire de fermer sa gueule, mais j'ai déjà assez gueuler pour la journée. J'ai un quota à pas dépasser quand même. Sinon, risque d'extinction de voix, et ce serait dommage de les priver de ma si belle voix ! Je me rabats sur une simple salutation, avec un petit sourire timide.

-Tu sais que ton petit incident s'est entendu sur tout l'étage mon gars ! Il t'est arrivé quoi ?

C'est à ce moment-là que j'ai pris conscience. Vraiment conscience. Je ne pouvais pas avouer ma faiblesse face à lui. Lui qui paraissait si fort face à l'injustice qu'il lui arrive. Je ne pouvais pas lui dire que c'est à cause d'un truc en verre qui s'est cassé. Je ne pouvais pas lui avouer que j'avais cogné quelque chose, et que s'il est tombé c'est uniquement ma faute. Je ne pouvais pas dire que j'ai eu peur de ce son. De ces images. Peur comme un môme dans le noir.

Un môme dans le noir ... en y réfléchissant, c'est exactement ce que je suis. Un mec, plutôt jeune, qui a peur parce qu'il est dans le noir. Seulement personne ne viendra allumer la lumière. Personne ne viendra le rassurer en lui montrant qu'il n'y a pas de monstre à trois tête dans sa chambre. Personne. Sauf lui.

-C'est à cause de ce qu'il t'arrive ? Pierrick tu sais je suis pas psy mais ... entre ... personne de notre situation ... enfin ... on peut s'aider et s'écouter si tu as besoin. J'ai pas trop l'habitude de faire ça, je te le dis direct ! Mais déjà hier j'ai bien vu que tu n'étais pas bien ... Et moi aussi quand je me suis réveillé un jour avant toi j'aurais aimé hurler. Mais bon j'en ai parlé, et finalement j'en suis plutôt fier.

-Tu en as parlé à qui ? J'étais à la fois surpris et heureux qu'il me parle comme ça. Sa voix est franche, directe. Il assume tout ce qu'il est. Il vit son handicap comme il vit sa vie. Comment est-il arrivé à ce stade d'acceptation de son handicap aussi vite ? Je le lui demande à voix haute.

-Le psy. C'est un chouette type. Il rigole bien et ... je sais pas je me suis sentis en confiance. Il doit être à peu près de notre âge tu sais. J'avoue j'ai eu honte qu'il vienne me voir ...

-Moi je l'ai insulté quand il est passé. Sa femme aussi je l'ai insulté d'ailleurs ...

-Tu connais déjà sa femme ? Putain même moi il m'en a pas parlé !

-Mais non ... tu comprends rien.

Je rigole. Il rigole. Putain ça fait du bien. J'arrive plus à me retenir, même une fois que Fred a fini. Je n'arrive pas à arrêter cette envie que j'ai de sortir tout ce qui est à l'intérieur de moi, en rigolant. Je ne sais pas si ça vous est déjà arriver de rire parce qu'au font vous savez que tout va mal, et que c'est la seule chose qui peut vous aider à ce moment précis.

Alors je lui ai dit que son psy il pouvait le garder, et lui faire des gosses s'il voulait ! Mais après ça, je lui ai dit la vérité. L'envie de mourir. Les éclats de verre. Tout. Même les chaîne qui m'attache je lui en ai parlé parce qu'il ne les avait pas vu. Sinon, il aurait commencé par me parler de ça. Puis les menottes sont bien cachées sous les draps. Je lui parle de la personne que j'ai renversée.