Étendue sur le parquet de ma prison, j'attends. Il a déjà cinq minutes de retard. Pour eux, cinq minutes ce n'est rien, pour moi, c'est l'éternité.
J'entends un bruit de cadenas avant d'entendre la porte s'ouvrir, j'ouvre un oeil. Le bras posé négligemment sur mon visage, je feins l'indifférence. Je suis tout sauf indifférente, je suis en colère. Il sait que je déteste les retards, il sait que nos moments sont sacrés et que je n'attends que ça.
-O... ne m'en veut pas s'il te plaît. Le chef m'a retenu et...
-Stop, dis en coupant ses plates excuses.
Je me relève et me mets en position assise. Selon maman, je dois me tenir bien droite, les mains posés sur mes genoux, or je suis avachie, un coude posé sur le genou en train de dévisager Benjamin.
Il passe une de ses grandes mains dans ses cheveux blonds clairs et me sourit piteusement. Ses yeux bleus penauds me sondent :
-Viens me dire bonjour plutôt, soupiré-je.
Son sourire s'agrandit et éclaire tout son visage. Mon coeur se serre. Bon sang qu'il est beau, ce con !
Il s'approche de moi et m'embrasse sur la joue, ses lèvres bien trop proches des miennes. Ben fait un mètre quatre-vingt et n'étant pas très grande, un mètre soixante-cinq, il fait tellement plus grand que moi. Ses traits se sont affinés, il a de la barbe maintenant et des responsabilités, surtout. Pourtant, chaque jour, il me rend visite, chaque jour il ensoleille cette prison.
Sa main touche une mèche de mes cheveux rouges. Un de mes caprices.
-C'est bientôt ton anniversaire, tu vas changer de couleur ?
-Je pensais faire du violet ou un bordeaux, tu en penses quoi ?-Tu seras toujours très jolie.
Je souris avant de lever les yeux au ciel et de lui demander pourquoi son chef l'a retenu. Benjamin est un chasseur, c'est une des classes les plus prestigieuses de notre village. La sélection est draconienne mais je le connais depuis l'enfance, je n'ai jamais douté de lui. Nous discutons, puis cinquante-cinq minutes Ben doit partir. Il me serre dans ses bras et me rappelle qu'il part pour au moins quatre jours. Je hoche la tête. Je ne peux pas l'oublier. Je vais vivre un enfer durant son absence.
Je souris et cache au mieux combien son départ m'affecte. Je garde mon sourire jusqu'à ce que j'entende le cadenas. Là je pousse un énorme soupir et regarde ma chambre. Elle est spacieuse mais quand on passe toutes ses journées dedans depuis presque dix-huit ans, elle paraît petite.
Mon lit double est au fond de la pièce, au milieu. Les deux tables de chevet l'encadrant croulent sous les livres, il y en a partout autour du lit. Sur ma droite, il y a un bureau avec des tas de carnets griffonnés, des pages blanches et d'autres dessinés. De l'autre côté de la pièce se trouve une armoire gigantesque contenant tous mes vêtements et une porte menant vers la salle de bain. Dans un coin de la pièce se trouve une gigantesque télévision avec des DVD tout autour.
Il n'y a pas grand chose dans ma chambre. Je lève les yeux et regarde l'horloge juste au-dessus de la porte où est sorti Benjamin. Il est vingt-heures. Maman arrive dans trente minutes pour la promenade. Je fixe les minutes, interminables.
Finalement à vingt heures trente précises, j'entends le bruit du cadenas retentir. Je me relève de mon plancher et lise ma robe longue noire. Comme je suis restée assise toute la journée sur le parquet, elle est froissée. Quand ma mère me voit c'est sa première remarque. Je souris et la détaille. Ses cheveux bruns ont déjà des fils d'argent. Maman vieillit.
-Bon, au lieu de faire des remarques sur ma tenue, on sort ?
Avant qu'elle puisse répondre, je la prends par le bras et l'emmène vers ma sortie. J'ai le droit à deux promenades par jour, une à dix heures trente du matin et la seconde à vingt heures trente.
Ma mère se laisse faire et je traverse les couloirs pour sortir de la maison. Comme nous sommes en été, il fait encore soleil. Je prends une grande inspiration et m'imprègne des odeurs du dehors. À cette heure-là, tout le monde prépare le repas et des odeurs succulentes de nourriture embaument l'air. Un petit vent frais agite mes très longs cheveux longs, ils m'arrivent en dessous des fesses.
-On va vers où ? m'interroge-t-elle.
-Les jardins !
Maman se retient de soupirer. Tous les soirs, je vais aux jardins, mais j'adore cet endroit. Je passe devant les maisons en bois pour arriver dans ma partie préférée du village : les jardins. C'est ici que nous faisons pousser les cultures mais aussi les fleurs. Je déambule le reste du temps de ma promenade au milieu du jardin. C'est le seul moment où je peux faire un peu d'exercice. Maman me suit et ne me lâche pas d'un regard.
-Il est l'heure de rentrer chérie.
Je me tourne vers elle, le cœur serré. Elle me sourit tristement et je la suis sans rechigner. Je ne me presse pas pour rentrer mais elle ne s'en formalise pas. Nous rentrons à la maison et elle m'accompagne dans ma chambre avant de me dire qu'elle va chercher mon plateau repas.
Je hoche la tête et vais faire de la place sur mon bureau. Je range les papiers, les dessins et je les trie le temps qu'elle revienne. Cinq minutes plus tard, j'ai devant moi un ragoût avec du pain et un bol de salade et en dessert du melon coupé en cube. Je prends ma cuillère. Je n'ai ni fourchette ni couteau. Il y a eu trop d'accidents.
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O'nora
WerewolfO'nora va avoir dix-huit ans. Elle n'est pratiquement jamais sortie de sa chambre. Avoir des enfants est devenu difficile, encore plus des filles. La plupart sont donc enfermées dans leur chambre pour les protéger du monde extérieur. Pour ses dix-h...