6 septembre

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Tic.
Trente neuf.

Aujourd'hui on est samedi 6 septembre.

Tac.
Quarante.

324 jours. Ça fait exactement 324 jours que je suis là, incapable du moindre mouvement, de la moindre parole, maintenue en vie uniquement grâce à quelques tuyaux et une perfusion.

Tic.
Quarante et un.

Bientôt un an. Dans 41 jours ça fera un an. Bientôt un an que je ne vis plus, que je ne fais que survivre.

Tac.
Quarante deux.

Bientôt un an que je ne fais rien d'autre qu'attendre en comptant les jours qui passent, les heures qui défilent, les secondes qui s'égrènent.

Tic.
Quarante trois.

Aujourd'hui on est samedi 6
septembre et hier on était le vendredi 5 septembre.
Le jour de la rentrée.

Tac.
Quarante quatre.

Mon fils a promis de venir me raconter comment ça s'est passé. Il ne devrait pas tarder.

Tic.
Quarante cinq.

Quand il est là, c'est un des seuls moments où j'arrête de compter. Il est le seul à me rendre encore visite avec Laetitia, l'infirmière qui est chargée de moi. 

Tac.
Quarante six.

Le seul qui arrive à me faire arrêter de compter.

Tic.
Quarante sept.

Tac
Quarante huit.

Tic.
Quarante neuf.

Tac.
Cinquante.

J'entends des pas dans le couloir à travers la porte de ma chambre. Mon fils. Je l'entends qui tourne la poignée, qui rentre, referme la porte et viens s'assoir sur la chaise à droite de mon lit. Sa main effleure doucement mon front et dégage quelques mèches de cheveux avant de prendre la mienne tout doucement.
- Bonjour maman.
Bonjour mon fils.
- Je suis venu te raconter ma journée d'hier comme je t'avais promis. J'ai pas oublié. Donc, pour commencer, la directrice, madame Ragourau, a fait l'appel pour nous dire en quelle classe on était et qui on avait en prof principal. Je suis en seconde E et notre prof principal c'est monsieur Damain, le prof d'anglais. Il était avec nous toute la journée pour nous expliquer comment ça se passe au lycée, à la cantine ou en perm et le règlement. Et il nous a fait visiter aussi. Il  a l'air sympas. Les gens dans la classe aussi. D'ailleurs je suis avec Clément, le gars qui était dans ma classe déjà l'année dernière. C'est pas mon meilleur pote mais je suis content qu'il soit là quand même. Et devine quoi ? Tu te souviens de Laureen en maternelle ?
Bien-sûr mon fils. Comment pourrais-je l'oublier ? Tu n'arrêtait pas de parler d'elle.
- Et bah elle est au lycée ! Et en plus on est dans la même classe ! Tu y crois, toi ? Je suis super content qu'on se soit retrouvé comme ça. Enfin bref, on a pas eu vraiment le temps de discuter vu la journée super chargée qu'ils nous ont fait mais elle m'a expliqué en gros ce qui lui est arrivé depuis le CP. Elle a sa meilleure amie dans la classe, Estelle je crois, donc elle est contente. Par contre, à part Estelle et moi, elle connaît pas grand monde du coup ça la stresse un peu. Je sais pas pourquoi. Je suis sûre que ça va bien se passer et qu'elle se fera des amis assez facilement. Elle a changé tu sais. Moi aussi je pense. En tout cas elle est toujours jolie.
Je suis contente que tu l'ai retrouvé mon fils. Ça a l'air de te faire tellement plaisir. J'espère qu'elle est toujours aussi gentille qu'en maternelle et que tu ne sera pas déçu.
- Faudra qu'on trouve un moment pour discuter tranquillement. Je lui demanderai lundi si elle a moment après les cours un de ces jours.
Il se tait un moment, sûrement pensif, et reprend :
- Bon sinon qu'est-ce que j'ai a dire ? Le premier repas à la cantine était bon. Bien meilleur que l'année dernière au collège en tout cas !
Des pas dans le couloir et la porte qui s'ouvre. Laetitia lance de sa voix douce :
- Yanis ? Désolée de vous déranger, mais c'est la fin des visites et tu dois t'en aller.
Déjà ? Si c'est la fin des visites il doit être 19h. J'aimerais tant qu'il puisse rester toute la nuit pour me raconter toute sa journée dans les moindres détails. Il me manque tellement malgré le fait qu'il vienne me voir tous les soirs.
- Bien sur, j'y vais, répond-t-il. Je le sens qui se lève et qui se penche vers moi. Il m'embrasse sur le front et me dis comme tous les soirs :
- Je reviens demain, promis. En attendant, bonne nuit Maman. Je t'aime.
Moi aussi mon fils. Je t'aime.
J'entends ses pas tandis qu'il traverse la pièce et la porte qui se referme. Ses pas continuent et s'éloigne dans le couloir, me laissant de nouveau seule, a compter.

Tic.
Un.

Tac.
Deux.

Tic.
Trois...

Du baume au cœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant