Nerveusement, je tends mon billet d'avion et mon passeport à l'hôtesse qui me gratifie de son plus beau sourire. J'esquisse un rictus mais je suis certain que ça s'apparente plus à une grimace qu'autre chose. Je me faufile vers la rangée de sièges la plus éloignée pour patienter jusqu'à ce qu'il soit enfin l'heure d'embarquer. Une fois assis, je frotte vigoureusement mes mains moites sur mon jean.
Ai-je fais le bon choix ? Et si ce que j'allais découvrir me perturbe ? Comment sera ma vie après ce voyage ? Serai-je différent ? En mieux ? Ou bien serai-je ce type perdu entre deux continents ?
Mes pieds s'agitent dans un rythme effréné sur le sol froid du hall d'embarquement. Dans le coin droit de la pièce, une mère essaye de contenir son enfant de trois ans qui crie et saute dans tous les sens sous le regard de quelques voyageurs. A ma gauche un type d'âge moyen enchaîne messages et appels sur son téléphone dernier cri. Un peu plus à l'écart un jeune couple s'embrasse et rigole, certainement un voyage de noces. Un couple de retraités vient s'asseoir en face de moi. Les traits de l'homme sont taillés par les années, les rides sillonnent de part et d'autres de son visage. Mais ses yeux pétillent autant que ceux d'un adolescent lorsqu'ils se posent sur sa femme. J'envie ce genre de couples, ceux qui s'aiment encore plus qu'au premier jours après avoir passé près d'un demi-siècle l'un à côté de l'autre.
Mon attention se reporte sur le petit garçon qui éclate dans un rire que seuls les enfants insouciants peuvent produire tandis que sa mère le chatouille. Etais-je comme lui à l'époque ? Rigolais-je ainsi étant gamin ? Ai-je offert à ma mère ce son incroyable ? Je ne m'en souviens pas, il faudra que je lui demande. J'espère que ce voyage n'est pas pour elle une trahison. Elle m'a encouragé, mais elle reste ma mère et je peux comprendre que cela soit une souffrance pour elle. Pour moi non plus ce n'est pas anodin, j'en ai eu quelques nuits mouvementées. Je ne suis même pas encore convaincu de faire le bon choix alors que je suis sur le point de monter dans cet avion. Il faut que j'ose franchir ce cap, j'aurais vingt-cinq ans le mois prochain et j'ai envie de me sentir enfin entier, me débarrasser de cette moitié fantôme qui me hante certains soirs.
Alors je suis là, à me ronger les sangs dans cette salle bondée. Je ne me reconnais plus, moi qui d'ordinaire suis si assuré, je suis en train d'envisager de faire machine arrière alors que l'hôtesse commence à ouvrir les portes pour permettre aux passagers de monter à bord.
Je repense à ces derniers mois, occupés à planifier ce périple, ma détermination, mon excitation, ma peur d'en parler avec elle, mon soulagement quand ce fut fait, les larmes dans ses yeux lorsqu'elle me répétait qu'elle m'aimait et celles que je dissimulais. Avant de quitter la pièce elle s'était retournée et m'avait déclaré que si elle avait porté ma sœur neuf mois dans son ventre, moi elle m'avait porté trois ans dans son cœur.
Ce souvenir qui restera à jamais gravé me donne la force nécessaire pour grimper les quelques marches qui mènent à l'avion. L'hôtesse me désigne la travée centrale et je m'installe rapidement. J'extirpe mon portable de ma poche pour l'éteindre et constate l'arrivée d'un nouveau message. De ma mère :
Beaumarchais disait "on est toujours l'enfant de quelqu'un", toi tu es l'enfant de quatre personnes, c'est une véritable richesse et je suis très fière de toi. J'espère que tu en apprendras plus sur tes origines, fais bon voyage et prends soin de toi. Je t'aime, mon fils.
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Participation aux 17ème Joutes sur le thème "citations".
La citation que j'ai retenu est bien évidemment celle de Beaumarchais "on est toujours l'enfant de quelqu'un", j'espère que ça vous aura plu !!!