- Et merde, encore raté ! grogna Nora en se relevant aussitôt.
Depuis plusieurs heures déjà, la demoiselle essayait de capturer un petit écureuil via son objectif 18-135 millimètres. Elle n'y arrivait pas ; le petit mammifère s'enfuyait chaque fois qu'elle trifouillait un bouton de son magnifique reflex à 800 balles et, à vrai dire, ça lui foutait les nerfs. En fait, Nora, de nature très impatiente, était du genre à s'énerver pour rien. Il était donc extrêmement difficile pour elle de photographier des êtres vivants - même si, à vrai dire, c'est ce qu'elle préférait. Le regard de ceux qui acceptaient de poser pour elle la passionnaient tout particulièrement. Elle adorait les portraits. Cependant, lorsque ses amis, animaux comme humains, ne faisaient pas ce qu'elle souhaitait et que, par conséquent, tout ne se passait pas comme elle le voulait, elle ne pouvait s'empêcher de péter un plomb phénoménal.
Excédée, elle balança son sac à ses pieds puis se laissa mollement glisser à même le sol, adossée au tronc cabossé d'un vieux chêne abîmé. Elle savait pertinemment que la terre et la poussière allait une fois de plus tâcher son jean préféré, noir et tout troué. Pourtant, elle s'en fichait. Nora était une artiste ; elle n'avait pas peur de se salir lorsque c'était par passion.
Elle s'empara de son appareil puis, les yeux rivés sur le petit écran, étudia une à une les photos qu'elle avait prises au cours de l'après-midi. La plupart représentaient, bien sûr, fleurs, arbres et plantes en tout genre tandis que le reste n'était qu'un amas d'images rousses et brunes plus floues les unes que les autres. Celles-là, Nora les supprimait sans même prendre la peine de les observer en détail.
Une fois qu'elle eu fini de jauger son travail, la jeune fille jeta un coup d'œil à sa montre, se leva, attrapa son sac à dos puis tourna les talons avant d'entamer le chemin du retour d'un pas décidé. Malgré sa légère déception, elle n'allait certainement pas se laisser abattre pour un petit échec aussi insignifiant.
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Elle y revint le lendemain ; même heure, même endroit, même refrain que les jours précédents. La forêt ? C'était son paradis, son échappatoire, un des rares endroits sur Terre où elle se sentait libre. Chez elle elle se sentait mal, enfermée et traitée comme un animal en cage. Elle détestait ses parents, sa maison, sa vie. L'art l'aidait à survivre dans un enfer constant.
Cependant, c'est à ce moment-là qu'elle aperçu un drôle de type aux cheveux ébène et océan qui apparut sans crier gare. Elle le vit qui l'observait, appuyé contre un immense connifère centenaire, et se contenta de lever un sourcil afin de le dévisager de la tête aux pieds. Il portait de grosses Dr Marten's noires aux lacets bleu canard, un jean délavé aux ourlets mal faits, de grandes chaussettes colorées, une chemise à carreaux ouverte sur un t-shirt blanc cassé et, pour finir, un chapeau anthracite un peu râpé. Malgré le fait qu'il faisait deux têtes de plus qu'elle, le garçon ne semblait pas dangereux, au contraire. Il avait l'air aussi doux qu'un agneau. Il était beau, plein de charme et de mystère à la fois. Il avait un visage gentil, un visage heureux. Pourtant, Nora, qui le dévisageait toujours avec dédain, lui demanda simplement ce qu'il faisait là. Il lui répondit qu'il l'observait, comme chaque jour depuis une semaine, lui expliquant que la voir ainsi photographier la beauté d'un lieu aussi magique le fascinait. La jeune fille, étonnée, ne ressentit pourtant aucune once de peur s'emparer d'elle.
Ils firent ainsi connaissance, chaque minute un peu plus. Nora apprit pleins de choses sur lui, notamment son prénom : Charly. Il la fit rire, elle le fit sourire, ils parlèrent de tout et de rien jusqu'à ce que la lumière décline puis partirent chacun de leur côté, sans se retourner. Nora rentra chez elle, des questions plein la tête et des bébés papillons dans le ventre.
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La fois d'après, elle arriva plus tôt, espérant de tout cœur qu'il serait déjà là. Cependant, il arriva après elle, une guitare à la main, chantonnant une de ces jolies mélodies qui vous restent en tête toute la journée. Charly se laissa glisser dos à un arbre, à côté de Nora, bascula la tête en arrière et ferma les yeux. Il commença à jouer tandis que les prunelles cendrées de la jeune fille le dévisagèrent discrètement. Enfin, elle osa lui demander si elle pouvait le prendre en photo. Évidemment, il accepta et se mit aussitôt à imiter les poses des mannequins que l'on peut apercevoir dans toutes sortes de magasines féminins. Il ouvrit ensuite les yeux. Sa bouche en cul de poule et son imitation du "regard de braise" la fit pouffer et elle se sentit bien, pour la première fois depuis longtemps. Elle captura ensuite avec enthousiasme les yeux rieurs du garçon qui la rendait euphorique.
Les verts et les marrons des végétaux environnants mirent en valeur les traits fins et le beau sourire de son nouveau modèle. Elle admira ses jolies fossettes, ses cheveux brillants et originaux, sa peau légèrement basanée, la petite cicatrice ronde qui ornait son front et ses grands yeux sombres remplis d'étoiles. Il semblait avoir le regard d'un enfant découvrant le monde, un regard unique et fantastique. Elle pensa alors qu'il était exceptionnel et qu'elle n'était qu'elle ; fade et insignifiante, se fondant dans la masse. Ils se quittèrent peu de temps après, aussi vite qu'ils étaient arrivés. Au grand damn de la jeune fille.
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Les deux tourtereaux répètèrent inlassablement le même refrain pendant des jours entiers. Ils se taquinaient, rigolaient, discutaient de choses et d'autres. Il lui apprenait la patience et la rendait heureuse, elle lui parlait de sa passion et le comblait de bonheur. Ils s'attachèrent rapidement l'un à l'autre, tandis qu'un nouveau sentiment s'insinua entre eux. Un jour, ce qui devait arriver arriva ; leurs lèvres se scellèrent en un doux baiser amoureux.
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- Saleté de piaf ! s'écria bruyamment Solea en attrapant sa gomme et en effaçant son œuvre d'un trait.
Depuis plusieurs heures déjà, elle essayait de dessiner un joli oiseau aux plumes irisées. Cependant, il ne cessait de bouger et la demoiselle n'arrivait donc pas à capter ses mouvements. Ainsi, chaque fois qu'elle détournait son regard, l'oiseau changeait de position. À côté d'elle, sa soeur, Nerea, très calme et concentrée, noircissait les pages de son petit carnet doré d'histoires, de poèmes, de phrases et de mots en tous genres.
Leur mère, elle, observait les feuillages, les arbres et la forêt en quête d'inspiration de photos pour son nouveau livre sur les animaux. Elle était devenue célèbre et, avec le temps, avait appris à aimer la vie. Leur père, lui, jouait de la guitare adossé à un arbre, les yeux fermés et le sourire aux lèvres. Malgré le fait qu'il soit mal rasé et qu'il ait un peu vieilli, il avait toujours le visage aussi beau, les yeux toujours aussi éclatants. De plus, maintenant, ses cheveux bleus avaient poussé et tombaient dans ses yeux, ce qui lui donnait un charme encore plus irrépressible qu'avant.
Quelques heures plus tard, lorsque le soleil commençait à se coucher, la petite famille récupéra ses affaires éparpillées un peu partout sur le sol couvert de mousse duveteuse. Nora, Charly, Solea et Nerea tournèrent ensuite les talons et entamèrent le chemin du retour tous les quatre, main dans la main, heureux d'avoir une raison d'exister, de vivre et d'aimer à n'en plus finir.
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FOCUS
Krótkie OpowiadaniaComment Nora rencontra Charly (ou la nouvelle sans but précis).