Ce n'était pas censé se passer ainsi

Ce n'était pas censé se passer ainsi. La journée avait pourtant bien commencé. Nous nous promenions, mes parents et moi dans les rues de Barcelone. Il faisait chaud, et les ruelles étaient noires de monde. Des gens venant du monde entier, venus ici pour oublier leur petit train-train quotidien, pour profiter du soleil et de la bonne humeur contagieuse des barcelonais. Oublier les désagréments de la vie et se détendre. Boire un verre en terrasse, se baigner dans l'eau chaude de la mer, sortir le soir, faire la fête, rencontrer des gens. S'amuser.

Ce n'était pas censé se passer ainsi. Nous étions sortis acheter des souvenirs, alors nous déambulions de stand en stand, dans la grande allée des Ramblas. Un petit air de musique se faisait entendre, égayant davantage l'atmosphère détendue qui planait dans la belle ville de Barcelone. Depuis le temps que je rêvais d'aller en Espagne! Mes parents m'y avaient emmenée pour mon anniversaire. J'étais heureuse.

Mais alors, des cris retentirent derrière mois, et la foule commença à courir dans tous les sens. Je fus emportée loin de mes parents, luttant en vain contre le flux de gens affolés. Je ne savais pas ce qu'il se passait, je n'entendais que les cris assourdissants des passants. Je commençai à paniquer.

Ce n'était pas censé se passer ainsi. Je cherchais désespérément mes parents. Mes oreilles bourdonnaient. Je ne savais pas où j'allais, j'étais totalement déboussolée. C'est alors que je vis au loin mon père, nos regards se croisèrent et nous courûmes l'un vers l'autre, nous enlaçant de toutes nos forces.

- Où est maman? demandai-je.
- Je ne sais pas, je l'ai perdue de vue dans la foule. Ne bouge pas d'ici.

Et il s'éloigna en courant, me laissant à nouveau seule. Désespérée, je m'élançai à sa suite.

Ce n'était pas censé se passer ainsi. J'appelais désespérément. Je déambulais entre les gens, ma vision était floue. Maman, maman où es-tu...

Je vis alors une camionnette arrêtée en plein milieu de la rue. Des gens étaient étendus sur le sol ; certains saignaient et appelaient à l'aide, d'autres pleuraient, et il y en avait d'autres qui ne bougeaient plus. Ma tête commença à tourner. J'avais peur.

C'est à ce moment que j'aperçus mon père agenouillé auprès d'un corps. C'est à ce moment que je vis ma mère, inerte. Mon sang se glaça.
Je m'étais arrêtée, immobile, plantée au milieu de cette scène cauchemardesque. Je regardai autour de moi ; le temps semblait s'être arrêté. Je pris tout d'un coup conscience de ce qui se déroulait, là sous mes yeux.

Ce n'était pas censé se passer ainsi. Je croyais que ce genre de chose n'arrivait qu'aux autres. Je ne m'étais pas rendue compte que j'étais désormais recroquevillée sur moi-même, les larmes coulant le long de mes joues. Pourquoi? Pourquoi? Tout se passait pourtant si bien...

Je crispai mes poings. Je m'étais relevée. La tristesse avait été remplacée par la colère. Un torrent d'émotions bouillait en moi. Cela devait cesser.
Je hurlai :

- Alors ça y est? Vous êtes contents de vous? Pendant que nous pleurerons nos morts, vous, vous les fêterez ! Vous n'êtes pas musulmans, vous n'êtes pas humains, vous n'êtes que de pauvres fous! Vous pourrez tuer autant d'innocents que vous voudrez, mais jamais, jamais vous n'aurez notre haine! Nous continuerons de sortir, nous continuerons de faire la fête, nous continuerons d'aller à des concerts, nous continuerons d'être heureux, nous continuerons de vivre! Vous pouvez bien faire ce que vous voulez, nous resterons unis!