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ce soir, il n'arrive pas à s'endormir. la mélodie régulière de l'horloge le rend malade, il n'arrive pas à brouiller son claquement malsain. il ferme les yeux de toutes ses forces, il s'hurle de dormir, il prie un Dieu auquel il ne croit pas; il veut dormir. pitié, laissez-le dormir.

mais il y a cette image qui le hante, cette séquence que son cerveau désarticulé ne souhaite pas effacer. il revoit le t-shirt parfaitement noir et cotonneux, l'étendue de peau parsemée de grains de beauté si petits qu'il avait pu ne jamais les apercevoir. c'était comme si un peintre avait dispersé d'infimes gouttelettes ambrées sur la surface beige et irrégulière de la peau. si seulement il avait pu ne jamais les apercevoir.

puis il se souvient des bras découverts, des bras que recouvre cette même peau. une peau qui poursuit sa course, qui s'étend sur le cou, qui dissimule la chair. puis il y a des cheveux, bruns, soyeux, qui retombent délicatement sur un front clair.

et ces yeux, ces putain de yeux qui s'égayent de bronze lorsque le soleil se décide à y insuffler la vie. aussi, le nez n'est pas tout à fait droit, mais s'harmonise avec le reste du visage, avec les lèvres pas tout à fait suaves et les creux pas tout à fait proportionnels. il n'arrive pas à se dégager de l'emprise du portrait.

il veut dormir.

il supplie. il supplie le néant de le comprendre. pourquoi n'arrive-t-il pas à comprendre ?

lui-même n'arrive pas à comprendre. il ne comprend pas le rythme cardiaque déréglé, le besoin, l'attraction. il ne comprend pas.

il veut dormir. il demande simplement à dormir.

il ne veut plus penser. il ne veut penser ni aux grains de beauté, ni au nez pas tout à fait droit, ni aux lèvres pas tout à fait suaves. a-il même le droit d'y penser ? il ne sait pas. il ne sait pas s'il est autorisé à exister dans l'intimité de son crâne. il n'arrive pas à cesser de penser au il. il a peur de prononcer son nom à voix haute. il a peur d'en couvrir le papier. et s'ils découvrent ? il ne sait pas bien de qui il se cache, à vrai dire. est-ce de ses parents, de son reflet dans le miroir, ou de Celui en qui ils le poussent à croire ? il veut ignorer. il veut ignorer cet il. il veut ignorer le plomb dont est garnie sa poitrine.

il veut dormir.

il nie.

il nie mais n'arrive pas à dormir en niant.

il veut trouver un moyen de dormir. mais l'horloge, plus meurtrière que jamais, continue de faire sonner le glas de la pénitence, glaçant son coeur déjà meurtri. alors il nie, il continue de nier. il mord ses doigts, il veut que la douleur l'éloigne de la douceur du visage dont il ne veut plus se rappeler. il ne comprend pas d'où vient la chaleur qui englobe ses organes alors qu'il est frigorifié. foutu corps. il continue de presser ses molaires, il gémit, il se débat. il n'y a pas de monstre sous son lit, mais il y en a un dans sa tête.

il veut dormir.

il n'arrive pas à dormir en niant.

est-ce que cela signifie qu'il doit accepter ? doit-il accepter les grains de beauté, le nez pas tout à fait droit et les lèvres pas tout à fait suaves ?

la réponse ne vient pas.

mais il n'arrive pas à dormir en niant.

alors il tente d'accepter.

cold teaWhere stories live. Discover now