Chapitre 14 : La joue écorchée

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  Sophie etait etais encolère  ; c'est un nouveau défaut dont nous n'avonspas encore parlé.Un jour elle s'amusait à peindre un de ses petits cahiers d'images,pendant que son cousin Paul découpait des cartes pour en faire des paniersà salade, des tables et des bancs. Ils étaient tous deux assis à unepetite table en face l'un de l'autre ; Paul, en remuant les jambes, faisaitremuer la table.« Fais donc attention, lui dit Sophie d'un air impatienté ; tu poussesla table, je ne peux pas peindre. »Paul prit garde pendant quelques minutes, puis il oublia et recommençaà faire trembler la table.« Tu es insupportable, Paul ! s'écria Sophie ; je t'ai déjà dit que tum'empêchais de peindre. »Paul. – Ah bah ! pour les belles choses que tu fais, ce n'est pas la peinede se gêner.57Les malheurs de Sophie Chapitre XIVSophie. – Je sais très bien que tu ne te gênes jamais ; mais, comme tume gênes, je te prie de laisser tes jambes tranquilles.Paul, d'un air moqueur. – Mes jambes n'aiment pas à rester tranquilles,elles bougent malgré moi.Sophie, fâchée. – Je les attacherai avec une ficelle, tes ennuyeusesjambes ; et, si tu continues à les remuer, je te chasserai.Paul. – Essaie donc un peu ; tu verras ce que savent faire les pieds quisont au bout de mes jambes.Sophie. – Vas-tu me donner des coups de pied, méchant ?Paul. – Certainement, si tu me donnes des coups de poing.Sophie, tout à fait en colère, lance de l'eau à la figure de Paul, qui, sefâchant à son tour, donne un coup de pied à la table et renverse tout cequi était dessus. Sophie s'élance sur Paul et lui griffe si fort la figure, quele sang coule de sa joue. Paul crie ; Sophie, hors d'elle-même, continue àlui donner des tapes et des coups de poing. Paul, qui n'aimait pas à battreSophie, finit par se sauver dans un cabinet, où il s'enferme. Sophie a beaufrapper à la porte, Paul n'ouvre pas. Sophie finit par se calmer. Quand sacolère est passée, elle commence à se repentir de ce qu'elle a fait ; elle sesouvient que Paul a risqué sa vie pour la défendre contre les loups.« Pauvre Paul, pensa-t-elle, comme j'ai été méchante pour lui ! Commentfaire pour qu'il ne soit plus fâché ? Je ne voudrais pas demanderpardon ; c'est ennuyeux de dire : « Pardonne-moi... » Pourtant, ajouta-telleaprès avoir un peu réfléchi, c'est bien plus honteux d'être méchant !Et comment Paul me pardonnera-t-il, si je ne lui demande pas pardon ? »Après avoir un peu réfléchi, Sophie se leva, alla frapper à la porte ducabinet où s'était enfermé Paul, mais cette fois pas avec colère, ni en donnantde grands coups de poing, mais doucement ; elle appela d'une voixbien humble : « Paul, Paul ! » Mais Paul ne répondit pas. « Paul, ajoutat-elle,toujours d'une voix douce, mon cher Paul, pardonne-moi, je suisbien fâchée d'avoir été méchante. Paul, je t'assure que je ne recommenceraipas. »La porte s'entr'ouvrit tout doucement, et la tête de Paul parut. Il regardaSophie avec méfiance :« Tu n'es plus en colère ? Bien vrai ? lui dit-il.58Les malheurs de Sophie Chapitre XIV— Oh non ! non, bien sûr, cher Paul, répondit Sophie ; je suis bien tristed'avoir été si méchante. »Paul ouvrit tout à fait la porte, et Sophie, levant les yeux, vit son visagetout écorché ; elle poussa un cri et se jeta au cou de Paul.« Oh ! mon pauvre Paul, comme je t'ai fait mal ! comme je t'ai griffé !que faire pour te guérir ?— Ce ne sera rien, répondit Paul, cela passera tout seul. Cherchonsune cuvette et de l'eau pour me laver.Quand le sang sera parti, il n'y auraplus rien du tout. »Sophie courut avec Paul chercher une cuvette pleine d'eau ; mais il eutbeau tremper son visage dans la cuvette, frotter et essuyer, les marquesdes griffes restaient toujours sur la joue. Sophie était désolée.« Que va dire maman ? dit-elle. Elle sera en colère contre moi et elleme punira. »Paul, qui était très bon, se désolait aussi ; il ne savait qu'imaginer pourne pas faire gronder Sophie.« Je ne peux pas dire que je suis tombé dans les épines, dit-il, parceque ce ne serait pas vrai... Mais si,... attends donc ; tu vas voir. »Et voilà Paul qui part en courant ; Sophie le suit ; ils entrent dans lepetit bois près de la maison ; Paul se dirige vers un buisson de houx, sejette dedans et se roule de manière à avoir le visage piqué et écorché parles pointes des feuilles. Il se relève plus écorché qu'auparavant.Lorsque Sophie voit ce pauvre visage tout saignant, elle se désole, ellepleure.« C'est moi, dit-elle, qui suis cause de tout ce que tu souffres, monpauvre Paul ! C'est pour que je ne sois pas punie que tu t'écorches plusencore que je ne l'avais fait dans ma colère. Oh ! cher Paul ! comme tu esbon ! Comme je t'aime !— Allons vite à la maison pour me laver encore le visage, dit Paul.N'aie pas l'air triste, ma pauvre Sophie. Je t'assure que je souffre très peu ;demain ce sera passé. Ce que je te demande seulement, c'est de ne pas direque tu m'as griffé ; si tu le faisais, j'en serais fort triste et je n'aurais pasla récompense de mes piqûres de houx. Me le promets-tu ?— Oui, dit Sophie en l'embrassant ; je ferai tout ce que tu voudras. »59Les malheurs de Sophie Chapitre XIVIls rentrèrent dans leur chambre, et Paul retrempa son visage dansl'eau.Quand ils allèrent au salon, les mamans qui y étaient poussèrent uncri de surprise en voyant le visage écorché et bouffi du pauvre Paul.« Où t'es-tu arrangé comme cela ? demanda Mme d'Aubert. Monpauvre Paul, on dirait que tu t'es roulé dans les épines.Paul. – C'est précisément ce qui m'est arrivé, maman. Je suis tombé,en courant, dans un buisson de houx, et, en me débattant pour me relever,je me suis écorché le visage et les mains.Madame D'Aubert. – Tu es bien maladroit d'être tombé dans ce houx,tu n'aurais pas dû te débattre, mais te relever bien doucement.Madame De Rean. – Où donc étais-tu, Sophie ? Tu aurais dû l'aider àse relever.Paul. – Elle courait après moi, ma tante ; elle n'a pas eu le temps dem'aider ; quand elle est arrivée, je m'étais déjà relevé.Mme d'Aubert emmena Paul pour mettre sur ses écorchures de lapommade de concombre.Sophie resta avec sa maman, qui l'examinait avec attention.Madame de Rean. – Pourquoi es-tu triste, Sophie ?Sophie, rougissant. – Je ne suis pas triste, maman. Madame de Rean. – Si fait, tu es triste et inquiète comme si quelquechose te tourmentait.Sophie, les larmes aux yeux et la voix tremblante. – Je n'ai rien, maman; je n'ai rien.Madame de Rean. – Tu vois bien que, même en me disant que tu n'asrien, tu es prête à pleurer.Sophie, éclatant en sanglots. – Je ne peux... pas... vous dire... J'ai...promis... à Paul.Madame de Rean, disrant Sophie. – Écoute, Sophie, si Paul a faitquelque chose de mal, tu ne dois pas tenir ta promesse de ne pas me ledire. Je te promets, moi, que je ne gronderai pas Paul, et que je ne le diraipas à sa maman ; mais je veux savoir ce qui te rend si triste, ce qui te faitpleurer si fort, et tu dois me le dire.Sophie cache sa figure dans les genoux de Mme de Réan, et sanglotesi fort quelle ne peut pas parler.60Les malheurs de Sophie Chapitre XIVMme de Réan cherche à la rassurer, à l'encourager, et enfin Sophie luidit :« Paul n'a rien fait de mal, maman ; au contraire, il est très bon, et il afait une très belle chose ; c'est moi seule qui ai été méchante, et c'est pourm'empêcher d'être grondée et punie qu'il s'est roulé dans le houx. »Mme de Réan, de plus en plus surprise, questionna Sophie, qui luiraconta tout ce qui s'était passé entre elle et Paul.« Excellent petit Paul ! s'écria Mme de Réan ; quel bon cœur il a !Quelcourage et quelle bonté ! Et toi, ma pauvre Sophie, quelle différence entretoi et ton cousin ! Vois comme tu te laisses aller à tes colères et comme tues ingrate envers cet excellent Paul, qui te pardonne toujours, qui oublietoujours tes injustices, et qui, aujourd'hui encore, a été si généreux pourtoi.Sophie. – Oh oui ! maman, je vois bien tout cela, et à l'avenir jamaisje ne me fâcherai contre Paul.Madame de Rean. – Je n'ajouterai aucune réprimande ni aucune punitionà celle que te fait subir ton cœur. Tu souffres du mal de Paul, etc'est ta punition : elle te profitera plus que toutes celles que je pourraist'infliger. D'ailleurs tu as été sincère, tu as tout avoué quand tu pouvaistout cacher : c'est très bien, je te pardonne à cause de ta franchise.   

Les malheures de sophie.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant