Entre colère et souffrance

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Debout et droite devant la Giudecca, Perséphone attendait que Kanon daigne rentrer. Elle ne comprenait pas comment cet homme sans aucune règle comptait gérer les Enfers. Il était incapable de tenir un horaire ! Finalement rien n'avait changé depuis sa visite à Elysion. Elle avait pourtant cru que leurs relations s'étaient améliorées et que Kanon écouterait un peu plus. Mais non et la déesse l'attendait... encore. Après, il allait encore râler parce qu'elle envoyait les juges à sa recherche. Mais s'il n'en faisait pas qu'à sa tête non plus !

Derrière la divinité, Naïana attendait en silence le retour de son seigneur. Si elle appréciait la présence de son maître, il n'en était pas de même pour son petit compagnon à quatre pattes. Il fallait dire aussi qu'à chaque fois qu'elle s'approchait de Kanon, le chien infernal lui aboyait dessus de ses trois têtes. Il avait même failli la mordre. Une chance pour elle que Kanon l'ait arrêté à temps sinon à coup sûr Cerbère lui arrachait une jambe. Il était vrai qu'elle était morte mais pour elle, c'était une blessure faite à son âme et contrairement à un corps de chair vivante qui pouvait soigner, il était extrêmement difficile de panser une blessure faite à l'âme. Et servir correctement Kanon sans l'approcher de trop près n'était pas chose aisée.

Elle sortit subitement de ses pensées en entendant la déesse maugréer. Et Perséphone avait de quoi être mécontente, très mécontente même. Kanon était dans un état lamentable, pire que e qu'il avait déjà fait jusqu'à présent. Mais où avait-il encore été traîné pour être dans cet état de crasse absolue. De la tête au pied, il était recouvert d'une sorte de boue visqueuse noire et certainement collante.

Naïana se recroquevilla en voyant le regard de son seigneur. Il n'était pas content, ce n'était pas le moment de lui parler. Pourtant Perséphone s'avança vers lui mais avant qu'elle n'ait le temps de prononcer un mot, Kanon l'envoya balader comme il savait si bien le faire. Il s'approcha de la servante mais celle-ci recula, déjà Cerbère grognait après elle.

- La ferme ! ordonna le bleuté en tournant la tête vers l'animal pour appuyer son ordre.

Cerbère émit un dernier gémissement en se recroquevillant à son tour. Le seigneur des Enfers était en colère et ce n'était vraiment pas le moment de lui marcher sur les pieds. Kanon s'approcha encore de Naïana toujours repliée sur elle-même. Il voulait savoir comment sortir une âme de sa prison, de sa souffrance. Était-elle passé par là, elle-aussi ? Était-elle sortie de son enfer ou avait-elle échappée à son jugement ? Mais elle ne savait pas. Elle n'avait pas les réponses aux questions que lui posait Kanon. Et elle n'aimait pas l'odeur de la boue qui couvrait le corps du bleuté. C'était un mélange de profonde détresse et de souffrance. Et cela semblait mettre son seigneur très en colère.

- Prépare un bain de ...

- Je veux pas d'un bain ! rétorqua Kanon d'un ton abrupte en se tournant vers la déesse. Je veux savoir comment sortir une âme de ce purin nauséabond !

- Je ne discuterai pas avec toi dans l'était où tu es !

Et par là, la déesse ne parlait pas seulement de l'état de crasse dans lequel se trouvait le bleuté. Il n'était pas disposé mentalement à discuter. Naïana avait profité de cette intervention divine pour s'éclipser. Obéir rapidement lui permettait de s'éloigner du chien des Enfers qui ne la quittait pas de ses trois paires d'yeux malgré la remontrance de son maître.

Si Kanon s'était relativement laissé emmener dans la salle d'eau, Perséphone ne parvenait pas à le persuader de se plonger dans le bain chaud soigneusement préparé par Naïana. Il avait pratiquement fallu que Perséphone déshabille le bleuté de force. Du coup, elle s'était sali les mains sur ses vêtements qu'elle ferait brûler au passage. Et avant qu'il ne râle, elle rappela à Kanon qu'Eaque lui avait ramené plusieurs habits, il n'aurait qu'à choisir autre chose. Le pauvre juge avait eu suffisamment de réflexions désagréables à son retour alors qu'il avait les bras chargés de vêtements neufs. Donc, sans rien ajouter, elle poussa le bleuté dans l'eau parce que sinon, il n'y serait pas aller tout seul. Contrarié comme il était, il s'opposait à tout. Déjà qu'en tant normal... enfin bref.

Kanon avait eu juste le temps de retenir sa respiration avant que l'eau chaude ne l'enveloppe totalement. Il était en colère mais différemment. Ce n'était plus seulement dû à l'absence d'aide de la part des spectres lors de l'invasion. Non, c'était la souffrance que devait endurer les âmes. Qu'avaient-elle fait pour subir un tel châtiment ? Il faudrait qu'il vérifie, s'assurer que les âmes méritaient bien le châtiment qu'elles subissaient. Ou laisser. Il avait vu les lois. Les juges les avaient défendues avec ardeur. Si seulement ils avaient défendu leur monde avec la même ferveur, l'un d'eux aurait peut-être été digne de prendre la succession d'Hadès. Et lui, il ne serait pas là, à devoir diriger des hommes qui le méprisaient au plus au point. À part ça, il avait pensé faire un profond changement dans les lois mais finalement, elles lui avaient semblé plutôt bien faites. Alors certainement que les châtiments l'étaient tout autant.

Ouh là ! Il lui arrivait quoi, là ? Il se mettait du même avis qu'Hadès ! Ça n'allait pas du tout ça ! C'était à cause de cette eau. Tout à coup, il avait l'impression de se dissoudre dans le liquide parfumé. La souffrance s'évanouissait et de nouveau, il pouvait penser à autre chose qu'à cette souffrance. Mais sa colère n'avait pas diminuée, elle. Au contraire, il était encore plus en colère contre les spectres. Bien sûr, il n'avait pas demandé d'aide, il savait qu'il en aurait pas obtenu. Mais il y avait des limites à la bêtise. Même Cerbère était venu aider Kanon lorsque ce dernier était presque tombé dans cette mare de jus noire ! Et le spectre ? Avait-il bougé ? Non. Même pas pour aider le chien de son copain l'Egyptien ! C'était Kanon qui l'avait sorti parce que l'animal aussi avait failli tomber. Du coup, le bleuté avait basculé dans la mare. Et ce trou était beaucoup plus profond qu'il en avait l'air et Kanon avait pu en ressortir uniquement parce qu'il entendait Cerbère aboyer, il s'y était accroché pour ne pas sombrer totalement. Le spectre avait eu de la chance que Kanon ait été englué dans la souffrance des âmes parce que sinon, le bleuté l'aurait certainement envoyé dans ce trou pour qu'il puisse savoir ce que subissait les damnés à longueur de temps.

D'ailleurs, c'était peut-être ce qu'il allait faire, histoire que les spectres comprennent les souffrances des âmes. Peut-être qu'ils seraient plus respectueux envers elles, après ça !

Enfin, Kanon sortit la tête hors de l'eau. Perséphone se serait presque inquiétée. Mais après la prestation du bleuté à Elysion, elle avait fini par penser que, même en temps qu'humain, il ne devait pas être facile de s'en débarrasser. Alors maintenant qu'il était un dieu... Elle le regarda se tourner vers elle. Il était séduisant. Quelle divinité s'était pencher au-dessus de son berceau pour qu'il ait un corps aussi parfait ?

Elle se rapprocherait bien de nouveau de lui mais la dureté de son regard l'en dissuada. Ce n'était surtout pas le moment d'aller le chatouiller. Elle attendit simplement qu'il lui fasse une réflexion. Parce quelle que soit la raison de sa colère, elle en ferait les frais.

Mais il n'en fut rien. Kanon resta silencieux.

Le sourire de KanonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant