Chapitre 1

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Je me laisse tomber contre le dossier du fauteuil, fermant les yeux pour retenir la nausée qui ne cesse de m'assaillir depuis tout à l'heure. Depuis l'instant où j'ai mis les pieds dans ce camp immonde.

Je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi papa m'a demandé d'aller faire son marché. Il sait que je déteste plus que tout me retrouver à cet endroit. Il sait ce que cela me fait de voir mes anciens compagnons d'infortune.

Je me frotte le visage à deux mains tandis que je sens la voiture se mettre doucement en marche. Je n'arrive pas à croire que je me sois retrouvé dans cette situation. Le regard haineux que m'a lancé mon ancien ami reste gravé sur mes rétines.

Jess et moi avions passé pas mal de temps ensemble lorsque j'étais jeune. Nous avions pas mal joué tous les deux. Mais lorsqu'il m'a reconnu au moment où j'ai passé les portes du camp, j'ai vu les émotions se succéder sur son visage.

Tout d'abord l'incrédulité. Ca fait tout de même presque quinze ans que j'ai été sorti du camp par papa. Me revoir à cet endroit en aussi bonne forme a très certainement dû l'étonner.

Ensuite la joie de me revoir vivant. Il a dû croire toutes ses années que je m'étais fait bouffer par le grand méchant vampire. Ce qu'il ne sait pas, c'est que les vampires ne tuent que très rarement la nourriture qu'ils achètent. En réalité, les humains sortant des fermes d'élevages mourraient plus souvent de vieillesse que de mort subite.

En allant vivre avec Drake, j'avais fait d'énormes découvertes sur les vampires. Déjà , ils n'étaient pas vraiment les monstres sanguinaires que nos légendes humaines voulaient nous faire croire. Bien sûr, ils se nourrissaient du sang des humains, et devaient faire en sorte d'en avoir toujours à portée de main. Mais ils ne tuaient pas leurs victimes.

Bien au contraire, ils faisaient tout pour les maintenir en vie le plus longtemps possible pour ne pas avoir à racheter un humain. Parce qu'il ne faut pas croire, mais il faut tout de même débourser une somme assez rondelette pour acquérir un humain. Tout le monde ne peut pas se permettre une telle dépense.

C'est d'ailleurs pour ça que mon père a mis en place un système de reprise. Lorsqu'un de ses humains commence à devenir un peu vieux pour ses goûts, il en fait don à la communauté, en échange d'un tout petit prix, et peut retourner en chercher un autre.

Je soupire doucement en sentant les remous de la voiture, m'indiquant que nous allons bientôt arriver en vue de la maison. Je rouvre doucement les yeux pour regarder la rue défiler au travers de la fenêtre.

Le visage haineux de Jess me revient alors, et mon ventre se contracte douloureusement. J'ai bien vu dans son regard qu'il m'en voulait. Je n'ai pas vraiment compris pourquoi, mais j'ai bien reconnu la haine qu'il pouvait avoir pour moi.

Nous passons le haut portail en fer forgé avant que la voiture ne s'arrête tout en douceur, les pneus crissant sur le gravier. Je pousse un petit soupir, pas vraiment prêt à faire mon rapport à mon père.

Je sais pourquoi il m'a envoyé moi dans ce camp. Théoriquement, dans deux mois, j'atteindrais mes vingt-cinq ans, et c'est cette date qu'il a choisie pour me faire passer de son côté de l'évolution.

Je me souviens parfaitement de ce jour dix ans plus tôt, où je me suis planté devant lui, tendant mon cou à son attention, lui demandant de faire de moi un vampire. Papa m'a regardé avec un petit sourire ironique, avant de me faire asseoir assez brutalement sur le fauteuil en face de son bureau.

Il m'a expliqué que j'étais encore trop jeune pour le rejoindre. J'ai commencé à tempêter avant qu'il ne m'arrête de son regard dur. Il m'a alors dit de sa voix la plus froide qu'il pouvait tout à fait faire de moi un vampire tout de suite, mais dans ce cas, je devrais finir le reste de ma vie dans le corps d'un adolescent de quinze ans.Personne ne me prendrait jamais vraiment au sérieux à cause de mon air de gamin.

Dans L'antre du Loup (sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant