Le Voleur du Temps

J'ai grandi. J'ai oublié celui que j'étais. Autrefois. Le fil de mes souvenirs s'est glissé entre mes doigts. S'est déposé dans une mer infinie. Un océan de l'oubli. Comme si le passé n'avait jamais été. Prisonnier du temps. 

J'ai vu un marchand. Vêtu de noir, ne faisait qu'un avec l'ombre des jours qui s'écoulaient. Des mèches couleur de jais camouflaient son visage. On ne pouvait que discerner un rictus, une pointe d'amusement. Il disait vendre des souvenirs. Pouvoir remonter le temps.

Ses yeux se sont dévoilés à travers l'obscurité. Ses mèches laissaient découvrir un regard vide dévoré par les ténèbres. Un gouffre familier et sans fin dans lequel on aurait pu se plonger pour l'éternité. Jusqu'à la fin des temps.  

Puis, une machine. Des millions d'engrenages, poulies et autres mécanismes. Ding! Dong! Douze coups dans la nuit. Un jour s'éteint, un nouveau se lève. L'homme me tend la main. M'amène au cœur des âges, me transporte dans un univers innocent, naïf, dépourvu de quelconque sens. Le monde de mon enfance. Lui, autrefois engouffré sous les remous d'un océan consumé par le souffle des événements, le voilà qui a su resurgir des ombres du temps.

Un coffre au trésor s'ouvre. Une parade de jouets se dessine à travers le néant. Un ourson en peluche. Cheval à bascule. Bilboquet, ballon, petites voitures. Blocs de couleur, billes multicolores, reflétant les couleurs de l'arc-en-ciel. Tendres souvenirs oubliés, perdus dans la mer du temps.

Un enfant joue, seul. Me scrute du regard. Regarde le miroir de l'âme corrompue qu'il deviendra. En l'espace d'un soupir, se reconnaît. Se retrouve. Voyage à travers le temps.

La lumière s'envole, volée par le marchand de souvenirs. Le voleur du temps.