Chapitre 3 - Avis de tempête

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  Les mois qui suivirent l'événement de la sortie scolaire se déroulèrent étonnamment bien, pour Emeric. Ses trois harceleurs réguliers n'osant plus l'approcher suite à l'incident dans les rochers, le garçon pouvait enfin passer ses récréations en paix, sans être embêté pendant ses moments de lecture. Ses seuls drames quotidiens consistaient à louper les notes maximales de ses évaluations d'un demi-point. Mais Emeric se projetait déjà à Poudlard. Avec l'autorisation de son père, il avait obtenu le droit de consulter certains anciens manuels qu'Eugene avait utilisé pendant sa scolarité. Ainsi, se disait-il, il prendrait un peu d'avance pour être prêt pour le jour J.
La magie n'était pas réapparue depuis la sortie scolaire, peut-être au plus grand soulagement d'Amy. Mais cette dernière savait que seules de puissantes émotions pouvaient déclencher ce genre de phénomènes chez certains enfants. En l'occurrence, la colère.
Les saisons défilèrent, mais la routine se poursuivait. Amy parcourait le monde pour ses concerts, suivie par son fils quand cela lui était permis. D'autres fois, il restait avec son père. Comme cette journée de juillet.
Malgré les vacances, Emeric continuait de se lever aux aurores et, réveillé par le bruit, Eugene l'avait rejoint dans la cuisine, pendant que le garçon, debout sur la pointe des pieds, mettait des tranches de pain dans le toaster pour préparer les tartines.

— J'aurais pu les faire griller en deux secondes avec la baguette, tu sais, fit remarquer Eugene, en s'étirant, les yeux encore alourdis par le sommeil.
— Je sais ! s'exclama Emeric. Mais je voulais te faire la surprise ! Un petit-déjeuner au lit !

Touché par cette délicate attention, Eugene s'approcha et frotta la tête échevelée de son fils.

— Quel est ton programme, aujourd'hui ? se renseigna-t-il auprès d'Emeric.
— Le même qu'hier !
— Merlin, j'ai jamais connu un gamin qui lisait autant que toi !
— Et puis je ferai un peu de piano en attendant que maman revienne. Elle m'a dit que son avion arrivait à 10h. Le temps qu'elle prenne le train, plus le taxi... Elle arrivera avant le repas de ce soir !
— Et plus au courant que moi...

Eugene soupira en s'asseyant à table tandis qu'Emeric guettait les toasts. Le garçon les disposa dans une assiette qu'il apporta à table, avant de grimper sur la chaise devant les fourneaux pour porter à deux bras la lourde théière en fonte qui sifflait.

— Merci, fiston.
— Pas de quoi !

Ils tartinèrent leur pain grillé et dégustèrent leurs premières gorgées, l'un de thé, l'autre de chocolat chaud, en silence. Puis, Emeric posa la première question : la première d'une longue lignée.

— Papa ?
— Hm ?
— Qu'est-ce qu'il t'a dit, précisément, le Choixpeau ? Quand tu as été réparti ?
— Oh. Pas grand-chose de spécial. Je ne m'en souviens même plus. Sûrement un truc comme quoi j'aimais bien rendre service, que j'étais tolérant, même si j'étais arrêté sur certains de mes principes. Je crois. Quelque chose comme ça.
— Tu regrettes d'avoir été envoyé à Serdaigle ?
— Pas le moins du monde. C'était chouette. C'était calme. Très studieux. Ça me correspondait tout à fait.
— Je pense que j'irai à Serdaigle aussi ! Parce que j'adore apprendre !
— Ca ne m'étonnerait pas, en effet !
— Je serais dans la même maison que toi. C'est chouette. Peut-être même dans le même dortoir !
— Possible. Rien ne change à Poudlard. Tu peux y retourner un siècle après, cette école n'aura pas bougé d'une poussière.

Emeric touilla son chocolat pour faire remonter ce qui était retombé au fond. Sa mine s'assombrit :

— Je suis triste pour maman...
— Pourquoi ? se soucia Eugene.
— Parce qu'elle n'a pas été à Poudlard. Elle a loupé trop de choses. Et maintenant qu'elle sait que je suis un sorcier, j'ai l'impression qu'elle est tout le temps triste et heureuse en même temps.
— C'est toujours très difficile pour maman d'accepter, tu sais. Pas pour toi, mais pour elle. C'est injuste, la vie est ainsi faite...
— Mais elle est si gentille ! Et très intelligente ! Elle aurait été la meilleure des sorcières !
— Certainement.
— Mais pourquoi elle n'a pas voulu travailler dans le monde des sorciers ? Il y a des cracmols qui le font.
— Parce que ça la renvoyait sans cesse à ce qu'elle n'était pas. Et plutôt que de voir ses échecs et ses déconvenues, elle a préféré se plonger dans la passion qui a réussi à la sauver.

Leur discussion fut interrompue par l'arrivée du hibou livreur de journal.

— Laisse, je m'en occupe ! bondit Emeric avant même que son père n'ait pu esquisser un geste.

Le garçon récupéra quelques mornilles disposées dans une coupelle et les déposa dans la serre ouverte de l'oiseau, qui consentit alors à lui laisser un exemplaire de la Gazette du Sorcier. Emeric jeta alors un œil curieux sur la une assez sinistre.

« Un mois depuis le drame ; la mort d'un premier champion, les confabulations du second. Harry Potter dit-il la vérité à propos de Vous-Savez-Qui ? »

— Ce ne sont pas des choses pour toi, le coupa Eugene en lui arrachant presque la Gazette des mains.
— Je peux comprendre les trucs des grandes personnes ! répliqua Emeric.
— Non, Emeric. Pas ce genre de sujet...

L'ambiance était retombée tandis qu'Eugene hésitait à lire devant son fils.

— Et si c'était vrai ? couinait Emeric. Que Tu-Sais-Qui est de retour ?
— Il n'est pas de retour. Il est mort.
— Qu'est-ce que tu en sais ? Harry Potter le dit !
— Harry Potter est un gamin de quatorze ans obsédé par ce mage noir à cause de tout ce qu'il a vécu. Et même si j'ai beaucoup de respect pour Dumbledore, qui dit que c'est pas lui qui l'influence pour raconter ce genre de bobards.
— Mais si c'était vrai... répétait Emeric.
— Si c'était vrai ? Alors, on serait mal. Très mal.
— Tu as connu la guerre, papa.
— Oui... Et je ne souhaite à personne de la revivre. Même si je n'étais pas touché de près. J'étais finalement assez épargné, tant que je restais à ma place. Mais c'était difficile...
— Je ne comprends pas pourquoi les sorciers font la guerre. Nous avons déjà de la chance de pouvoir utiliser la magie. C'est une richesse ! Les gens se battent pour quoi, alors ?
— Des bêtises. Des inutilités. Certains ne sont pas d'accord avec les politiques concernant les Moldus. Ou même les Cracmols. Tu sais, maman n'a pas toujours vécu des moments faciles... Il y a toujours des gens pour te rappeler qui tu es et d'où tu viens.

Emeric fronça les sourcils de colère en imaginant d'autres sorciers se moquer de sa mère du fait de sa nature ou la chasser, la repousser. Aux yeux de certains, elle devait représenter une erreur de la nature, une honte du monde des sorciers.

— Si jamais il y a la guerre, je me battrai pour ça !
— Emeric, je ne te souhaite pas de connaître la guerre, lui répéta Eugene, grave. Alors ne dis pas des choses comme ça, d'accord ?

***

Les faits restèrent en suspens des mois entiers. Des mois pendant lesquels l'idée se dissimula dans un coin de la tête d'Emeric, sans jamais la quitter, mais sans l'obséder. Mais il sentit que l'ambiance à la maison devenait de plus en plus tendue. Amy partait de moins en moins à l'étranger, déclinant certaines invitations pour des concerts. Eugene était encore moins loquace qu'à l'habitude et se précipitait de manière très étrange sur la Gazette du matin, comme pour éviter qu'Emeric n'en prenne l'initiative. Le garçon n'était pas dupe. On refusait de lui dire ce qu'il se passait.
Jusqu'au soir où, ne parvenant à l'endormir, il se glissa jusqu'au salon et entendit la discussion de ses parents :

— Je ne suis pas convaincu par l'idée...
— Tu as une autre solution ?
— Ça serait rendre les choses encore plus factices.
— On doit le protéger. Peu importe les moyens...

Le soupir d'Amy fit trembler Emeric, tapi dans l'ombre d'un mur.

— Si on ne le fait pas, qui sait ce qu'il risque.
— C'est ridicule ! Je suis son père, je l'ai reconnu comme tel !
— Je ne suis pas sûre qu'ils s'attarderont sur ce genre de détails. Officiellement, tant que nous ne sommes pas mariés, Emeric sera considéré comme un Né-Moldu. Et tu sais ce que cela signifie ! Nous avons vécu la guerre ! Il n'aura pas de baguette. Il n'ira pas à Poudlard. Il pourra être écarté, peut-être pire encore... Parce qu'il sera vu comme le fils d'une Cracmolle. Eugene, je t'en prie. Pense à lui.
— Je ne fais que ça !
— Ca ne me plait pas non plus comme plan. Tu sais ce que je pense du mariage ! Mais nous n'avons pas le choix... Nous devons le faire pour Emeric. Pour qu'il soit reconnu comme Sang-Mêlé.
— Sang... sang... Tu parles comme eux !
— Je n'ai pas le choix, je ne peux pas faire autrement !
— Ce n'est pas le sang d'Emeric qui détermine qui il est !
— Je le sais tout autant que toi. Mais tu dois voir les choses de leur regard... Car hélas, s'ils reviennent, s'ils reprennent le pouvoir, nous n'aurons pas d'autre choix que de nous plier pour survivre. Tant qu'Emeric est encore jeune...
— Et si nous partions ? Au Canada, en Australie...

La suggestion fit bondir le cœur d'Emeric dans sa poitrine, mais Amy posa des mots sur ce qu'il ressentait à ce moment précis :

— Emeric a toujours rêvé d'aller à Poudlard. Il est déjà trop différent des enfants qu'il fréquente. Et tu veux lui enlever ça ?
— Il y a d'autres écoles de sorcellerie dans le monde.
— S'il y a bien une chose que je ne veux pas qu'on perde durant cette guerre, c'est la joie et les rêves d'Emeric. Je ferai n'importe quoi pour cela.

Sa voix avait faibli peu à peu, ponctuée de tremolos. Puis ses sanglots furent rattrapés par l'étreinte d'Eugene, qui la consola en la blottissant contre lui.

— Je sais, ma chérie... Je sais.

***

Le lendemain matin, au petit-déjeuner, Emeric n'avoua rien à sa mère à table, son cartable à ses pieds. Ce fut elle qui prit l'initiative de la conversation.

— Il faut que je te dise quelque chose, Emeric, commença-t-elle, en posant son bol d'un air grave sur la table.
— Qu'est-ce qu'il y a ?

Amy rajusta ses lunettes sur son nez, geste qui marquait son angoisse.

— Ton père et moi... allons nous marier.

En connaissance de la discussion de la veille, Emeric aurait pu demander pour quelles raisons, afin de forcer Amy à lui avouer la vérité. Il aurait pu être furieux qu'ils aient pris une telle décision uniquement pour le protéger, et non par volonté de sceller leur amour. Mais Emeric ne voulait pas blesser ou froisser sa mère... Alors, il laissa éclater un sourire sur son visage :

— Mais c'est génial !

Amy, rongée par ses pensées sombres, ne s'attendait pas totalement à cette réaction, tandis qu'Emeric s'était levé, tout excité.

— J'attendais ça depuis tellement longtemps ! se réjouit-il. Je suis tellement content ! On va pouvoir faire une grande fête cet été ! Oh ! Tu penses que je pourrais être le garçon d'honneur ? Je suis votre fils !

Le sourire qui s'étira sur les lèvres roses d'Amy réchauffa le cœur d'Emeric. Et il voulut ne jamais le voir s'effacer.

***

Hélas, les faits dégénèrent plus vite que prévu, dans le monde des sorciers. Le Ministère tomba aux mains de Voldemort et de ses Mangemorts, le ministre Scrimgeour fut assassiné et Poudlard tomba aux mains des mages noirs, Severus Rogue à sa tête. Chaque jour qui passait rendait Emeric de plus en plus morose, car ses projets et ses espoirs semblaient t'étioler un peu plus.
Après un mariage civil très sobre et effectué en rapidité, Eugene et Amy décidèrent d'organiser une fête plus conséquente pour célébrer leur union au mois d'octobre 1997. Un moyen, selon eux, de détendre l'atmosphère, de se retrouver en famille, entre amis, et d'oublier la guerre, le temps d'une soirée.

— Tu rêvasses ?

Emeric, avachi sur une chaise qu'il avait retourné de manière à s'accouder sur le dossier, leva les yeux vers la femme qui venait de l'aborder. Il ne l'aurait pas entendue si elle ne s'était pas présentée face à lui, avec le bruit assourdissant de la musique d'ambiance, tandis que les invités dansaient. Les cheveux orange de Meg coupés en carré plongeant se remarquaient d'habitude à distance, mais les lumières de toutes les couleurs qui clignotaient dans la grande salle, lui permettaient de se fondre dans le lieu. La jeune femme, habillée d'une robe de soirée rouge, exhiba ses dents blanches dans un sourire radieux, ce qui éveilla d'un réflexe celui d'Emeric. Il remarqua derrière elle la petite fille qui se cachait dans ses jambes.

— J'observe, lui répondit-il. Je n'aime pas danser. J'ai peur de ne pas être en synchronisation. Et je ne veux pas être jugé. Je préfère quand c'est chorégraphié. Mais là, il faut danser n'importe comment... et je n'aime pas ça !
— Oui, mais ça te permettrait de t'amuser !

Elle attrapa une chaise et s'installa à côté de lui à sa manière, invitant la petite fille timide et au regard fuyant à prendre place aussi. La meilleure amie de sa mère le fixait avec un regard amusé.

— Ta maman se marie et tu tires une tête d'enterrement ? Gamin ingrat !
— Il y a trop de choses qui me travaillent.
— Hm. Tu ne voudrais pas devenir moins intelligent juste une petite heure, laisser tout ça de côté et t'amuser ?
— Comment veux-tu que je m'amuse ? s'indigna Emeric d'une voix aiguë. Avec tout ce qu'il se passe en ce moment.
— Allo, ta mère se marie ! répéta-t-elle d'une voix plus puissante.

Espérant le dérider un peu, Meg passa une main sur la tête échevelée de son filleul, mais ce dernier la lui repoussa doucement. Elle préféra en ricaner. Puis, elle se tourna vers la petite fille au regard vide.

— Cassandre, ma chérie, lui demanda-t-elle en lui attrapant le poignet. Tu pourrais aller ramener deux bouteilles de jus de citrouille, s'il te plaît ? Tu peux t'en prendre une aussi, si tu veux.

La fillette hocha la tête puis s'éloigna sans mot dire, évitant habilement et sans hâte les gens excités qui dansaient ou riaient sur son passage. Emeric l'avait observée avec curiosité.

— C'est elle, ta nièce ? Celle dont maman m'a parlé ?
— Oui, c'est Cassandre.

Meg soupira :

— Pauvre petite.
— Donc c'est vrai ? Ce qui lui est arrivé ? Avec l'accident de voiture ?
— Hélas, oui. Donc tu vois, relativise. Il y aura toujours des gens qui auront une vie pire que la tienne. Mais Cassandre m'inquiète un peu...
— Ah bon ? Pourquoi ?
— Elle me dit... qu'elle voit les morts. Et je ne sais pas trop quoi en penser.
— C'est impossible de voir les morts ! railla Emeric.
— Dans notre monde, où la magie existe, rien n'est impossible, Emeric...

Cassandre leur rapporta leurs boissons, qu'ils dégustèrent en silence, tout en observant les invités se déhancher sur quelques airs déchaînés. Emeric fixait sa mère, magnifique dans sa robe blanche, sobre et modeste. Amy avait échangé ses lunettes pour des lentilles et ses cheveux blonds avaient été arrangés en un chignon tressé, ne laissant dépasser que deux mèches bouclées pour l'occasion. Elle avait l'air si heureuse et cela le fit sourire.
Mais la question suivante de Meg le rattrapa :

— Et alors ? Tu en es où dans tes préparatifs ?
— Préparatifs de quoi ? s'étonna Emeric.
— De tes bagages.
— Bagages ? Quels bagages ?

Sentant qu'elle avait commis une énorme erreur, Meg blêmit et préféra ne rien répondre, avalant une grande gorgée de jus de citrouille. Mais le jeune garçon insista :

— De quoi tu me parles ?
— C'est pas moi qui devrais t'en parler, Emeric...
— Si ! se haussa-t-il, à la fois furieux et anxieux. Dis-moi, Meg. Je ne comprends pas...
— C'est ton père qui devrait te le dire, pas moi.
— Meg !

La jeune femme s'étrangla en croisant le regard d'Emeric. Il n'était pas en position de plaisanter et mieux valait-il ne pas le contrarier, elle le pressentait. Elle commença alors d'un ton placide :

— Tes parents pensent que ce n'est pas prudent de t'envoyer à Poudlard...
— Quoi ? s'étrangla-t-il.
— Avec ce qu'il s'y passe... Même ton nouveau statut de... « Sang-Mêlé » ne te protégera pas de la guerre malgré tout. Tu pourrais voir des horreurs...
— Donc ils veulent me garder ici ?
— Non, Emeric ! Ce n'est pas ça.
— Alors dis-moi !

Cassandre, à côté, s'était mise à frémir, les yeux fuyants, car détestant les disputes.

— Tes parents veulent partir d'ici. Ils pensent t'inscrire à Beauxbâtons.
— A B-Beauxbâtons ? Mais je ne veux pas aller à Beauxbâtons ! Je veux aller à Poudlard !

Des larmes avaient commencé à saillir dans les yeux d'Emeric.

— Tu pourras quand même pratiquer la magie, tenta de le rassurer Meg, mal à l'aise. Rencontrer d'autres jeunes sorciers.
— Ce n'est pas la même chose !

Furibond, Emeric se leva avec brusquerie et quitta les lieux en courant, sans que sa marraine ne puisse le retenir.

— Et merde...

Meg se leva à son tour mais trop tard : elle l'avait perdu dans la foule.

— Meg !

Surprise, la jeune femme se retourna vers cette main qui s'était posée sur son épaule et elle se retrouva nez-à-nez avec sa meilleure amie, réjouie par la soirée. Mais en remarquant sa face pâle, Amy se douta que sa joie n'était pas partagée.

— Meg, est-ce que ça va ?
— Je crois que j'ai fait une grosse boulette...

Elle lui raconta alors ce qu'elle avait avoué à Emeric et l'expression d'Amy se décomposa.

— Pourquoi tu le lui as dit ?
— Il a insisté ! Je... Je suis désolée, Amy, je n'aurais pas dû !
— Ça vaut bien la peine de t'excuser ! Tu lui dis ça maintenant !
— Arrête de me crier dessus ! Ton fils s'est fait la malle !

Amy soupira de rage.

— Je vais le chercher. Fais-en de même. Et ne dis rien à Eugene. On va essayer de trouver Emeric avant qu'il s'en inquiète.

Attrapant sa lourde robe de mariée, Amy se fraya un chemin dans la foule, appelant son fils, congédiant poliment ceux qui essayaient s'accaparer son attention. Mais son inquiétude devenait grandissante. Son instinct maternel lui murmurait qu'Emeric avait déjà quitté les lieux. Elle poussa la porte à battants de la salle des fêtes et une grande bourrasque la décoiffa.
Le vent soufflait fort dehors. La côte était sujette à ce genre de temps, mais Amy pressentait l'anormalité de la situation ; aucun avis de tempête n'avait été annoncé par la station météo.

— Emeric !

Sans réfléchir davantage, elle sortit en trottant. La fleur blanche dans ses cheveux fut emportée dans les airs.

— Emeric !

Les vents forts charriaient l'eau de mer, brouillant les verres de ses lunettes. Mais elle remarqua néanmoins une silhouette en contrebas, en descendant des falaises. Son cœur se mit à battre de plus en plus fort alors qu'elle reconnaissait son fils qui s'approchaient des vagues de plus en plus hautes et menaçantes.

— Emeric ! Emeric, reviens, je t'en prie !

Mais la tempête avalait ses cris. Amy se débarrassa de ses chaussures à talons et courut dans la descente de pierres, pieds nus, sans soucier de se les écorcher. Les tissus de sa robe volaient en tous sens.

— Emeric !

Le garçon s'était arrêté sur une grande roche surplombant la nuit rendue noire par la nuit et le mauvais temps.

— Emeric !

Il se retourna vers elle quand il perçut enfin sa voix. Mais son visage était défait par la tristesse et, par-dessous tout, par la colère. Amy tremblait, plus de peur que de froid. Elle lui tendit une main.

— Emeric, mon chéri, je t'en prie ! Rentrons !
— Pourquoi ? Pourquoi vous ne m'avez rien dit ? hurla Emeric.
— Nous allions t'en parler !
— Tu pensais que j'étais pas assez intelligent pour comprendre ? Pourquoi vous me cachez tout ? Pourquoi ?
— Je te dirai tout à l'intérieur, Emeric ! Mais rentrons ! On ne peut pas rester là !
— Je ne veux pas !

Un éclair déchira le ciel en synchronisation avec le hurlement aigu d'Emeric. Sa magie était telle, déchaînée, que la tempête amplifiait.

— Je ne veux pas aller à Beauxbâtons ! Je ne veux plus que vous me cachiez la vérité ! Je ne veux plus de vos mensonges !

Amy savait qu'elle devait le raisonner : seule la rationalité pouvait le ramener.

— Parfois, il vaut mieux ne rien dire pour ne pas blesser. Et tu le sais ! Je suis ta mère ! Et je t'aime, de tout mon cœur ! Rien que l'idée de te blesser me déchire... Mais je suis prête à tout pour toi ! Quitte à ce que tu me détestes ! Je t'aime et je veux la meilleure vie possible pour toi ! Tu feras de la magie ! Et tu seras un grand sorcier. Mais la guerre est là. Et tu le sais ! Tu sais ce que tu risques ! Je le sais, tu es brillant, tu comprends plus vite que n'importe qui. Mais je ne prendrai jamais le risque de te perdre. Tu comprends ? Je te préfère loin de moi, en France, heureux et épanoui, plutôt que de te savoir disparu et malheureux. Je ne veux pas que tu sois à la place où j'ai été... Emeric, je t'en prie, écoute-moi.

Elle tendit sa main un peu plus.

— Viens avec moi.

La tempête s'était apaisée autour d'eux, mais Amy était trempée de la tête aux pieds, ses égratignures rongées par le sel de l'eau de mer, ses cheveux collants sur son visage, sur lequel son maquillage avait coulé.
Cette image marqua Emeric. Amy était prête à tout pour lui. À gâcher sa soirée de mariage pour venir récupérer ses actions égoïstes. Il attrapa alors sa main et se précipita contre elle pour pleurer de tout son soûl. Les bras mouillés et grelottants d'Amy s'enroulèrent autour de lui.

— Je suis désolé, maman... Je suis désolé !
— Je sais...
— Je t'aime aussi. Et je n'ai pensé qu'à moi.
— Tu dois penser à toi, mon chéri. Tu dois... Je suis désolée de t'avoir blessé. J'aurai dû te dire tout.

Elle caressa les cheveux trempés de son fils. Les vagues s'étaient calmées et le vent était retombé.

— Rentrons. Les gens vont s'inquiéter. Et tu risques d'attraper froid.  

Estuant interius ira vehementiWhere stories live. Discover now