8 février 2022, mon deuxième anniversaire : voilà 20 ans que je revis, depuis qu'un éléphant m'a attaqué et blessé. J'en profite pour publier une version complétée du récit de cette aventure.
8 février 2002, dans les Monts de Cristal. Je suis sur la concession du Haut-Abanga, en mission pour superviser les équipes d'inventaire d'exploitation que nous venons avec Rougier Gabon de lancer afin d'améliorer la planification de l'exploitation.
Avec Emmanuel, un jeune ingénieur gabonais formé à l'Ecole du Cap Esterias, nous avons rejoint tôt dans la matinée notre équipe en forêt. Je n'ai pas pris de petit déjeuner, je n'en prends pas quand je me lève de bonne heure sur le chantier. Le travail se passe bien même si l'équipe n'a pas encore atteint le rythme visé.
Un peu avant 14 heures, nous prenons le chemin de retour pour rejoindre la voiture. La zone ayant déjà été exploitée par la précédente entreprise opérant sur la concession, nous profitons d'une ancienne piste de débardage pour marcher plus facilement que sur les layons d'inventaire, difficilement praticables dans cette forêt dense et vallonnée. Les éléphants font le même raisonnement et leurs traces sont nombreuses sur la piste.
Dans une descente, je signale à Emmanuel une forte odeur de fermentation, Emmanuel me montre le houppier d'un "Andok" que l'on aperçoit à une vingtaine de mètres de la piste, les mangues sauvages tombées de l'arbre pourrissent au sol. Emmanuel me rappelle que les éléphants sont friands de ces fruits qui les enivrent. Quelques secondes après avoir dépassé l'arbre, un grand vacarme nous fait sursauter dans la forêt déjà grouillante des bruits d'insectes. Un éléphant était là, à quelques pas, et nous ne l'avions pas vu, malgré sa taille, camouflé dans le sous-bois. Le géant de la forêt, jusqu'alors si discret, écarte ou écrase les arbustes, et les marantacées (plantes herbacées abondantes dans ce sous-bois). Un "broussard" aurait certainement senti, vu ou entendu l'éléphant, mais nous sommes finalement deux citadins, devenus ingénieurs forestiers, qui ne pourrons jamais apprivoiser la forêt et ses habitants comme le font les villageois de ce grand pays vert, boisé à plus de quatre-vingt cinq pour cent.
Nous courons pour fuir le danger, cependant je n'ai pas encore vraiment peur, j'ai déjà subi des charges d'intimidation, je pense que l'animal a pour seul but de nous éloigner. Je me remets donc après quelques secondes à marcher, j'ai eu certainement tort, peut-être la suite de l'histoire aurait été différente si j'avais eu plus tôt une peur salvatrice. Emmanuel lui n'a pas fait la même erreur, il a poursuivi sa course et m'a laissé seul derrière.
Cette fois-ci c'est un barrissement qui résonne. Et là je sens que je n'ai pas affaire à une charge d'intimidation. Pourquoi, je ne saurais le dire, peut-être le fait que l'éléphant insiste et m'ai suivi ou bien je sens son énervement dans la tonalité de son cri.
Alors je détale, je dévale la pente, toujours sur la piste de débardage. L'éléphant est là, il me suit, se rapproche peut-être, je ne sais pas, je ne l'ai pas vu encore, je regarde devant et essaie de ne pas trébucher sur les arbustes. Un gros tronc là, devant moi, je me cache derrière, me plaque contre l'arbre, tente de reprendre mon souffle et tend l'oreille. L'éléphant est là, tout près, probablement il lève sa trompe pour me retrouver grâce à son odorat très développé. Je l'entends gronder, pour la première fois de ma vie j'entends ce grondement sourd par lequel les éléphants communiquent. Combien de temps restons-nous là, de part et d'autre de cet arbre immense. Le temps n'existe plus en ce début d'après-midi, le monde est figé et je ne saurais dire si chacun des séquences de cette aventure a duré dix secondes ou cinq minutes.
Puis l'éléphant me sent, c'était inévitable, comme cela pouvait-il finir autrement ? Je n'ai fait que rester suspendu quelques temps à l'attente que mon odeur ne parvienne à ses narines. Il court, j'ai l'impression que la scène se passe au ralenti et plus tard le directeur d'exploitation de Rougier Gabon m'en fera un dessin humoristique, l'éléphant contourne le tronc, enfin je crois, je ne sais plus, je suis dans un rêve ? Je reprends la course, mais comment pourrais-je rivaliser avec le roi de la forêt dans son élément ? Ce serait déjà difficile en terrain découvert, mais là il écrase les branches sur lesquelles je trébuche ou que je dois enjamber. Ma seule chance serait qu'il me perde de vue, qu'il a très mauvaise, mais il est trop près. Je quitte la piste et tente de remonter la pente de la colline, il est là, toujours plus près, irrémédiablement toujours plus près.
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Le jour où un éléphant m'a blessé
Non-FictionLe 8 février 2002, dans les Monts de Cristal, un éléphant m'a chargé. 15 ans après, j'en fais le récit à la demande d'un ami retraité passionné par les éléphants.