La mort dans l'Âme

Chapitre VI: L'Eveil

Je soupire, Shin semble déterminée à me couvrir de honte toute la journée. Elle ne s'est d'ailleurs pas privée de tout raconter à Plume sur le chemin d'Unity. Cette dernière a alors été prise d'un fou rire qui a duré tout le trajet ainsi qu'une bonne partie de la première heure de cours. Elle glousse encore par moment en me regardant. D'un côté je me sens stupide et un peu blessé qu'elle se moque de moi comme ça, et d'un autre je suis content de constater que Plume est capable de rigoler comme tout le monde. Ma phase grognonne passée je me joins à Plume et rigole de la situation, comprenant enfin l'ironie de Shin. Finalement à la pause de midi cette dernière va discuter avec d'autres dieux de la mort. Je me tourne vers Plume, tout de même un peu inquiet.

« Tu crois qu'elle m'en veut ? »

Ma camarade aux cheveux blancs sourit. Elle jette un regard vers Plume avant de hausser les épaules, l'air désinvolte.

« Je ne pense pas. Après je ne la connait pas encore assez pour te donner une réponse sûre à 100%, mais ça ne ressemble pas à Shin d'en vouloir à quelqu'un pour ça. »

Je souris à mon tour, légèrement soulagé. Nous continuons à manger sans nous parler lorsque la voix de Shin attire mon attention. Elle semble se prendre la tête assez violemment avec ses compagnons dieux. Je dirige mon regard vers elle, curieux de savoir dans quel pétrin elle a encore réussi à se fourrer. Dès le début j'ai senti qu'ils ne s'entendaient pas très bien. Lorsque Shin est partie les voir l'ambiance était tendue et les visages des dieux étaient crispés. Je fais mine de me lever lorsque je sens que la discussion dégénère de trop, mais Plume me retient. Elle me fait non de la tête, l'air désolée.

« Tu ne peux rien faire, on ne peut pas les toucher. »

Je reste donc à ma place en pestant, sous le regard étonné de certains autres élèves. Plume observe la scène d'un œil attentif, elle aussi visiblement frustrée de ne pas pouvoir intervenir. Alors que nous contemplons, impuissant, Shin se faire malmener une femme assez grande aux cheveux rouges et à la peau pâle pénètre dans notre champ de vision. Elle semble se diriger le plus naturellement du monde vers la table réservée aux professeurs. Néanmoins Plume et moi décelons dans mal son geste anodin censé repousser une chaise. Du point de vue de tous elle se fraye un chemin parmi les tables vides ou remplies par des élèves attablés, mais de notre point de vue elle vient de coller la plus monumentale des baffes à l'adversaire de Shin. Ce dernier se retourne, furieux et déboussolé, mais l'étrange femme est déjà loin. Je soupire, soulagé pour notre amie, et entreprend de finir mon repas. Plume, quant à elle, semble pétrifiée. Shin, qui revient vers nous sans quitter sa présumée sauveuse des yeux, n'a pas très bonne mine non plus. Mes deux amies se regardent, l'air aussi choquée l'une que l'autre. Plume dégluti.

« Elle a touché un Dieu de la Mort... »

Shin hoche la tête. Je les regarde, étonné. Elles agissent comme si quelque chose de grave venait de se passer. Pendant ce temps, la femme qui a tout l'air d'être une prof semble nous observer. Je suis impressionné et en même temps intrigué lorsque je croise son regard. Elle a les yeux de deux différentes couleurs, le gauche de couleur verte et le droit d'un marron chocolat intense. Elle maintient le contact visuel quelques instants, puis détourne les yeux. Au moment où notre contact se rompt je sens le porte clef squelette vibrer dans ma poche. Je le sors et ses yeux s'allument de nouveau en rouge. Shin et Plume sont bien trop occupées à débattre de l'impossibilité de toucher un dieu de la mort, elles n'étendent même pas la voix saccadée et robotique de mon porte clef.

« Ne l'ignore pas. »

[...]

Nous sortons de l'école avec une demie heure de retard. Plume est restée discuter avec le professeur. Pendant ce temps j'ai été glaner quelques informations sur l'étrange femme de ce midi. J'ai ainsi appris qu'elle s'appelle Kyoshiro Yang, mais rien de plus. Alors que nous allions rentrer chez nous, Plume me tapote l'épaule.

« C'est le weekend demain, ça te dit que je te fasse visiter un peu plus la ville ? »

Un peu surprit que Plume ait envie de socialiser, je fais mine de réfléchir quelques secondes puis accepte avec joie. Après tout elle a raison, il faut en profiter tant qu'on ne croule pas sous le boulot. Plume bifurque vers chez elle une fois le lieu et l'heure du rendez-vous de demain fixé. Je regarde Shin qui m'adresse son plus beau sourire, et soupire.

« Je t'ai dit que tu pouvais squatter autant que tu le voulais. »

Elle saute légèrement avec un « yes ! » sonore, signe qu'elle va rester longtemps, trèèèès longtemps chez moi. Sur le chemin après de longues minutes de silence je décide finalement d'engager la conversation.

« En quoi c'est grave que la prof ait touché un des tiens ? »

Shin semble agacer en repensant à l'événement de ce midi. Elle tente de le cacher en me répondant sur un ton faussement neutre.

« Nous n'existons pas physiquement dans votre monde. Très rare sont les mortels capables de nous voir. Jusqu'à présent une seule humaine a été capable de toucher un dieu de la mort. »

Je hoche la tête, encore un peu perdu. La fin du trajet se fait dans le silence. Je comprends leur réaction, s'il n'y a eu qu'une seule personne capable d'un tel exploit elles devaient penser à juste titre que ce don était unique. Mais j'ai beau me creuser la tête à par ses cheveux je ne vois pas ce que cette prof pourrait avoir de spécial. Je décide d'arrêter d'y penser. Peut-être que la solution se présentera à moi sans que j'ai besoin de la chercher plus que ça. Je passe la porte et trouve Em avachie sur le canapé.

« Maman ne rentre pas ce soir, ça te dit un film ? »

Je soupire, elle doit être allée aider notre père au transport des affaires. J'accepte l'offre de ma sœur et en profite pour lui raconter ma journée. Intriguée et candide elle se lève et approche sa main de Shin. Sans grande surprise elle passe au travers de l'épaule de ma camarde. Après un papotage et un film sympa nous montons nous coucher. Je regarde Shin, qui me suis assidument.

« Comme ma mère ne dort pas là tu peux partager le lit de Em ce soir si tu veux. »

Shin n'hésite même pas et refuse poliment mon offre sans me donner de raison. Je ne cherche pas à comprendre, elle fait ce qu'elle veut. Nous allons donc nous coucher dans ma chambre et Em dans celle de notre mère.

[...]

Il fait beau, le temps parfait pour que Plume me traîne dans toute la ville à pied ! Finalement, alors que nous sommes en pleine balade, elle Shin et Em entrent dans un magasin de vêtement. Car oui, mon adorable petite sœur a grandement insisté pour que je l'emmène avec moi. Après tout elle non plus ne connait pas du tout la ville. J'ai donc accepté. Après tout, on ne se déteste pas tant que ça. Voyant les trois filles entrer et le look du magasin étant girly au possible je fais signe à Em que je les attends dehors. Elle sourit pour me faire savoir qu'elle a bien compris. J'espère qu'elles vont faire vite... Alors que je fais les cent pas devant la vitrine, une main se pose sur mon épaule.

« Tu es Edouard Urizen n'est-ce pas ? »

Je sursaute avant de me retourner brusquement. Celle qui a sauvé Shin la veille est là, juste devant moi. Ses yeux vairons me fixent avec autant d'attention que de curiosité. Elle arbore un magnifique carré plongeant d'un rouge carmin brillant. Sa peau est assez blanche, elle porte un top à manche découpées sur les épaules ainsi qu'un pantalon noir. Je hoche la tête, oui c'est bien moi... Mais comment le sait-elle ? Elle sourit, satisfaite.

« Elle m'a beaucoup parlé de toi ! Voyons de quoi tu es capable ! »

Elle saisit ma main et la cale contre sa poitrine. Je rougit et la regarde, perplexe.