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Gabriel Weiss




Lettre 25.

C'est l'automne. Tu sais, la période que tu aimes le plus. Avec papa, dès que l'aube se pointe, on s'assoit sur le perron et nous regardons les feuilles colorées tomber au sol, tout en pensant à toi. Je me rappelle encore le jour du 23 septembre. Tu n'arrêtais pas de m'agacer pour que je te prenne en photo sous les tas de feuilles ramassées, et puis nous finissons par sauter par-dessus celles-ci. Ça fait bizarre. Trop bizarre.




Lettre 32.

Maman ne va pas bien. Ça fait maintenant deux fois en une semaine que l'ambulance se pointe à la maison. La première fois, c'était parce qu'elle s'était couper le bras avec un couteau tranchant. La deuxième fois, papa n'a pas voulu me le dire. Il considère que je suis trop jeune pour être mis au courant. Mais, admets-le, grande-soeur, je mérite d'avoir autant de réponses que n'importe qui d'autres ? J'ai peut-être seulement dix ans, sauf que je ne suis pas idiot. Je le vois bien, maman souffre.




Lettre 36.

Aujourd'hui, un élève m'a frappé au visage. Tout s'est passé si vite. Je n'ai même pas eu le temps de remarquer que mes poings avaient répliqué, qu'il se trouvait déjà par terre, la bouche en sang. D'après la maîtresse, je lui ai cassé deux dents. Le pire dans tout ça, c'est que je ne regrette pas du tout. Il le méritait. Il n'avait aucun droit de parler de toi, ou juste, de parler de cet incendie. Ça m'a fait tellement du bien de le frapper. Une chose est sûre : c'est que maman et papa ne seront pas contents lorsqu'ils apprendront la nouvelle !




Lettre 39.

Davia, on a besoin de toi, sur terre. J'ai besoin de toi. Tout va mal. Notre famille est en train de s'effondrer et je ne peux rien y faire. J'essaie de ne pas pleurer, de rester fort et solide pour eux et pour toi. Sauf que, suis-je né pour tenir ce rôle toute ma vie ? Il y a bien un jour où se sera moi qui s'effondrerai.




Lettre 44.

Les temps sont gris, ces temps-ci. C'est nul. Je ne peux plus aller jouer dehors. Ça m'évitait d'entendre papa et maman se disputer. C'est triste, car ils n'écoutent plus du Elvis et ne dansent plus. Papa se noie dans son travail jusqu'à des heures tardives et maman noie son chagrin avec de l'alcool. Je lui ai pourtant dit que ce n'était pas bon pour la santé. Têtue comme elle est, elle m'a simplement ignorée. Elle m'évite continuellement. Mes paroles ne font que l'effet d'un boomerang : elles me reviennent en pleine figure parce que je parle à un mur.




Lettre 49.

Papa est parti. Non pas dans le sens d'être mort, plutôt qu'il a fait ses valises pendant que nous dormions et il a fichu le camp, sans le moindre indice d'où il aurait pu aller. Je suis inquiet. Vais-je devoir m'occuper de maman, à présent ?




Lettre 52.

Maman m'a frappé. Si fort, et si... fort. J'ai mal, terriblement mal. Je l'ai mérité, ça va de soit. J'ai simplement cassé sa bouteille de vodka sans le faire exprès. Ma joue me brûle. Mais, je ne pleure pas. Il faut que je reste fort. Pour elle. Ce n'est pas de sa faute.




Lettre 58.

Je vais devoir abandonner l'idée de t'écrire des lettres. Bientôt, je n'aurais plus de papiers sur lequel je t'écris. Maman n'a plus aucun sous. Il n'y a plus rien dans le frigo et les factures s'accumulent. Ça fait pratiquement 1 jour et demi que je n'ai rien avalé, mis à part une banane à moitié noire que j'ai trouvé dans le fond du placard. La maison ressemble à un vrai foutoir. Ce n'est plus comme avant. Ma nouvelle vie est tellement horrible. J'aurais souhaité que papa m'amène avec lui, loin de cette cinglée. Maman ne se ressemble plus. Elle passe son temps à renifler une espèce de poudre blanche et de boire de l'alcool. C'est devenue une routine. Et puis, la semaine passée, elle a décidé de vendre les meubles de ma chambre pour se faire un peu d'argent. Alors, je n'ai plus rien. Je dors désormais dans un placard de cuisine, au froid. Est-ce que je l'ai mérité ?




Lettre 60.

Je me demande bien à quoi pourrait ressembler notre vie si tu ne serais pas partie au ciel. Sûrement mieux que celle-ci, en tout cas. J'en ai marre. J'ai mal partout. Je n'en peux plus. Mon corps est couvert de bleus et de coupures. Maman dit que ça lui fait du bien lorsqu'elle me fait mal. Alors je la laisse faire. Je la laisse me faire du mal uniquement pour qu'elle se sente mieux. Parce que je souhaite qu'elle se rétablisse et qu'elle redevienne ma maman. Celle qui dansait sur du Elvis et qui préparait le meilleur spaghetti au monde. Qu'est-ce que je donnerais pour en manger !




Lettre 62.

C'est terminé. Je ne t'écrirais plus. À quoi ça sert, hein ? Du haut de mes 16 ans, je me suis toujours demandé pourquoi est-ce que je prenais le temps de t'écrire ces lettres bidons. Tu ne les liras jamais. Et puis, je dois économiser la mine de mon crayon. C'est le seul que j'ai en ma possession pour les cours. En tout cas, tu me manques, Davia. Ma vie est devenue un enfer. Un réel enfer. Mais, ça ne me fait plus rien. Plus rien ne m'atteint. C'est terminé. J'en ai fini.




Lettre 63 (des années plus tard)

Je suis un homme. Un homme raté, avec un job et des femmes avec qui se soulager. Tu sais, des femmes qui se maquillent énormément. Je suis devenue l'exemple parfait de ce que je détestais, à l'époque. Cette vie-là, la vingtaine, je n'étais pas sensé le vivre avant toi. Y a des jours où je me demande : « Mec, qu'est-ce que tu fous encore en vie ? » Eh bien, je l'emmerde, la vie. Je ne me donnerais pas la mort pour celle-ci. Je ne fais que me tuer à petit feu, chaque jour, profitant de ses petites merveilles qu'elle m'offre pour combler ce vide en moi.

Cependant, je te fais une promesse, Davia Weiss, je vais penser à toi. Tous les jours. Et je vais en profiter, comme si tu serais avec moi. Mais, laisse-moi encore quelques années pour m'amuser avec de belles femmes superficielles et aux visages de poupées. Elles sont tellement bonnes. Le jour où je serais prêt à être l'homme que je devais être, avec l'élue de mon coeur, je vais penser à toi.

Je t'aime, grande-soeur.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 13, 2021 ⏰

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Beautiful Icy ManOù les histoires vivent. Découvrez maintenant