Chapitre 4: Bloqué

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La cloche retentit pour la reprise des cours de l'après-midi. Ça tombe bien, je viens de terminer l'application de mon mascara.
Le lundi, à cette heure-là, j'ai histoire-géographie. Et bien sûr, je suis dans la même classe que Chrisria... Mais aussi de la nouvelle.
Elle était toujours aussi mystérieuse et terrifiante. Elle avait de beaux et longs cheveux bruns, des yeux vairons : l'un couleur du soleil et l'autre couleur du sang. Elle était aussi blanche qu'un fantôme. Elle avait toujours une tenue gothique mais celle-ci était toujours ravissante (alors qu'à la base, je hais tout ce qui est gothique). Elle était fine et bien formée, belle et envoûtante, mais terrifiante. Tellement que personne ne l'approchait. Sauf quelques fous (comme moi) qui s'étouffent en lui adressant la parole...

Je me rangeai dans le couloir quand soudain, Christia hurla gaiement un
« Salut ! ». Mais ce n'était pas pour moi (logique puisque que l'on vient de se disputer), c'était pour la nouvelle. Christia était entourée de Jessica-la-peste et de Aemilia-la-craneuse. Elles me fixaient avec leur petit sourire narquois pour dire " Tu vois, quand t'es pas là, ça passe tout seul ! "
Mais, elles trichaient. Elles étaient trois, alors que moi j'étais seule.
Elles trichent... Elles trichent... Elles trichent... Elles mentent... Elles manipulent... Elles trichent...
Je me répétais cela en les regardant. Cela me permettait de ne pas craquer, ça me calmait.
Pour mon plus grand soulagement, elle ne les regardait même pas. Rien ne paraissait l'intéresser. Alors je l'imaginais penser pendant que les filles parlaient :
« C'est pas possible ! Quand est-ce qu'elles vont me lâcher ces poufs ! Incroyable, elles ne s'arrêtent pas. À force elles vont finir par s'étouffer... Purée ! Elles sont insupportables ! Quand est-ce que le prof arrive là ! À L'AIDE !!! »
J'ai explosé de rire. Imaginer les gens penser ou parler s'avère être hilarant ! Christia me lançait un regard assassin, Jessica et Aemilia aussi, mais je ne regardais que Christia. J'ai essuyé mes larmes et j'ai supporté son regard noir le sourire aux lèvres, l'air de dire : " Et ouais, je me contrefiche de toi. "
Elle parut gêné. Puis elle détourna mon regard moqueur faisant mine de parler à sa pote. J'ai gagné la battle !
Le professeur est arrivé l'air contrarié. Il portait sous son bras, des copies illustrées pouvant très bien être des interrogations.
Je ne le sens pas... pensais-je.
« Entrez, allez on se dépêche... Bonjour... Bonjour... Bonjour... Allez, on se dépêche. Bonjour... » Sa voix était grave et ennuyante... C'est assez désagréable. En histoire, c'est difficile de ne pas mourir d'ennui, c'est un vrai sport de lutter contre le sommeil et l'ennui. Mais ce cours ne va pas être ennuyeux du tout : je vais m'isoler tout au fond de la salle, de sorte à être dans un angle mort des yeux abîmés de
M. Bored. Je vais faire un emploi du temps de la nouvelle. Les infos ne viendront pas de sa bouche, alors je vais l'espionner...
Nia nia nia nia...
Je connais tous ses cours, profs, classe et camarades (en fait, je suis dans la même classe qu'elle, alors forcément...). C'est déjà un gros point. Finalement, je la connais plutôt bien, du moins, son emploi du temps scolaire. Après, il faudrait savoir ce qu'elle fait à la pause du midi, et le matin avant d'aller au lycée (si elle fait quelque chose...) et le soir après les cours.
C'est bon, je sais où commencer...
Nia nia nia nia...

Il fallait que je fasse un petit tableau récapitulatif, maintenant que mes idées étaient claires dans ma tête — ce qui était des plus exceptionnel ! En fait, je crois que c'est la première fois que ça m'arrive...
Je m'entretenais alors dans la confection de mon petit tableau. Ce fut long, très long et pourtant, le temps s'est écoulé si vite ! Manifestement, le cours était fini. Lui qui est si long d'habitude ! Je n'en étais pourtant qu'à la troisième case de mon tableau :
Soir.
Il n'y avait plus personne dans la salle de cours, même le professeur était parti.
Je dus me résoudre à ranger mes affaires. Dommage.
Je me dirigeais vers la porte. Mais, celle-ci ne voulant pas s'ouvrir, je l'enfonçai de toutes mes forces, et j'essayai de manipuler la serrure à l'aide de ma barrette... Rien à faire. J'étais bloquée à l'intérieur.
Abruti de prof ! pensais-je.

***

J'étais épuisée et je n'avais plus de voix. Il devait être 16h. J'ai passé mon après-midi à crier à l'aide, mais personne ne vint. M. Bored avait terminé sa journée, il ne pouvait donc pas revenir dans cette salle pour faire cours.
Prise au piège par tes ambitions !
Je suis capable de m'enfermer dans la salle de mon prof d'histoire, comment est-ce que je pourrais l'espionner ? Impossible.
Quelle débile ! Tout cela pour connaître la vie d'une fille cheloue !
Pourquoi ?
Bonne question. Pourquoi ? Pourquoi voulais-je connaître sa vie ? Après tout, ça ne servait à rien. Je ne fais plus partie du club journal. Ça ne me rapporte rien. Alors pourquoi je veux entrer dans la vie de cette jeune fille alors que, manifestement, elle ne le veut pas ? Pourquoi...
Pourquoi ? Pourquoi suis-je aussi têtue ? Pourquoi est-ce que je veux absolument connaître le moindre de ses déplacements, ses secrets, sa vie privée ? Est-ce que j'apprécierais que quelqu'un vienne fouiner dans mon passé, mes secrets et mes désirs ? Non. Non je n'aimerais pas que quelqu'un sache ce que j'ai subi, ce que j'essaye continuellement d'oublier : mon passé.
Alors pourquoi veux-tu découvrir ce qu'elle essaye de cacher ? Pourquoi cherches-tu à être cruelle ? Pourquoi ?
J'étais harcelée par mes questions, ses questions. Je m'écroule soudainement par terre tant le poids des questions devenaient pesant. Pleurant et criant, suppliant même d'arrêter cette torture, les mains sur mes oreilles et ma tête dans mes jambes. J'avais mal à la tête, pleurer ne changeait rien. Les questions se répétaient toujours en boucle dans ma tête. J'avais le sentiment que d'une minute à l'autre, j'allais exploser.
De longues secondes se déroulaient, de longues secondes de torture intensive. Et j'avais l'étrange impression que quelqu'un me chuchotait ces questions dans le creux de mon oreille. Quelqu'un de perfide. Car dans sa voix, je perçus une certaine malice, et surtout, un certain plaisir à me souffler ces questions.
Puis d'un coup tout s'arrêta, net. Et on me demanda dans un souffle froid :
Pourquoi veux-tu être reconnue comme celle qui a détruit la vie de ses camarades ?
Au début, je ne savais pas, c'est ce que j'ai répondu. Puis on m'a reposé la question, cette fois, la voix était plus glaciale, plus mauvaise :
Pourquoi veux-tu être reconnue comme celle qui a détruit la vie de ses camarades ?
« Je ne sais pas ! Je sais pas... laisse-moi tranquille... »
J'étais au bout de force. Ce qui ne m'empêchait pourtant pas de crier tout en sanglotant.
La voix fut plus dure, plus impatiente, et terrifiante :
Pourquoi veux-tu être reconnue comme celle qui a détruit la vie de ses camarades ?
« Laisse-moi, je sais pas ! Va t-en ! »
D'un coup toutes les fenêtres s'ouvrirent laissant le vent glacial d'hiver prendre possession de la salle et les lumières s'éteignirent...
Tout devint froid, lugubre et effrayant.
J'avais peur... tellement peur. Je me suis relevée d'un bond et j'ai essayé, du mieux que je pouvais, d'ouvrir cette fichue porte ! En vain.
Les fenêtres battaient, les volets s'ouvraient et se fermaient, le vent me fouettait de sa glaciale lame transparente. Un de ces courants d'air digne d'une tempête, se concrétisa en une ombre avec des yeux ronds, globuleux et luisants.
Elle me sourit —l'ombre—, sa bouche aussi luisait lorsque que celle-ci laissait les dents apparaître (même si je doute qu'une ombre puisse être pourvue de dents, ni même d'une silhouette féminine ou de yeux ronds globuleux luisants...).
Je reculais, mais j'étais coincée entre cette hallucination (n'est-ce pas ?) et la porte scellée. Le visage luisant de l'ombre, toujours pourvu de yeux et d'une bouche déconcertante, se rapprocha de moi. Ça avait presque l'air normal !
Comme si tous les courants d'air se métamorphosaient en une ombre terrifiante, et que celle-ci marchait vers les gens de manière tout à fait anodine. Mais oui, c'est tout à fait normal ! Tout le monde le sait ! Suis-je bête !? Non.
Suis-je folle ?...
L'ombre se rapprocha donc de moi, et j'étais à la fois médusée, stupéfaite et terrifiée.
Elle se pencha vers mon oreille et me souffla :
« Pourquoi cherches-tu les douleurs des autres alors que tu ne veux pas que l'on découvre les tiennes ? »
Elle n'avait pas de voix, c'était un souffle glacial, tranchant. Pourtant je l'entendais.
Suis-je folle ? Peut-être.

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