Chapitre 1 : Un empereur fantasque

248 20 5
                                    


En l'an 1721, alors que le froid de début de novembre givrait les toits et les rebords des fenêtres, dans la plus grande et la plus belle des églises orthodoxes se passait un grand événement. C'était un jour de sacre, le sacre du Tsar de Russie.

Devant les saintes portes, les séraphins, les anges flamboyants, guidaient les mains sacerdotales vers la tête du nouvel empereur.
Ce nouveau monarque, entouré des princes et des princesses du monde, était couronné par les dieux et les étoiles.
L'année de ses vingt-sept ans, il devenait le monarque de toutes les Russie.
Il vivait déjà avec la gloire, le faste et la noblesse, avec le froid de Russie et avec les acclamations aimantes d'un peuple qui se meure pourtant dans les rues et maintenant, il vivrait en plus de cela avec la beauté de l'orfèvrerie fine de la couronne.
C'était tout cela qui faisait de lui l'homme le plus admiré du monde et l'un des plus puissants. Il était beau, il était juste -plus sage encore que le Roi Salomon, et il était le meilleur des hommes. Il était bien le tsar de toutes les Russie et le peuple l'attendait comme le libérateur de tous ses maux. Victor Nikiforov prenait en ce jour saint la couronne et plus jamais le peuple ne dirait « Dieu est trop haut et le tsar trop loin » car ce nouveau souverain soufflait un vent neuf sur les plaines de Russie et il révolutionnerait le monde.
Il était à genoux sur le marbre, enrubanné d'or et de lumière par les luxueuses étoffes de levantine jaunes impériales ; le nouveau tsar sentait les larmes divines d'eau bénite coulaient solennellement sur ses tempes.
Prit par cette atmosphère ecclésiastique, ses yeux cérulés se posèrent dévotement sur les icônes flavescentes au-dessus de l'autel et c'est alors, dans un état de transe, que le saint esprit en personne apparu pour lui accorder la bénédiction ; métamorphosé en archange Gabriel, la manifestation de Dieu faisait un signe de croix pour consacrer le Tsar Viktor Nikiforov. Il murmura quelques mots en latin en s'adressant à Dieu, ces mots surprirent le prêtre qui continuât pourtant sa messe.
C'était pourtant les caprices de la fortune qui l'avait fait empereur. Ainsi venait l'avènement d'une nouvelle dynastie. Il était bien le descendant de la glorieuse Rus' de Kiev, mais n'étant pas de la branche principale, il n'était pas initialement destinée à prendre le trône de Russie.
Mais ce n'était pas seulement le concours de circonstances qui avait fait de lui un monarque. Il avait, avant d'être désigné comme héritier, accompli mille prouesses pour la Russie. Il était un héros militaire, un saint pour les peuples.
Ses conquêtes en tant que prince lui créaient la plus grande des Russie. Cette grande Russie, il prit la décision de la nommer empire, car elle serait aussi grande que Rome. Le monde avait foi en son habilité pour mener cet empire à son apothéose. Mais il était, de réputation terriblement fantasque ! On disait de lui qu'il était toujours surprenant et plein d'esprit, il aimait les fêtes et en participait à de nombreuses. Il parlait avec une faconde étourdissante, se déplacer avec naturel dans la communauté mondaine, charmait le monde avec son éloquence. Il était par tout le monde décrit comme exquis. Sa grande beauté physique concourait à sa grande aura de par sa grande taille élancée, son nez droit apollinien et la blancheur slave de sa peau délicate qui se mariait à la perfection avec ses mèches cendrées qui sublimaient davantage ses hautes pommettes d'où suintait toute son assurance. Il était absolument charmant.

Dans l'office, l'ensemble de la foule qui était composée de nobles russes et des altesses des pays alliés observait avec solennité le couronnement. Mais un jeune prince asiatique, Yuri Katsuki, prince héritier de l'empire Nippon regardait avec plus de passion le Tsar devant l'autel. Il vouait depuis toujours une vénération sans borne pour le monarque russe même lorsqu'il n'était pas encore destiné à prendre la couronne. Il l'avait toujours observé de loin, avec une distance respectable. Il admirait ses stratégies originales, son charisme avec ses hommes et sa finesse d'esprit. Les relations entre leurs deux pays furent, à de nombreuses reprises, troubles, mais les temps s'étant pacifiés, il était ici en ami. Le japon était entré depuis plus de quinze ans dans un bon rapport avec la Russie, mais c'était la première fois que Yuri était invité à la cour. Cette invitation fut son seul bonheur cette année, il fut emporté par la joie de voir le prince Nikiforov prendre la couronne. En ce jour de novembre il repensait à l'année difficile qu'il avait passé : il y avait eu le grand incendie d'Edo en mars, mais il y avait eu également son échec personnel lors la bataille de la mer de Chine orientale mi-octobre, son cheval était mort, il avait eu une atroce petite prise de poids, et surtout l'annonce de la maladie du père fin octobre, accompagnée des angoisses relatives à la question de l'héritage qui venait troubler son esprit.

À son arrivée à Moscou, il avait pu profiter de la bonne entente de leurs pays ; même s'il n'avait fait que croiser furtivement le Tsar Viktor Nikiforov, il avait pu profiter d'une promenade en compagnie de la Duchesse Mila Babicheva, et d'une chasse dans les bois environnants avec l'excentrique prince Georgi Popovitch.
La rencontre avec le prince Yuri Plisetsky fut, en revanche, moins chaleureuse. Trois jours après son arrivée au Kremelin, l'héritier du Levant apprit dans une lettre la maladie de son père. Face à cette annonce, s'il avait pu faire bonne figure en compagnie de ses hôtes, Yuri Katsuki s'était effondré dans une des salles d'eau du palais, s'inquiétant pour son père et pour son avenir. Or le prince Russe était là et ne tarda pas à le faire savoir.
Une certaine animosité émanait de la part du Russe envers le Japonais sans aucun raison apparente. Avec une familiarité et une vulgarité sans nom, il parlait en un français populaire* en affirmant  qu'il y avait un Yuri en trop dans le palais et en se permettant de lui faire une vive remontrance déplacée.
« - Les gens meurent, lui avait-il craché sèchement, les rois meurent et les héritiers doivent assurer le pouvoir de la dynastie. C'est la vie, tu n'as pas à geindre, t'es con ou quoi ? C'est pas possible comme tu me dégoûte ! Tu devrais directement abdiquer, tu n'as clairement pas les épaules pour cela. Abruti !»

C'est ainsi que, déprimé, au banquet suivant la cérémonie, le prince enchaîna  les coupes de champagnes, les verres de vin et les liqueurs russe. Il avait besoin d'apaiser un peu son âme et de consoler son cœur en anesthésiant son esprit.
Être si proche de l'homme qu'il admirait tant le troublait davantage et le ramenait à sa propre faillite.
L'empereur tenait une conversation amusante, mais Yuri ne l'écoutait pas, trop meurtri pas ses angoisses.
« - Le champagne, chers amis, vient du royaume de France ! Saviez-vous d'ailleurs qu'aucune altesse de la maison de France n'est présente aujourd'hui ? Pour la raison que "la Russie est un pays d'arriérés", selon le charmant roi, feu et très regretté, Louis XIV. Cela m'a plus amusé que plutôt blesser mon orgueil. J'ai trouvé cette remarque exquisément drôle, les Français peuvent être tellement taquins parfois ! Pardon monsieur le marquis Leroy, ce n'est bien sûr pas contre vous, vous êtes bien plus roi que le roi, c'est un honneur d'avoir le gouverneur de la nouvelle-France ! Mais ne dites pas à Louis XV que j'ai dit cela, ça nous attirerait des problèmes à tous les deux ! De ce fait, par malice, j'ai fait envoyer 1200 livres de vodka russe à Versailles pour leurs montré notre raffinement ! Le prince Plisetsky aurait voulu que je déclenche une guerre pour l'affront mais ce petit est bien trop sanguin ! N'est-ce pas Yuri ? »
Il croyait entendre son nom mais ce n'était pas à lui qu'il s'adressait, ce qui le rendait d'autant plus malheureux. L'empereur l'intimidait tellement qu'il ne parvenait pas à l'aborder pour partager une des discussions qui l'animait tant. Il aurait voulu être à l'aise avec un tel homme pour pouvoir profiter d'un entretien intéressant.
Le prince japonais avait passé tout le repas à se remémorer l'épisode cocasse de son altercation avec le prince Russe tout en méditant ses paroles ; quand le repas fut fini, il accompagna le reste des convives dans la salle de bal pour rejoindre la fête donnée en l'honneur du Tsar. Il ne dansa que très peu après l'ouverture du bal du Tsar Nikiforov et de la princesse napolitaine Sarah Crispino. Ne connaissant intimement personne, et ne voulant pas faire de nouvelle connaissance, Il avait traîné toute sa langueur vers les serviteurs qui portaient les coupe de champagne et, bilieux, il s'enivra davantage.

En effet, l'alcool anesthésia bien sa mélancolie au même titre que sa retenue... 

Il entrainait la duchesse Mila dans une valse rapide, s'amusa dans un quadrille avec le prince tchèque Emil Nekola, la princesse Sarah et une jeune comtesse suédoise. Il plaisanta avec le duc Giacometti et fit une petite farce au marquis Leroy qui amusa beaucoup l'ensemble des convives. Il parlait facilement à Victor, ne se rendant pas réellement compte à qui il s'adressait sur des sujets légers et plaisants. Il était devenu tactile avec le Tsar qui le lui rendait bien car c'était bien là son caractère. Alors qu'il ennuyait un groupe de jeunes filles bien nées avec une analyse des stratégies militaires d'Hannibal, une main douce se posa sur ses épaules ; en se retournant, le prince de l'empire du Levant eut le bonheur de découvrir la figure du Tsar Nikiforov.
« - Prince Yuri, n'importunez ces dames avec les théories militaire qui ne doivent que très peu les intéresser. Venez nous rejoindre dans le fumoir, je serais heureux de poursuivre le sujet avec vous.
Yuri fut submergé par la joie, son rêve venait de se réaliser il allait enfin pouvoir entretenir une conversation avec Viktor Nikiforov. Après une révérence aux demoiselles, les deux hommes rentrèrent dans les fumoirs pour rejoindre les autres princes suivit d'un méfiant prince Russe.

Pour pénétrer dans cette petite alcôve, il fallait pousser une lourde porte en chêne marqueté. Les seigneurs Giacometti, Plisetsky, Nikiforov et Katsuki entraient alors dans le fabuleux fumoir.
Un quatuor les avaient suivi afin de leur permettre de se distraire, ainsi que deux valets et un intendant afin de répondre aux désirs des aristocrates.
Dans cet écrin duveteux de cuir et de velours qu'était l'annexe, les gentilshommes s'installèrent commodément pour fumer le plus fin des tabacs et boire la plus fine des liqueurs.
Ils avaient le sens de la grandeur, ils agissaient selon leurs rangs et profitaient du délice de la vie.
- Dites-moi, demanda le jeune prince à son Tsar, il me semble, Viktor, vous avoir vu murmurer quelque chose au prêtre lors du couronnement qui eut l'air de l'épouvanter. Qu'avez-vous bien pu dégoiser ?
- Ah, cela... Figurez-vous que Dieu m'est apparu lors du sacre sous les traits de l'archange Gabriel, c'est à lui que je m'adressais !
Le prince Moscovite ne le croyait pas, il sembla s'irriter de la galéjade.
- Ne me mentez pas, votre majesté !
- Mais je ne mens pas. Le Tsar gardait un sourire ambigu, si bien que l'on ne pouvait déterminer s'il s'agissait ou non de la vérité ou d'une hâblerie.
Le prince Katsuki, affairé à explorer la pièce en écoutant la conversation, s'arrêta subitement devant une table de jeu où se trouvait une magnifique boîte marquetée d'un trictrac. Amusé, il voulut en faire une partie et songea à celui qui constituerait le meilleur rival.
- Ah ! Prince Plisetsky, je sais bien que vous avez certainement pour projet de m'abattre lors d'un duel ou de m'empoisonner lors d'un repas. Pourquoi ne pas régler cela lors d'un petit concours, histoire d'éviter de verser trop de sang - le mien, en l'occurrence ?
- Sans façon. Il aurait voulu dire "je préférerais vous empoisonner", mais la plaisanterie était de trop mauvais goût par les temps qui courent.
- Auriez-vous peur de perdre, Yuri ? susurrât facétieusement Viktor.
Echauffé, le blond bomba le torse et s'avança rigide comme au début d'une bataille vers la table à jeu. Il s'assit violemment comme s'il était dans une taverne de la ville et commença la partie bien décidé à réduire en cendres son adversaire. Malheureusement pour le Russe, le Prince Kastuki était bien meilleur stratège et sous des vifs applaudissements il remportât la partie. Le perdant se leva furibond et s'en alla en ronchonnant s'installer sur un fauteuil éloigné. Christophe prit la place du blond et lança un défi au japonais.
Ah ! Monsieur le Duc Giacometti, la Suisse veut-elle aussi se mesurer au Levant ? Allons bon ! Si Yuri était meilleur en stratégie, le duc, lui, était bien plus chanceux, et le vent tourne toujours en faveurs des gens qui ont une bonne étoiles même si les autres sont plus habiles...
- Ah, vous m'avez battu, soupira le prince. Ça ne fait rien, j'ai pris l'habitude des défaites ces derniers temps !
Yuri eut l'air un peu morose, ce qui interpela le Tsar avant que celui-ci ne propose avec entrain : et si nous dansions ?
- Les dames sont toutes à coté, messieurs, devrions-nous les faire venir ? demanda un valet au Tsar.
- Oh non, une femme dans un fumoir, c'est inconvenant ! s'offusqua avec malice le Tsar. Nous allons devoir faire sans ! terminât-il, taquin. Cependant, Yuri Katsuki le pris au mot et dans un élan de folie il se leva et tendit sa main à l'empereur.
- Dans ce cas, Votre Majesté, m'accorderiez-vous cette danse ? le Tsar rit, amusé et enchanté par la demande de sa main, il était surpris et ne pensait pas voir la situation se dérouler de la sorte mais cependant il donna tout de même sa main avec joie.
- Mais avec grand plaisir, altesse !
Quand leurs doigts se mêlèrent et que le petit quatuor entamer les premières notes, le petit prince Russe éructa dans le fond de la pièce en observant la sarabande de Yuri Katsuki avec le Tsar Viktor.
Une certaine folie joyeuse les prit, impulsée par un Yuri ivre. Il s'essaya à la polka avec le prince Plisetsky, fit un valse lente avec Christophe Giacometti, et reprit enfin une valse anglaise avec Victor.

C'est à ce moment, que la porte du fumoir s'ouvrit sur Yakov Fletsmann, ancien général des armées russes, maître d'arme de Viktor Nikiforov et désormais premier ministre. Il songea un instant, en entrant, voyant que son monarque était en train de gambiller avec un prince japonais et un duc suisse, que la Russie -et même le monde- était certainement perdus, que cela allait conduire à l'apocalypse et qu'il aurait dû être plus sévère avec cet enfant perturbateur car son éducation avait clairement été défaillante.
-Votre majesté, par tous les saints, que faites-vous encore... Ne négligez pas le reste de vos convives, retournez dans la salle de bal et ne choquez pas les dames ! »
L'autoritaire premier ministre disputait le Tsar et les princes chahutant comme des enfants, ce qui était absolument contraire à toute étiquette, mais il fallait cependant bien recadrer ces garnements. Des guerres avaient étaient déclenchées pour moins que cela mais le premier ministre n'hésita pas à faire une semonce véhémente : « - Et rhabillez-vous un peu tous, vous être tous attifés comme l'as de pique, surtout vous, prince Katsuki. »
Il ramena ainsi toute la noble troupe dans la salle principale pour le plus grand plaisir des convives.

De retour dans la salle de bal, l'héritier parlait de tout, commerce, art, médecine, il dansait avec les femmes les plus distinguées du monde, plaisantait avec les princes et regardait à la dérobée avec admiration le Tsar. Ce soir, Yuri Katsuki avait la plus grande des grâces, son cœur pur se révéler dans ses mouvements fins et élégants, et l'alcool qui l'avait enivré laissait apparaître la puissance érotique qu'il avait en latence dans son être. Ses paroles étaient spirituelles, sa verve était devenu éloquente car, enfin désinhibé, il faisait entendre sa voix et laissait voir son intelligence et sa bonté.
Le Tsar était charmé par ce prince oriental : la fragilité de ses sentiments, l'esprit curieux et sagace ainsi que la noblesse de cœur qu'il retrouvait en lui étaient toutes les qualités que Victor louait et plaçait au-dessus de tout. Une grande estime était désormais portée à l'héritier du trône impérial japonais.
En fin de soirée, lorsqu'il était déjà tard, voulant témoigner de sa grande considération, le monarque, la main posée sur son cœur, s'adressa avec une douceur certaine au prince Katsuki.
« - Monsieur, vous m'avez surprit ce soir. Vous m'avez enchanté, moi et le reste de l'auditoire. Ainsi pour vous remercier, j'agirai en serviteur avec vous et vous reconduirai moi-même dans vos appartements. J'espère que cet ex-voto vous semblera à la hauteur de la féérie que vous avez offerte à mes convives ce soir. »
Les convives surpris par l'action du Tsar se prirent, tous, à l'exception d'un jeune prince russe blond, d'un enthousiasme cristallin. Ils retrouvaient dans ce geste la générosité de l'empereur Viktor et l'élégance dont il faisait toujours preuve. Katsuki Yuri, dont la pudeur était brumée par les vapeurs liquoreuses, se laissa conduire sans résistance

Il titubait dans les couloirs, ses vêtements défaits, il s'accrochait au Tsar qui le soutenait à travers les longs corridors et les escaliers ardus. Les paroles de Yuri perdaient de plus en plus de sens, Viktor riait aux éclats. Les domestiques qui passaient par là, surpris, se pressèrent aux cuisines pour rapporter ce qu'ils avaient vu, le commérage sur les actions fantaisistes des têtes couronnées était leur principale activité. Certains trouvaient cela charmant, d'autre s'en offusquaient vivement. Seuls les nobles pouvaient se permettre d'avoir ce genre de comportement car ils n'avaient pas le souci de la survivance, et cela leur semblait intolérable. Mais ils étaient les maîtres et le privilège de multiplier les loisirs était leur lot. Si le gouvernement était bon, ils ne s'en plaindraient pas outre mesure.
L'entrée dans les appartements fut plus difficile. Yuri ne parvenait plus à marcher, Viktor parvint tout de même à l'aider à s'assoir sur le bord du lit. Épuisé, il prit place à ses côtés.
Victor observait le prince japonais, ses traits fin, ses yeux onyx, ses cheveux de jais, et la rougeur alcoolisé qui colorée ses joue pâle. Ses yeux ne le regardaient pas, son regard troublé était fixé un point imaginaire sur l'angle de la commode. Le prince s'apprêtait à dire quelque chose. Victor, pendant un instant, s'imagina retrouver l'entrain joyeux des conversations dans les fumoirs dans les paroles du prince. Mais le bouleversant regard indiquait qu'il allait faire une confession douloureuse. Ses lèvres commençaient à se mouvoir sans conscience.
« - Mes parents ont toujours étaient bons avec moi, » commença-t-il en murmurant comme s'il était seul dans la pièce. Il ne semblait pas s'adressait directement à Victor. Il était perdu dans ses rêveries capiteuses. « Ils ont toujours étaient indulgents comme mes maîtres et le reste du gouvernement mais... Cette gentillesse ne me sera pas accordée par le peuple si je ne suis pas à la hauteur... je devrais, peut-être, laisser le trône de chrysanthèmes à ma sœur mais... J-j'aimerais, Votre Majesté, davantage vous ressembler ! »
Il avait dit cela en se tournant vers le Tsar mais il ne le voyait pas. Viktor, lui, en revanche l'observait avec attention, un peu fâché devant tant d'apitoiement de la part d'un être qu'il considérait comme son égal.
Ce que vous dites là est bien stupide. Vos exploits militaires en Amérique on fait le tour du monde. Vous avez lié une relation forte avec la Thaïlande et l'Europe vous considère déjà comme un chef d'état. Vous êtes ici pour vous grandir et créer des amitiés solides avec les nations alliées ainsi que pour aiguiser votre sens politique. Yuri Katsuki, votre avenir est à portée de main, vous n'avez qu'à tendre le bras. Vous n'avez pas à me ressembler, vous êtes déjà grand, votre devoir est de le devenir davantage !
Cette fois-ci, le prince prenait réellement conscience qu'il n'était pas seul dans la pièce, qu'il avait un interlocuteur de choix qui lui disait des choses si douces à son propos. Il s'enorgueillit de savoir que le Viktor Nikiforov suivait ses prouesses. Pourtant il ne réalisait pas encore que cela n'était pas une juste projection de l'esprit comme il l'avait maintes fois imaginé.
Je n'étais pas destiné à prendre le pouvoir, je voulais... Je voulais découvrir le monde, découvrir l'Occident, et je voulais faire partager à l'Occident notre culture. J'aurais voulu conquérir des terres, voyager dans le monde... J'aurai pu être le meilleur des princes, le plus délicat des diplomates, mais je serais un bien piètre empereur... Je ne saurai jamais  diriger un empire, ce n'était pas ma destinée... ce n'est tellement pas pour moi. Pardonnez-moi. Je dois vous paraître bien faible. Malgré les relations troubles entre nos nations, je vous ai toujours admiré que ce soit pour vos conquêtes ou pour votre habilité avec le peuple. Je me suis plusieurs fois inspiré de vos stratégies navales... je voulais tout apprendre de vous.
Yuri plaqua ses mains contre ses lèvres, rouge de honte, il ne s'en remettrait pas d'avoir livré ses tourments à l'homme qu'il admirait le plus. Son cœur, battant, faisait vibrer ses tympans et le silence dans la chambre lui faisait l'effet du tumulte d'un essaim d'un million de mouches.
Le Tsar regardait ce jeune homme avec tendresse, il souriait avec un bonheur pur. Dans sa jeunesse, il ne lui était jamais arrivé de ressentir ce genre de peur car il avait toujours été éloigné du trône, il avait pu courir le monde en tant que prince et qu'ambassadeur. Il avait toujours su garder un regard détaché de sa fonction.
Pourtant il avait voué sa vie à la Russie, aux batailles, à la guerre, alors quand le trône lui revint, cela lui parut naturel, de la même manière qu'un homme dévot rentre dans les ordres. Il revêtait le manteau impérial comme une robe sacerdotale. Il savait que le peuple lui avait remis sa vie et qu'il devait s'en monter digne. Tous ses désirs désormais passeraient en second plan, il devait agir pour le plus grand bien de la Russie ; il n'avait jamais songé à l'amour et aujourd'hui il ne le pourrait encore moins. Mais face à ce prince, un sentiment doux envahissait son cœur comme les premières prémisses du phénomène fragile de cristallisation amoureuse... Avoir près de lui ce prince lui donnait un sentiment de bonheur nouveau.
Il avait depuis bien longtemps perdu sa foi chrétienne : il ne voyait ni salut, ni perspective d'immortalité. Pourtant, quand il voyait les deux orbes noirs aller avec les larmes il retrouvait l'éternité. Sa main blanche revenait contre la joue humide du japonais pour essuyer les perles salines qui les dévalaient. Peut-être l'avoir près de lui serait le moyen de connaître la béatitude.
-Prince Yuri... J'agirais pour vous, alors, comme un précepteur car je vous apprendrai tout ce que je sais, comme un père car je garderai un regard bienveillant sur vous, comme un camarade car nous grandirons ensemble, et comme une compagne pour vous guider dans votre entreprise, car vous avez réussi à toucher mon cœur et que mon seul désir et de voir nos deux pays marcher main dans la main pour le plus grand bien. N'oubliez jamais que ceux qui façonnent l'histoire, c'est nous. Ce lourd fardeau, je vous aiderai à le porter !
Face à cette effervescence, Yuri ne pouvait plus que rougir et bafouiller quelques bribes de phases.
Cela serait mon plus grand souhait, mais..
Le Tsar était transporté, plus encore que lors de son épisode d'extase lors de son couronnement. La joie envahit son cœur, l'enthousiasme son âme et l'exaltation ses traits.
- Dans ce cas, c'est décidé ! Ne nous contentons pas des visites officiels, venez faire votre éducation ici ! Venez emménagez en Russie, venez vivre à mes côtés !
- P-pardon ? Mais... Votre altesse, je...
- Ô Yuri, entre nous, débarrassons nous de l'étiquette.
- Mais enfin, Votre Grâce ! Vous...  le Tsar s'emportait en ne laissait à aucun moment le japonais l'interrompre.
-Nous referons toute votre éducation pour qu'elle soit la plus raffinée. Comme cela, jamais plus vous ne douterez d'être à la hauteur !  Nous aurons même des chambres contiguës et...
Bercé par le rêve, Yuri laissa sa tête choir contre l'épaule de l'empereur.
-Votre Majesté... Jamais je ne vous aurais imaginé si espiègle.
Victor sourit et se laissa aller à se contact délicat, un sentiment profond fit briller ses yeux.
Majesté, qu'avez-vous dit à cet ange, à votre Dieu, lorsqu'il vous est apparu ?
Un instant, le monarque hésita de révéler une telle chose, une chose si personnelle et si condamnable, mais se sentant en confiance avec un cœur si pur il avoua en souriant.
- Je lui ai dit : "Je t'absous de tous tes péchés".
Cela amusa Yuri, et en fermant les yeux il dit avec une sincérité joyeuse :
Victor, je ne vous aurais jamais imaginé si fantasque !»

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Oct 01, 2017 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

Un empereur fantasque Où les histoires vivent. Découvrez maintenant