Aujourd'hui c'est un jour un peu comme les autres, du genre qui commence bien, et qui finit bien.
Enfin ; en me levant, je vois qu'il y a plus rien à manger dans le placard, c'est plutôt dommage, et là je crache du feu (enfin, c'est un truc super acide) ; et le dentrifice recommence à me donner envie de vomir, mais il y a cette chanson russe dont je suis tombée amoureuse il y a quelques jours et que j'écoute (en boucle) pendant que je me lave les dents alors ça passe.
il y a ce gros garçon de ma classe qui met des vers de terre dans les cheveux bordeaux de la fille que j'aime bien mais j'ai pris l'habitude de rien dire, parce que je crois qu'en fait, elle aime bien quand il l'embête. J'en sais rien. Mais ça m'énerve un peu parce que quand ils jouent à se taper, moi je suis sur le côté, j'existe plus, j'ai trop mal aux veines et je comprends rien aux exercices de maths. Mais après j'imagine que j'ai seulement trop besoin d'attention.
À un moment avec la fille on marche. On revient du groupe des gens que j'aime pas. En fait on est avec eux, ils disent des trucs ridicules et tout, et d'un coup, je lance quelque chose comme "vous me donnez envie de vomir", et le pire c'est que c'est vrai, ça me retourne l'estomac un peu de la même façon que ce matin, quand j'ai dû nettoyer la porte du placard après avoir vomi de l'acide.
Alors je vais marcher plus loin et la fille me suit, mais maintenant j'arrive plus trop à m'exprimer clairement quand elle est là alors c'est carrément gênant.
Je fais le funambule sur le rebord qui sépare l'herbe du bitume de la cour et le soleil tape très fort derrière moi. C'est là que je me mets à penser que c'est la fin du monde. Et puis je souris, parce que j'ai peur d'oublier ça alors que c'est vachement intéressant. J'hésite à en parler à cette fille, est-ce qu'elle me trouvera bizarre si je lui demande "eh, tu pourras me rappeler que c'est la fin du monde s'il te plaît ? J'ai peur de l'oublier autrement." ? Les mots sortent tout seuls, c'est trop tard, je viens de lui demander. Et, oui, elle me trouve bizarre. Bon.
En arts plastiques, je commence un collage avec des images d'abattoirs, de ventilateurs crades et de prostituées sous-entendues ; la fille me dit que c'est beau, ça me fait plaisir. Elle me dit qu'elle est pas créative, mais je sais que c'est faux, alors je lui dit juste de représenter ce qu'elle a sur le cœur.
Et, là, elle me dit, "j'ai rien sur le cœur". Je la regarde dans les yeux, parce que je trouve ça triste, de pas être triste. Enfin, je ne sais pas.
Alors, je lui propose de partager avec elle un peu de ce que moi, j'ai sur le cœur ; alléger un peu tout ça quoi, parce que mon cœur à force il va s'écrouler. Et elle me dit d'accord. Et finalement, je lui dit rien de ce que j'ai sur mon cœur. Je sais plus pourquoi.
Mais tant mieux, parce que sinon je lui raconterais ça : "c'est l'histoire d'une fille un peu bizarre et elle se gratte tout le temps. Cette fille bizarre elle aime bien une autre fille plutôt mignonne, et parfois, elle veut juste lui embrasser sa joue, mais quand elle s'approche, son cœur s'emballe et ses jambes tremblent, et alors elle reste plantée là, à regarder la fille mignonne dans les yeux, et ça lui rappelle la fois où cette fille mignonne avait mit un décolleté et qu'avec ce décolleté c'était super dur pour la fille bizarre de la regarder dans les yeux.", et comme la fille est intelligente, elle comprendrait et ce serait mal barré pour moi.
Je suis perdue un peu, entre les papillons du docteur Jekyll et les exercices sur la mémoire, et puis, je me lève, je marche jusqu'à la fille. Et quand je me trouve en face d'elle, elle me regarde, alors je me frotte juste l'arrière de la tête et je fait demi-tour, parce que, merde alors, je tremble encore.
C'est pas concluant du tout ! Et puis elle me fait signe de venir. Et je viens, et elle me dit comme quoi, elle veut que je sois à côté d'elle, là, maintenant ! C'est là que, je lui embrasse le front.
Alors je range mes affaires, je fais mon sac pour la rejoindre, comme si je me préparais à parcourir le monde à ses côtés. Et ça se ressent. Que j'irai jusqu'au bout du monde avec elle. Même si pour l'instant on est assises par terre.
Je rentre chez moi avec le gros garçon de ma classe parce qu'on habite dans le même immeuble. Il écrase deux chenilles noires.
Et puis, dans mon lit, je me dis que, quand-même, j'ai peur d'embrasser la joue de cette fille alors que vendredi dernier, c'est elle qui m'a embrassée les lèvres. C'est le monde à l'envers. Enfin, c'est la fin du monde, à l'envers.