Chap 2 : Starlight

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« Black holes and revelations... »

J'ai du mal à dormir. "Starlight" me donne du fil à retordre. C'est le morceau le plus compliqué que j'ai eu à déchiffrer depuis que je bosse sur leurs mélodies. C'est troublant, ce genre de sentiment. Le sentiment qu'on y arrive pas, ça saoule, ça tourmente. Presque à en rendre fou un bon nombre de personnes. Mais moi étant dérangée de base, je ne pourrais pas me faire avoir. Je souris en m'emmitouflant dans ma couette et j'imagine Matthew en face de moi, dormant. J'observe dans mon esprit chaque partie de son visage pâle, et me le représente comme en 1999, dans son clip « Unintended », dans sa chemise jaune et son jean noir un peu trop grand pour lui, ses cheveux corbeau pas encore agressés par les teintures rouges et bleues des années suivantes. Son visage d'adolescent, sans barbe ni boutons... Je soupire. J'aurais tellement aimé avoir ce genre de garçon à seize ans... Mais, malheureusement, nous ne sommes pas du même milieu. Lui remplis les Zéniths et moi je remplis des calepins entiers d'hypothèses avec un Bic 4 couleurs des années 90 et encore d'autres carnets de dessins au crayon ou au fusain. Je me redresse sur mon lit, la couette jusque mon cou. Je viens d'avoir une idée... Et si "Starlight" était dans le même registre de "Falling Away with You" ? Un morceau et une mélodie différente qui sont en parfaite symbiose mais qui font passer deux messages en une seule musique ? Cela expliquerait beaucoup de choses, dont le fait que des instruments se rajoutent et s'en vont comme ils étaient venus. J'attrape mon carnet et écris l'hypothèse. Mais, en y réfléchissant, cela rend la tâche encore plus compliquée, puisque il faut chercher deux messages concrets et clairs maintenant.

Je me recouche après avoir jeté un coup d'œil rapide à mon horloge : 7h24. Bah, plus que deux heures à tenir dans son petit lit. Je serre ma peluche pingouin offerte par une amie au lycée des années plus tôt et me m'enroule "en sushi" dans ma couette pour essayer de dormir. Mais le morceau trotte tellement dans ma tête que je suis obligée de reprendre mon carnet pour continuer mes recherches, si bien que je ne vois pas le temps passer, ni le soleil se lever. Lorsque je le remarque enfin, je saute du lit pour prendre un verre de lait et retourner dans mon lit pour replonger dans mon enquête, mais je suis tellement absorbée que je prend peur lorsque mon téléphone sonne : c'est Guilian. Je décroche à la vue de son nom sur mon écran, un petit sourire aux lèvres, et me laisse distraire par la voix nasillarde de mon meilleur ami.

« S'cusez de te déranger m'dame, mais tu devrais venir à Warhammer cet après-midi. Chris a fini de peindre ses Tzeentch hier et compte bien ne faire qu'une bouchée de la petite armée de Karl.

- Des Tzeentch ? Ca m'intéresse pour le coup. Je viens à quelle heure ?

- 14 h. Et tu devrais te dépêcher, il est midi, Madame Je-Prend-Trois-Plombes-Pour-Manger.

- C'est parce que je bosse en même temps !

- Oui ben aujourd'hui tu te détends ! Ca suffit de faire l'inspecteur Gadget de la musique.

- On verra, ce sera jusqu'à ce que je trouve un truc intéressant qui m'aidera à disloquer ce double puzzle.

- Bref, t'a une heure et demie, tu te grouilles ! »

Guilian raccroche en ricanant. Je soupire : il a peut-être raison, peut-être ai-je besoin d'un petit moment de détente... Je m'en accorde un tout petit : une heure et demie, peut-être deux, mais pas plus. Et puis, voir Karl perdre lamentablement est un vrai moment de détente. Je me prépare rapidement, sans prendre le temps de manger, et me dirige vers la boutique de jeu stratégique se trouvant non loin de chez moi et en apercevant à travers la vitrine tous mes amis autour de Karl et Chris qui sont tous deux en train de préparer leurs armées respectives. J'entre dans le magasin en pensant aux mots de mon meilleur ami un peu plus tôt : il a raison, passer du temps avec mes amis me fera du bien.                                                                                                                     Je me dirige donc vers le détenteur de sa nouvelle armée et lui donne une tape amicale sur l'épaule.

- Alors, on a fini de peindre ses Tzeentch, Chris ?

- Ouais ! J'y ait passé du temps dessus.

- Tu les as chouchoutés, oui ! dis-je en regardant attentivement les figurines. Tu les a détaillées jusqu'au bout des doigts de pied !

- C'est ma petite vie ! Toi tu déchiffre les morceaux de Muse, moi je peint mes figurines à la perfection. D'ailleurs, ça avance ?

- Je me suis remise sur l'album « Black Holes and Revelations ». "Starlight" m'intrigue. Elle est... Spéciale.

Chris me regarde d'un air étonné. Il n'a pas tellement l'air de comprendre ce que je veux dire par le mot « spéciale ».

- Spéciale ? En quel sens ?

- Des instruments se rajoutent, puis disparaissent le reste du morceau. Et je ne comprend pas pourquoi Matthew n'a pas voulu les garder.

- Et si t'arrêtais d'en parler, au pire ? Demande Karl d'un air faussement agacé. T'es là pour te détendre, non ? Tu ne veux pas voir mon armée se faire décimer ?

- Oh que si, je ne raterai ça pour rien au monde !

- Ok, c'est parti ! Alors je prend le premier tour et je fais avancer mes Stormcast de...

J'essaie de rester concentrée sur la partie mais, bien que n'en ratant pas une miette, je pense toujours à ce foutu morceau. Je ne sait vraiment pas quoi penser. Je n'ai jamais eu autant de mal à déchiffrer un morceau de Matt. Si, un peu pour "Falling Away with You", mais c'était à cause de la double mélodie. C'était facile de les définir mais difficile de leur donner une signification qui puisse coller correctement avec les paroles. Mais j'ai réussi tout de même. J'étais tellement contente que je l'ai partagé à un maximum de monde. Très peu ont compris le principe, et tout le monde me demandait l'intérêt de faire ça. Je leur répondais que c'étais une passion, et que pour moi la musique est un langage. Pas besoin de l'écouter si ce n'est pas pour comprendre ce qu'elle veut dire. Chaque musique, chaque mélodie a son caractère et ses émotions à transmettre. Avec Muse, c'est surtout de l'amour et de la tristesse. Plus de la mélancolie que de la tristesse, d'ailleurs. Et certains morceaux invitent à se révolter contre nous-même. Contre le fait qu'on aime pas assez, qu'on déteste trop, qu'on abandonne trop. Je comprend les thèmes de Matthew, surtout l'abandon. Ma mère m'ayant laissée livrée à moi-même lorsque j'avais quinze ans, et mon père lorsque j'en avait deux, je connaît le contexte d'abandon par cœur. Surtout celui-ci. Et Muse a toujours été là pour canaliser mon chagrin. C'est un peu mon psychologue musical. Je dis toujours que chaque musique à son émotion, et que seuls les plus réceptifs peuvent la ressentir. J'en fait partie. Je peut très bien écouter "Unintended" et être triste, et passer à "Time Is Running Out" et être vengeresse en une fraction de secondes. J'ai toujours été capable de changer d'émotions en un rien de temps, je suis lunatique, je n'y peux rien. Mais jamais autant qu'avec Muse. C'est aussi pour cette raison que je cherche à déchiffrer ses mélodies. Pour savoir comment un morceau peut nous faire changer d'émotion en un rien de temps.

Mais c'est aussi pour me rapprocher de quelque chose que je le fais.



Désirs Inavoués (Matthew's Tragic Fanfiction)Where stories live. Discover now