Chapitre premier

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Erudita

Le soleil se lève sur les maisons de brique d'un petit quartier de Séville, teintant les vitres des chambres des habitants, de multiples couleurs chaudes. Le bruit des sabots des chevaux claquant fièrement contre la pierre, celui des oiseaux sifflant gaiement, le son des voisins ouvrant leur volets, accueillant avec joie, la lumière solaire, le tintement des cloches de neuf heures, le claquement du linge qui sèche sur les balcons, à la merci du vent, le cri des enfants ayant perdu leur balle, le crissement des roues des calèches, tous ces bruits plaisaient au fils Erudita, qui, dans un silence des plus profonds, sirotait un thé en lisant un des livres de son père.

" - Roméo, le petit déjeuner est servi, nous n'attendons plus que toi ! hurla sa mère du rez-de-chaussée."

Elle avait encore invité des amies à elle, et Roméo, les avait en horreur. Leurs piailleries incessantes brisaient le calme de sa vie paisible.

Dans un long soupir, il posa son livre et sa tasse sur le guéridon où il s'était accoudé et se leva.

Après avoir passé la main dans ses cheveux, d'un geste lent et hautain, il se contempla dans le miroir de sa chambre. Ses cheveux bruns lui arrivaient devant les yeux, comme des fils ambrés indisciplinés. Ses iris bleu océan n'avaient pas perdu leur éclat, et sa mâchoire fine, le faisait ressembler à un bambin. Il laissa glisser sur son corps chaud, sa chemise dans laquelle il dormait habituellement et, gêné de se voir si peu vêtu, il détourna le regard de son reflet. Il n'avait jamais perdu la face devant personne, à part devant son corps.

Il enfila rapidement une autre chemise blanche, et un pantalon noir simple. C'était les seules couleurs qu'il s'autorisait. Ses yeux bleus lui causaient déjà bien assez de soucis et il aimait la simplicité.

Quand il eut fini de se changer, il tâta son cou. Son collier ! Il avait failli oublier ce qu'il avait de plus cher à ses yeux. C'était un simple fil noir, au bout duquel pendait une pierre bleue comme l'abysse des mers profondes. C'était ce que sa feu grand mère lui avait laissé pour seul héritage.

Pour lui, elle était comme un genre de déesse qu'il vénérait et qu'il croyait immortelle, jusqu'à ce que son âme fut emportée par un cancer. Quand il était avec elle, il était comme un petit garçon heureux de vivre et plein d'entrain. Il jouait tout le temps, il pleurait souvent, il se confiait à elle... A sa mort, il avait pleuré pendant des jours, des semaines et des mois. Il la voyait partout : dans les livres qu'elle avait l'habitude de lire sur la véranda, un fin rayon de soleil caressant les pages qu'elle effleurait, dans les tasses qu'elle remplissait de lait pour son petit fils, dans les fleurs qu'elle cueillait pour en faire des bouquets et égailler leur triste maison, toutes ces petites choses qui la représentaient. Après ça, il s'était comme replié sur lui-même, ne montrant plus ses sentiments à personne, même pas à lui. Il avait construit un genre de cocon, dans lequel il s'était endormi, attendant que sa grand mère vienne le réveiller, et qu'ils continuent à jouer, comme dans le bon vieux temps.

Une larme coula sur sa joue aussi vite qu'un papillon bat des ailes. Il ne voulait pas pleurer, et ses larmes le savaient. Elles coulaient un bref instant, et s'arrêtaient aussi vite qu'elles avaient commencé.

Il respira un bon coup, enfila la pierre autour de son cou long et fin, et descendit les escaliers lentement.

Les ricanements des femmes se faisaient déjà entendre au bout de la deuxième marche. Roméo souffla, cette journée s'annonçait longue et ennuyeuse, comme tous les jours...

Roméo et RoméoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant