Tome I «Accepte ton passé»

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CHAPITRE I

« Sous la dissimulation  »

Malgré les desserts terminés et le sifflement du vent à l'extérieur de la maison, tout le monde continuait à débattre de l'actualité.
Des éclats de rire par-ci, du sarcasme par-là, tous semblaient ne pas être impactés par la violence du vent qui faisait trembler les fenêtres de la Ici à manger.
Seul Alan, le doyen de la table, semblait mal à l'aise, mais cela n'avait rien à voir avec la tempête qui imposait ses règles à toute l'Alsace en cette soirée automnale.
L'homme natif d'Irlande du Nord s'était encore réveillé brusquement, au point d'effrayer Jenna, sa petite fille aînée, qui lisait tranquillement dans sa chambre.
La pré-adolescente de douze ans était sortie angoissée de la pièce sans un mot.
Il faut dire que la violence d'Alan lorsqu'il sortait d'un rêve s'intensifiait de jour en jour.
De simples sursauts, puis des gestes brusques et maintenant des cris accompagnés inévitablement de pleurs.
Son beau-fils l'avait rapidement forcé à consulter un psychologue ainsi qu'un psychiatre en plein centre-ville.
Selon eux, le rêve avait forcément une connexion avec la souffrance que son cancer avait engendrée.

« Forcément ?  »
Pourtant cette maladie était éradiquée depuis neuf mois.
Alors pourquoi rêvait-il encore de ce ciel étoilé dans le désert, de cette silhouette aux iris jaunes enflammés, tapie dans l'obscurité qui tentait de l'avertir d'un danger dans une langue incompréhensible et de cette immense météorite noire, plus étincelante qu'une étoile qui lui tombait dessus alors qu'il protégeait un nourrisson dans ses bras ?

Ce rêve le faisait souffrir, non pas dans sa chair, mais dans son esprit, car il avait le sentiment qu'il faisait entièrement partie de sa vie.
Pourtant, même avec JennyLyn, sa défunte femme, jamais il n'avait visité un pays au climat tropical, voire désertique.
À aucun moment, depuis sa réapparition à ses dix-neuf ans, il ne s'était risqué à quitter l'Irlande, même pour des raisons touristiques.
Seul le mariage soudain de sa fille après la mort de sa femme, avec un trentenaire français travaillant au parlement européen, le poussa à quitter sa terre qu'il qualifiait à qui voulait l'entendre de natale.
Pourtant, au fond de lui, Alan savait que ses parents l'avaient trouvé dans le parc national de Killarney, seul et aveugle lorsqu'il n'était qu'un garçonnet.
- Papa, Papa ! La voix de Violet le fit sortir de ses pensées et il se rendit compte que même les invités l'observaient.
- Papa, je te demandais si tu voulais une infusion ou un thé, dit Violet.
- Oh ! oui bien sûr, un thé serait parfait, répondit Alan en tentant de ne pas paraître affaibli.
- Si vous le voulez bien nous allons nous déplacer dans la pièce d'à côté près de notre cheminée datant du coup d'État de Napoléon III. Eh oui !
Un rictus de satisfaction se dessina sur le visage de Pierre-Thomas, le beau-fils d'Alan qui l'exaspérait par son attitude toujours aussi prétentieuse.
- Qu'a-t-elle donc pu trouver à ce crétin de Gaulois ? pensa le vieil homme en s'appuyant sur sa canne à tête de lion.
Son gendre était certes charismatique, mais ses manières luxueuses les avaient immédiatement rebutés JennyLyn et lui lors de leur première rencontre.
Étant tous deux fils et fille d'ouvriers, sa mentalité de bourgeois versaillais avait électrifié l'atmosphère.
Seul l'amour pour sa fille avait retenu son poing plus d'une fois.
Violet était une fille aux manières brusques.
Pendant des années, ses camarades l'avaient surnommé la « Hooligan rousse ».
Toujours prête à s'enflammer et en découdre avec n'importe qui.
Aucune similitude n'était visible entre eux.
Seule la beauté hypnotique de sa fille semblait ensorceler le français qui tentait jalousement de ne pas la montrer à tous ses collègues masculins du parlement.
Grande et large des épaules et des hanches, sa chevelure volumineuse et orangée lui tombait jusqu'au bas de son dos.
Ses yeux en amande paraissaient tout aussi orange que ses taches de rousseur, le tout contrastant avec une peau étonnamment laiteuse.
Violet ressemblait à son père contrairement à David, son frère aîné décédé subitement quatre ans plus tôt.
La beauté de la femme devenue mère avait toujours été vantée par tous ceux qui l'avaient rencontrée ou même seulement vue au Trinity College, son université.
Mais sa forte ressemblance avec son père faisait aussi comprendre aux curieux qu’Alan n'était pas le fils biologique des Welby.
Le physique de sa fille le confrontait inexorablement à son passé et cela le dérangeait.
Bien qu'il n'en eût que très peu de souvenirs.

Kings,tempêtes et BakemonosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant