Il ouvrit les yeux avant même que le soleil qui perçait au travers des volets en partie relevés n'ait le temps de caresser son visage. La lumière était froide, blanche, et lui fit vite comprendre qu'une épaisse couche nuageuse devait voiler le ciel. Couché sur le côté, en chien de fusil, il regarda sans grande conviction la petite horloge sombre qui trônait sur le mur qui lui faisait face. Comme à son habitude, il possédait une raisonnable avance qui lui autorisait de paresser encore un peu. Avec une lenteur calculée, embrumé de sommeil, il étira ses bras face à lui jusqu'à sentir le vide sous ses doigts, à l'endroit où le matelas s'arrêtait. Dépité à l'idée de quitter la chaleur confortable que son corps avait généré dans les draps, il roula sur le dos, et les ramena un peu plus haut encore. Ainsi blotti, il se sentit un instant si bien qu'il craignit de se rendormir. Il battit longuement des cils pour tenter de chasser Morphée qui l'aurait bien repris dans ses bras une petite heure. Ce fut avec un soupir léger qu'il finit par se lever sans un son, et il entreprit alors de faire le lit avec soin.
Il contempla un moment le mur, assis sur les draps tirés, et passa une main sur son visage. Il n'était pas particulièrement dur à lever, mais certains jours nécessitaient un temps de démarrage plus long que d'autres. Il commençait à entendre bouger ses voisins, aussi décida-t-il qu'il était plus que temps de vraiment se préparer. Il attrapa ses vêtements d'une main lasse, un simple débardeur aussi noir que le pantalon qu'il enfilait sans se presser. De grosses bottes confortables vinrent compléter sa tenue, et il se souvint de justesse d'attraper son blouson lorsqu'il quitta sa chambre. Dans le couloir, il croisa quelques personnes auxquelles il n'avait jamais jugé utile d'adresser la parole, et dont les habits ne différaient des siens que part les couleurs. Il claqua sa porte avec vigueur, et s'éloigna d'un pas ample, tout en se félicitant d'avoir repêché cette veste au dernier moment. Il ne faisait pas spécialement chaud.
Il fronça le nez avec discrétion quand les odeurs du self lui parvinrent. Aux senteurs sucrées des viennoiseries se mêlaient celles des saucisses pleines de graisse, des pommes de terre, agrémentées d'un fort parfum de café. Il n'y avait pas encore grand monde. Peu de personnes se levaient à cette heure-ci, et la salle se remplirait très vite d'ici une petite demi-heure. Il salua d'un signe de tête celle qui supportait leurs caprices culinaires, et s'occupait de leur remplir l'estomac, alors qu'elle lui souriait avec une certaine bienveillance. Il se plaisait à l'appeler « Chef », et elle appréciait cela, mais il n'osait admettre que c'était parce que son nom lui échappait encore. Il empocha un croissant qu'il sentait encore tiède dans sa paume, et piqua de la même façon une tasse de café brûlant qui, bien qu'il n'ait du café que le nom, aurait le mérite de le réveiller. Sans un regard pour les assiettes débordantes de certains, il se trouva un coin au calme, non loin de la grande baie vitrée de la salle. Il s'appuya lourdement sur sa main et grignota son petit déjeuner sans conviction, tout en contemplant ce qu'il avait déjà deviné : un soleil absent, qui ne signalait sa présence qu'au travers d'un couvercle grisâtre. Avec un certain dépit, il songea alors qu'ils seraient bien chanceux s'ils ne se prenaient pas une averse sur la tête.
Comme il s'y attendait, il commençait à y avoir du monde. Ce fut d'ailleurs le moment où lui-même décida de quitter les lieux afin d'être tranquille jusqu'à l'appel. Il quitta le réfectoire et marcha sans se presser vers l'extérieur. Le froid lui fit enfiler sa veste, qu'il remonta jusqu'au menton, et il s'autorisa un petit sourire lorsque l'air frais s'engouffra dans ses poumons. Des odeurs de mousse, d'arbre et de terre humide lui chatouillèrent le nez, remplaçant celles de la nourriture qui semblaient lui coller à la peau. L'endroit était beau, quoi qu'il puisse en penser. Les quelques bâtiments qui les accueillaient étaient encerclés par une forêt dont il ne connaissait pas vraiment l'étendue. Elle était grande, c'était tout ce qu'il savait. Quelques petits villages se situaient çà et là, mais la ville la plus proche... Oh, il n'avait aucune idée de l'endroit où elle se trouvait. Il ne savait même pas comment se la représenter, de toute manière. De ce qu'il en avait vu, toutefois, lors d'exercices d'orientation ou de survie, quitter ces bois prendrait bien du temps, surtout à pied.
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Quidam
General FictionA la manière du bétail, ils sont élevés, utilisés, pour servir une cause qui les dépasse. A la manière des bêtes, ils vivent reclus, isolés, enfermés dans un confort factice qui se révèle être la seule connaissance qu'ils aient du monde. A la manièr...