Assise dans l'inconfortable fauteuil du salon, Olivia regardait par la fenêtre. Lasse de cette usante routine, elle commençait à s'enfoncer dans une profonde léthargie.
Marianne tentait tant bien que mal de la distraire, mais rien n'y faisait.Elle était amoureuse d'un homme qui l'ignorait.
Il n'y avait que peu de chose pour la soigner de cet affreux mal ; il la rongeait. Peu de choses et beaucoup à la fois. Il aurait suffit que Narcisse s'aperçoive de sa présence. Qu'il effleure le dos de sa main du bout de ses doigts. Qu'il lui parle, rien que pour lui dire bonjour. Oui, cela aurait été suffisant. Malheureusement, elle était aussi transparente qu'un fantôme, à peine plus remarquable qu'un léger souffle d'air.
— Que diriez-vous de faire une promenade dans le parc, Madame ? Il fait si beau aujourd'hui ! Le coucou a chanté pour la première fois hier, vous devriez venir l'écouter.
— Vous êtes aimable, Marianne ! Allez donc profiter vous-même de ce beau temps.
C'était une façon courtoise de la congédier mais aussi de lui offrir du temps libre, chose que dans toute autre demeure, les domestiques n'obtenaient guère de la part de leurs maîtres. Olivia, quant à elle, ne souciait guère de la supériorité octroyée par son titre, contrairement à ses paires. Si elle avait reçu l'éducation que lui imposait son rang, elle avait aussi obtenu de son père un profond respect de l'être humain. Le comte de Beauvoir détonnait, au milieu de tous ces nobles guindés et méprisants. À eux deux, père et fille mettaient à mal la bienséance de leur temps. Monsieur, passionné par les chevaux dont il faisait l'élevage, était fort bien considéré, quoi que son trop grand cœur lui valait la réputation d'être un peu naïf aux yeux du monde, ce qui était en réalité une grave erreur de jugement. Quant à la toute fraîchement mariée Madame de Vaire, elle avait tout d'une excentrique. Elle sortait peu, ne participait pas aux mondanités, montait à cheval sans selle...
Au moment où Olivia tourna la tête et croisa le regard de Marianne, elle lut dans ses prunelles tout ce que celle-ci lui taisait. La femme de chambre se demandait ce qui avait poussé les deux jeunes gens à s'unir. Leur rang égal ? La transmission d'un beau patrimoine ?
Ah, si elle savait qu'Olivia avait toujours eu le choix, qu'elle n'avait eu nulles contraintes de la part de ses parents ! Son père ne désirait qu'une chose : voir sa fille, son petit lys bien comme il l'appelait, heureuse. Le bonheur de sa plus jeune enfant faisait le sien.
Il ignorait seulement qu'au fil des jours ce même astre se mourait et que la lueur qu'elle émanait, s'éteignait avec elle.
Hélas, elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle seule ; elle était la propre auteur de son malheur.
La jeune femme avait reçu nombre de propositions enflammées qu'elle avait toutes refusées dès que Narcisse avait commencé à lui tourner autour.
Parfois, quand elle considérait sa situation, elle se sermonnait pour son trop plein d'orgueil. Si elle n'avait pas voulu le plus bel homme à ses yeux, le plus mystérieux et le plus inaccessible pour elle, elle aurait sans doute été heureuse. Mais elle l'avait désiré, ardemment, depuis que sur elle, il avait posé le regard.
Et cet amour dévastateur la perdait.
— Je vous en conjure, Madame, accompagnez-moi. Vous verrez, le grand air vous gonflera le cœur.
Marianne n'avait décidément pas envie d'abandonner, elle était aussi têtue qu'une mule ! Par ailleurs, la domestique avait beaucoup de chance d'être au service d'Olivia puisqu'à coup sûr, dans une autre demeure, son aplomb lui aurait valu quelques corrections. Cependant, Madame de Vaire ne voyait pas en sa domestique un affront à son autorité ; au contraire, elle lui portait de l'attachement. Elle était sans cesse angoissée pour elle, toujours aux petits soins. Dévouée. Et si Marianne insistait de la sorte, c'était simplement parce qu'elle voyait Olivia s'enfoncer dans les méandres du désespoir. Elle était effrayée à l'idée que sa maîtresse emprunte un sentier d'où elle ne reviendrait jamais.
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NARCISSE
Historical FictionOlivia, fille adorée du duc de Beauvoir, n'aurait jamais imaginé qu'en acceptant de s'unir au froid et taciturne Narcisse de Vaire, elle épouserait la solitude. Après leurs noces, les semaines s'écoulent, puis les mois, sans que Narcisse ne se décid...