Une fois encore, je me réveillais en sueur, mon cœur battant si fort qu'en regardant ma poitrine je pouvais presque voir ses mouvements. J'ignorais l'heure qu'il était, mais cela n'avait pas réellement d'importance. Je retrouvais peu à peu mon calme, désireux de retomber au plus vite dans les bras de Morphée, espérant, comme toujours, une nuit sans rêve. Bien entendu, cela n'arriverait pas, je referais le même rêve qui m'avait réveillé cette nuit-là, et celle d'avant, ainsi que toutes les autres depuis des mois maintenant.
Le rêve avait toujours été plus ou moins le même depuis la première fois, il avait seulement gagné en détails, en précisions et désormais, je pouvais presque me sentir mourir chaque nuit. Je le connaissais par cœur, et quand je ne dormais pas, j'y pensais à chaque instant, j'étais hanté par mon propre esprit. Le rêve prenait place dans ma chambre : j'étais allongé sur mon lit, comme si je m'éveillais. Le calme était total, le silence, assourdissant. Puis, après quelques instants, je commençais à entendre un très léger sifflement, qui partait de la porte et remontait jusqu'à mon lit, lentement. Quand le son devenait trop fort, je commençais à m'agiter, mais sans pouvoir bouger, et mon incapacité à réagir devenait plus forte quand les ombres se mettaient à bouger. Elles remuaient, de la même façon que la chaleur au-dessus de l'asphalte lors des étés particulièrement chauds. Après quelques ondulations, elles changeaient de place, puis de forme avant de totalement recouvrir les murs, changeant leurs couleurs bleu clair en un noir profond, me plongeant dans une abysse dans laquelle mon lit et moi-même étions les seules choses visibles.
La terreur s'emparait définitivement de moi lorsque le lit commençait à bouger, pas assez pour vraiment se déplacer mais suffisamment pour être légèrement secoué. Cela semblait durer des heures à cause de la perception étrange du temps lors des rêves, mais lorsqu'enfin les secousses s'arrêtaient, ce n'était que pour me révéler une monstruosité bien plus terrible que tout ce que j'avais pu imaginer. Au bout de mon lit, j'entendais des craquements. Ce n'était pas ceux du plancher, ni du bois de mon lit, mais bel et bien le bruit d'os que l'on craquait, comme si ce qui approchait était resté immobile pendant des années. Je trouvais à peine la force de relever la tête pour contempler le bout de mon lit, la peur au ventre, quand finalement une main se posa sur mon matelas, comme si elle avait attendu que je la regarde, puis une deuxième se posait de l'autre côté. Les doigts décharnés qui les prolongeaient étaient extrêmement longs, crochus et dépourvus d'ongles. Lentement, les mains poussaient sur le lit pour élever le corps de la bête non pas sur le lit, mais au-dessus de moi.
C'était en général à ce moment-là que je prenais conscience de mon rêve,comme si je me réveillais au milieu d'un cauchemar sans pouvoir en sortir. Aucun homme, aucun animal ou aucune créature sur Terre ne pouvait se déplacer comme elle le faisait. La Bête semblait flotter au-dessus de mon lit, son corps était comme un drap secoué par le vent, souple et léger, et ressemblait plus à une vague silhouette humanoïde entourée d'une cape qu'à un monstre grotesque né de l'imagination d'un enfant apeuré. Paralysé par la terreur, il m'était impossible de fuir, même lorsque la Bête se penchait sur moi. Je sentais son souffle sur mon visage et je pouvais voir ses bras se rapprocher de moi. Là, ses mains osseuses posées de chaque côté de ma tête plantaient leurs doigts crochus dans mon crâne, prêt à céder d'un moment à l'autre sous la pression titanesque qu'elles exerçaient sur lui.
Du sang coulait de mon nez jusqu'à ma bouche et là, la tête sans visage de la créature s'ouvrait en deux telle une bouche horrible, d'une profondeur abyssale, insondable. C'est à ce moment-là que commençait la partie la plus atroce de ces cauchemars quotidiens, celle qui me fait me réveiller en sueur toutes les nuits, angoissé jusqu'au lever du jour : la créature, gueule ouverte face à monvisage, les mains broyant mon crâne, se mettait à hurler. Ce cri, indescriptible, était de loin le plus terrifiant qu'un être de cette dimension pouvait entendre. Ses hurlements me glaçaient le sang, brisaient mes os, dévoraient mon esprit et consumaient mon âme dans un océan de terreur... Puis je me réveillais.
Depuis des mois, je ne dormais qu'à moitié, trop perturbé par ces incessants cauchemars. Je me rassurais comme je le pouvais, me répétant inlassablement que tout cela n'était que le fruit de mon esprit épuisé, mais la peur devenait trop forte et le sommeil ne venait plus si facilement. Je décidais d'allumer la lumière et d'attendre le matin pour dormir un peu, après tout, nous étions Dimanche et je pourrais enfin récupérer un peu de sommeil, rassuré par la lumière du Soleil qui inonderait la chambre au matin.
Finalement, dans cette chambre parfaitement éclairée et par cette belle matinée je me recouchais, serein, mais tout de même dérangé par un bruit que je mis du temps à identifier.
C'était un sifflement.