Par le chant des sirènes

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Je me plonge dans la béatitude créée par l'harmonie du monde. Une note, un silence, un chant d'enfant... Les variations se succèdent et je jouis de leur perfection. Mon énergie passionnée me guide ; je vois la musique, je sens ses intonations, je perçois ses couleurs. Je m'abîme dans ma contemplation émerveillée. Moi, Aédé, j'écoute la mélodie de l'univers et je veille. Chaque élément sonne, tonne, résonne en accord dans mon esprit. Je me sens emportée, transcendée. Je dirige la musique d'où qu'elle provienne, à travers l'espace et le temps. Sa symphonie me subjugue. Je les observe, mes protégés. Ils forment un spectacle mouvant, varié. Certains d'entre eux auront la chance de m'apercevoir. D'autres se contenteront d'un murmure inspirant au creux de la nuit, au détour d'un rêve. Tous créeront : chant, danse, composition, je leur laisserai entendre une parcelle de notre grand-œuvre et y ajouter leurs notes personnelles.

Soudain, mon attention est attirée par une anomalie. Un silence ; une pause imprévue au cœur de ma mélodie parfaite. Je la cherche, la traque, l'observe. Je ne comprends pas. John jouait ici il y a quelques instants. Je l'aime beaucoup ; sa bonne humeur, ses tentatives rafraîchissantes et son ingéniosité incontestable apportent une touche d'originalité bienvenue à la mélodie. Il a disparu. Personne ne le remplace. Je ne perçois qu'un trou béant, un vide. Je ne sais où le trouver. J'insuffle la tristesse qui m'envahit dans la musique environnante... Un nouveau silence me répond. Je me précipite vers son origine. Maria ? Sa voix me manque déjà... Et d'autres ? Antonio, Madonna, Claudio, Catherine, Johann Sebastian... Mes amis, mes amours s'évaporent sous mes yeux sans que j'en comprenne la raison ou l'origine, sans que je puisse lutter, me battre.

Il ne reste que le silence. Je me retrouve seule, abandonnée, désespérée. Où vous rendez-vous ? Comment vous rejoindre ? Je prête peu d'attention aux larmes qui s'écoulent le long de mes joues, obnubilée par la peine lancinante qui me saisit les tripes. Le silence. L'ai-je entendu un jour ? Il m'anéantit. Je me demande si je ne suis pas devenue sourde, si je ne suis pas morte. Il ne reste que moi, l'obscurité et ce vide incessant. Combien de temps tiendrai-je avant de sombrer dans la folie ?

Le bruit me prend par surprise. Je me plie de douleur, plaque mes mains sur mes oreilles. Rien à faire, le son se faufile entre mes doigts crispés, s'insinue dans le moindre recoin de mon âme, dissonant, strident, comme si des milliers de voix hurlaient pour m'appeler à l'aide. Je souffre avec elles, recroquevillée sur moi-même. Que se passe-t-il ? Que m'arrive-t-il ? Que cela cesse ! Ma bouche déformée se joint à ce chœur de douleur dans un hurlement muet. Je me sens tiraillée, violentée, torturée. Chaque seconde qui s'écoule augmente ma peine. J'appelle la mort de mes vœux. La dissonance devient chant, s'amplifie, m'envahit. Achevez-moi. Aidez-moi. Je me sens à bout de souffle, à bout de vie ; la torture se poursuit, implacable. Tuez-moi. Je vous en supplie, tuez-moi.

Lettre du front, premier combat, soldat de première classe.

Maman,

Je viens de tuer un homme. J'ai placé un pistolet contre sa tête, appuyé sur la détente, maintenant, il est mort. Maman, la vie commençait tout juste... Mais je suis parti et j'ai tout envoyé valser. Maman... Je n'avais pas l'intention de te faire pleurer. Si je ne suis pas rentré demain à cette heure-ci continue, continue comme si rien n'avait vraiment d'importance.

Freddie

Euterpe pénétra dans la salle du conseil, revêtue des insignes de son art. La grâce se mêlait à l'apparat dans chacun de ses gestes mesurés. Elle salua ses sœurs Muses d'un regard entendu et se dirigea vers la table de commandement. Plusieurs sirènes s'y trouvaient déjà, absorbées par l'organisation de la bataille.

Par le chant des sirènesWhere stories live. Discover now