Le Voyageur

Chapitre V

  Arrivé vers la place du village, j'aperçus une diligence noire à l'arrêt. Je m'approchai et vis le cocher regardant droit devant lui.

Je l'interpellai:

"Bonjour, excusez-moi, sauriez-vous ce qu'il y a à visiter ici ou dans les environs?

- ...

- Pourriez-vous m'y emmener?

Toujours pas de réponses. Décidément, c'est un comble!.

J'essayai encore une fois:

"S'il vous plaît monsieur, pourriez-vous me conduire dans un endroit à visiter?".

Le cocher resta dans son silence durant quelques secondes, avant de me dire d'une voix caverneuse: "Montez".

Enfin!. Je savais bien qu'en 1920 tout le monde savait parler, même ici où le temps semblait s'être arrêté.

Je montai donc, me demandant où il allait m'emmener. Un parc?. Un château?. Je verrai bien. Ce qui était ennuyeux, c'est que je ne pouvait regarder où j'allai, n'ayant aucune ouverture. Je repensais aux paroles et aux regards inquiets du voyageur, ce qui n'avait rien pour me rassurer.

La diligence s'arrêta et je descendis.

La surprise me cloua sur place, car j'étais sur le quai!. Sans aucun doute, le cocher n'avait pas compris ma demande. Je me retournai, la diligence avait disparu.

Soudain, un train arriva. Mon sang ne fit qu'un tour: Je vis mon compagnon de voyage collé à la vitre, le visage tordu d'angoisse.

Et là, ce fut l'horreur, car je me vis, moi-même, en train de descendre sur le quai. C'est alors que sous mes yeux horrifiés, mes mains se décomposèrent jusqu'à tomber en poussière sur le sol.

A partir de ce moment, je compris pourquoi le voyageur était si inquiet: cela était bien dur à croire, mais il n'y avait plus aucun doute.

J'étais maudit, condamné à tomber en poussière quand je me voyais dans cette gare, et cela jusqu'à la fin des temps. Les paroles de l'aubergiste résonnèrent en moi comme une fatalité: " Dehors, maudit étranger, maudit étranger, maudit étranger...".

Au moment où mon autre moi atteint le vieux panneau moisi, j'ouvris la bouche pour lui hurler: "Non!", mais le son fut avalé tandis qu'un torrent de poussière me fit disparaitre à jamais.

Fin