Cercle Chromatique

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                Le vent qui fait valser les cheveux. Agréable. Le pas de parade des passants. Monotone. Le soleil qui tire sa dernière révérence. Majestueux. La brume qui estompe les traits des bâtiments. Graphique. La déclinaison des mille sourires des nuages du soir tombant. Aveuglant.

Elle marche la demoiselle, elle marche. Mais c'est le ciel qui va lui tomber sur la tête. Il est étouffant. Pourtant il lui rend le souffle que les gens lui volent. Alors elle danse la demoiselle, elle danse. Portée par la brise, ses pieds ne touchent plus le sol.

                Un coup d'épaule d'un homme d'affaire, pressé. Elle est ramenée, les ballons sont percés. Grimace, désespoir de la réalité. Le gris qui submerge et fait couler les larmes de goudron. Le ciel pleure lui aussi. Il comprend tout, et voit la tristesse acide des cœurs. Les gouttes tombent sur les hommes asséchés et leurs os moisis. Elles font fondre leurs cris silencieux, leurs odeurs de kérosène brûlé. Puis de leur cendre ressort des escaliers s'enfonçant vers les profondeurs de la Terre.

Plus de tristesse mais une mare de vide. Celle-ci coule le long des marches avec ferveur. La demoiselle est curieuse, elle voulait voler et voilà qu'elle est maintenant intriguée par ce qu'il y a sous ses pieds. Mais qu'importe, elle glisserait sur la cascade noire. Ses doigts effleurent l'eau du néant et elle ressent. Ses yeux s'ouvrent en grand, incapables de tout voir mais désireux. Le bonheur et le doute, la compassion et la peur. Des couleurs. Elles sont en bas, la demoiselle le sait. Alors lentement, elle pose son pieds sur la première marche. Sa botte disparaît, et ses pieds rentrent en contact avec un toucher semblable à l'herbe de son jardin. Doux. Soyeux. Vert. Le gris de son cœur enfin dévoile son âme et elle sourit. Peut-être trouvera-t-elle enfin satisfaction dans cette nouvelle réalité? Impatiente, elle se met à courir en descendant toujours plus profondément. Du cyan, du magenta, du jaune, du violet, du orange! Tout mélangé comme une danse! Le rire de sa demoiselle envahit les lieux et résonne à travers la terre. Il ressort par les pétales des roses et se propage à travers les mélodies du vent. Il est tout couleur et douceur.

Les jambes accélèrent et les marches s'illuminent dès qu'on les caresse. Des visions de champs fleuris, de couchers de soleil, d'aurores boréales lui parviennent. Elle les sent avec ses yeux désormais clos, les goûte avec son nez joyeux, les voit avec ses pieds libérés, les touche avec sa bouche souriante. Son cœur implose, la vie la frappe. Comment a-t-elle pu la négliger avant? Comment a-t-elle pu penser qu'elle ne valait pas le coup d'être vécue? Des larmes de bonheur coulent sur ses joues nues et sereines. Elle court sur cet escalier en colimaçon et les couleurs les plus improbables se rencontrent, humaines ou non. Elle se sent pleine.

                 Une goutte d'eau tombe sur sa joue. La tête tournée vers les cieux, la calme et immobile demoiselle ouvre les yeux. La lune est là, seule, elle l'attendait. Le soleil a dû partir se coucher, il était déjà fatigué tout à l'heure. Les deux se sourient et se saluent. La nuit est claire, il est l'heure. Les couleurs se serrent la main, se disent au revoir et repartent chacune de leur côté. La Lune va se cacher derrière des arbres, elle lui laisse de l'intimité. Comme c'est gentil de sa part. Le sol est redevenu dur sous ses pieds. N'a-t-il jamais été autre? Une demoiselle sourit et sort. 

L'aquarium des écrivainesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant