Daemon [TERMINÉ]

Chapitre 9

Station de métro abandonnée, Vestiaire

Kroenen glissa le disque dans l'électrophone et mit en marche l'appareil. Aussitôt, une musique classique envahit la pièce sombre et silencieuse. Comme toujours, il était vêtu d'une combinaison noire et moulante, ornée de tout un assortiment de couteaux. Sa tête était encore cachée par son casque noir et luisant. A pas lents, il se retourna et s'avança vers Ilsa, debout devant Raspoutine, qui lui était assis sur une chaise. Avec douceur, elle lui rasait le crâne, une cigarette allumée au coin de ses lèvres. Lorsqu'elle eut fini, elle posa précautionneusement le rasoir dans un bol d'eau à ses côtés et attrapa deux yeux de verre aux iris bleu vif, posés sur un mouchoir. Raspoutine, qui gardait les paupières closes, tendit la main devant lui, et sans un mot, Ilsa y déposa les yeux, qui tintèrent légèrement.

Kroenen demeurait en retrait, droit et immobile, assistant en silence à la scène. Raspoutine se mit debout, face à Ilsa, et glissa dans ses orbites vides les deux billes de verre. Lentement, il ouvrit les paupières et regarda la jeune femme, qui l'observait, sa cigarette à la main. Soudain, un mouvement sur sa droite attira son attention. Deux petites boules de feu vertes flottaient au-dessus du sol, au niveau de sa tête, et s'approchaient de lui en crépitant. Raspoutine tendit la main vers elle et ouvrit sa paume vers le ciel pour que les boules s'y posent en douceur.

- Samaël a accompli sa destinée, dit-il. Meurs en paix et renais, encore et toujours.

Il referma ses doigts sur les boules de feu. Son poing s'illumina de vert et de la fumée blanche en sortit.

- Il ne reste plus qu'une semaine avant l'éclipse, Grigori, rappela Ilsa.

- L'enfant viendra, assura Raspoutine d'une voix calme. Nous serons tous réunis, n'est-ce pas ?

Il rouvrit son poing, vide. Un grondement retentit derrière Ilsa et Kroenen, qui firent volte-face. Assis devant la porte se tenaient deux monstres semblables à Samaël. Les tentacules qu'ils avaient autour de la tête s'agitaient furieusement.

Raspoutine les regarda et sourit. Son destin allait enfin s'accomplir.

***

Les rues étaient envahies par des gens déguisés. Des enfants criaient et couraient dans tous les sens. Un homme, déguisé en Pierrot, s'avança vers un banc public, un pack de six canettes de bière à la main. Il les posa et s'assit aux côtés d'une jeune fille blonde au costume de Colombine, assorti au sien. Avec un sourire, il se pencha vers elle et l'embrassa, sans penser à surveiller sa bière. Il ne vit pas une longue queue bleue et terminée par un triangle sortir des buissons derrière eux et se glisser vers le pack. Avec un sourire satisfait, Kurt attrapa les canettes et les ramena vers lui avant de filer.

Avec tous les costumes que les gens portaient, il n'avait aucun mal à marcher dans les rues, où il provoquait d'ordinaire la panique. Il s'éloigna du centre-ville, où la fête battait son plein, et suivit une longue rue jusqu'à l'hôpital psychiatrique Bellamie, qui était légèrement excentré. Arrivé devant les hautes grilles en fer forgé, il monta sur le piédestal d'une statue et jeta un œil vers les fenêtres éclairées de jaune.

A l'intérieur, un groupe de patients, tous vêtus de robes de chambre pourpres, avançaient, encadrés par trois médecins en blouses blanches. Mellie Krueger marchait parmi eux, les yeux baissés. Ses longs cheveux noirs tombaient devant son visage et en dissimulaient une partie. Soudain, l'une des patientes s'arrêta et s'avança vers une fenêtre.

- Y a un grand monsieur tout bleu là-bas, dit-elle d'une voix trainante.

Mellie se figea et releva vivement la tête.

- Ce n'est rien trésor, Avatar est resté sur sa planète, dit calmement l'un des médecins en attrapant la femme par le bras.

- Pas Avatar, répliqua-t-elle en secouant la tête.

Le médecin l'entraîna dans le couloir, feignant de s'intéresser à ce qu'elle avait vu. Mellie jeta un œil par la fenêtre et sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Elle était dans cet hôpital parce qu'elle-même l'avait souhaité, elle pouvait donc aller où bon lui semblait. Elle fit demi-tour et descendit les escaliers jusqu'au rez-de-chaussée. Le hall de l'hôpital Bellamie était plongé dans l'obscurité. Elle tira le loquet de la double porte et sortit dans la cour. Le vent dehors qui soufflait la fit frissonner.

La tête rentrée dans les épaules, elle avança de quelques pas, jetant des coups d'œil autour d'elle. Soudain, un tintement se fit entendre derrière une statue et la fit se retourner. Un bras en dépassait, tendant un pack de six canettes.

- J'ai apporté de la bière, lança Kurt, dissimulé derrière la statue.

Mellie aperçut la profonde entaille sur le poignet de son ami et un voile d'inquiétude glissa sur son visage.

- Oh Kurt, ton bras. Il faut faire examiner ça.

Elle marcha vers lui, resserrant sa robe de chambre sur sa poitrine. Kurt sortit de l'ombre et fit face à la jeune fille, évitant son regard.

- J'avais envie de te voir, avoua-t-il, les yeux baissés au sol.

Mellie hocha doucement la tête. Une ébauche de sourire apparut sur ses lèvres et elle entraîna Kurt à sa suite pour aller s'asseoir sur un banc, à l'écart.