Chapitre III- Le parfum d'une enfance

13 1 0
                                    

Les jours qui suivirent, je passai le plus clair de mon temps à rattraper les années perdues et j'apprenais chaque jour à aimer cette famille qui m'était arrivée sans crier gare, dans un moment où je ne m'y attendais pas. C'était comme une nouvelle naissance: comme le nourrisson, avant de naître, je ne savais pas où j'étais. Et en naissant, je découvrais un monde que je n'avais pas choisi mais que je découvrais jour après jour.

Cette nouvelle naissance fut marqué par la découverte de la tendresse. Au début, ne sachant que faire de cette amour brûlant que l'on m'offrait, j'étais plongé dans la crainte de devoir le rendre d'une quelconque façon, et bien sûr, j'en étais inapte.

Je me rends vraiment compte à présent du travail que firent les invisibles avec bienveillance, patience et générosité. J'étais un enfant plein de colère. Cette colère était née de ce sentiment d'abandon dont j'avais souffert lors de ma séparation avec ma famille, cinq ans auparavant. Cette douleur était farouchement protégée par une colère violente et une aversion envers l'amour. J'étais incapable d'aimer ; l'expérience m'avait appris qu'aimer faisait mal. J'avais appris que l'amour était inutile puisse que, tôt ou tard, nous sommes tous amenés à être séparés. Alors cette peine à aimer se traduisait par cette colère indomptable.

Ainsi, sans être de mauvaise volonté, je ne pouvais aimer comme je ne savais pas comment. Bien sûr j'aimais Balthazar, mes tuteurs qui m'avaient élevés mais je m'éloignais le plus possible des sentiments afin de ne pas avoir à souffrir de nouveau.

Mes parents, avec patience, ainsi qu'Onkel Broos, Tante Alice et nos frères et sœurs nous réapprirent à aimer. Mais c'était trop. Trop d'amour d'un coup. Et ce qui me tourmentait encore plus était ce mal-être de ne pas pouvoir le leur redonner en échange.

J'étais donc torturé par l'amour que je ne pouvais donner, de peur de m'attacher. Combien de nuit n'ai-je pas réveillé mes parents par mes sanglots d'enfant perdu ?

Maman se levait automatiquement, venant à mon secours, avec cette douceur bien à elle, cette patience. Jamais je n'oublierais la manière qu'elle avait de me serrer tendrement contre elle en me frottant le dos, en me disant « Ne t'en fais pas, tout finira par s'arranger. » et son parfum de lilas et de fleur d'amandier que je respirais lorsque ses longs cheveux venait à recouvrir mon visage ruisselant de larmes fraîches. Papa s'assoyait au bord du lit, encore ensommeillé, baillant discrètement. Il recalait mes peluches en passant une main dans ma chevelure au passage. Herman, en grand frère protecteur, lorsqu'il était éveillé à cause de mes sanglots nocturnes, passait un bras autour de mon cou et me rassurait comme il le pouvait...

Pour la première fois, j'étais bordé, cajolé, en proie à l'amour.

Je ne sais pas si c'était une bonne idée de leur part, mais nos parents cédaient à tous nos caprices dans les premiers temps (peut-être avaient-ils peur de nous perdre de nouveau sans cela ?). Il me semble, même si les idées se mélangent lorsque je remets les éléments en place dans ma tête, qu'ils ne savaient pas comment nous rappeler à l'autorité. Ils savaient que leur invisibilité les rendait impuissants. Cette vulnérabilité les obligeait ainsi à s'abaisser à nous, de peur de ne jamais plus avoir une chance de réapparaître un jour. Heureusement, il y avait Herman, Victoria et Gallia pour prendre les choses en main : eux n'avaient pas peur de nous dire les choses ! Parfois c'était presque trop même, mais je crois que je cherchais inconsciemment des limites que l'on ne me donnait pas. Alors lorsqu'enfin je les reçu, je ne pouvais que les accepter.

Ce moment de ma vie coïncide justement avec un passage compliqué. A cette époque, je traversais une crise existentielle assez importante. Etait-elle dû au peu d'intérêt que nous portait Henry et Marlène ? Parfois, nous nous demandions, Balthazar et moi, si ce n'était pas finalement nous qui étions invisibles à leurs yeux...

VeritasWhere stories live. Discover now