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Entre ses doigts tremblants, Yoongi tenait un stylo plume qu'il avait reçu pour son anniversaire de l'année dernière et la page blanche qui lui faisait face lui donnait l'impression d'un véritable raz de marée dans son esprit ou au contraire à un trou totalement noir, qui aspirerait la moindre de ses idées. Dans son esprit, l'intention de s'échapper était bien claire mais il en était venu à se demander s'il devait laisser une lettre d'adieu à ses parents indignes. Hoseok lui avait conseillé de ne plus être autant indifférent à son géniteur et sa génitrice, après tout ils lui avaient donné la vie mais à quoi bon vouloir un fils si c'était pour l'abandonner aussitôt ?Petit Yoongi s'était trop souvent senti comme un Hansel adolescent perdu dans une foret immense, sans sa Gretel et surtout dans sa propre maison, dans sa propre famille. Ici, la vilaine sorcière avait pris la forme d'oubli, de nuisance existentielle. Il n'était pas désiré, ou plutôt, il n'était plus désiré en ces murs. Il était devenu une poupée manipulable au bon gré de son père, juste bon à suivre la voie de sa famille et lui aussi devenir cadre dans une entreprise. Une autre silhouette au costume trop grand, à la cravate trop bien faite et à la mèche gominée. Un nouveau mannequin de cire sur une chaîne de montage destructrice.
Lui ce n'était pas ce qu'il voulait.
Il se prenait à rêver d'une autre vie, quelque chose d'enfin coloré et sans ligne droite. Un chemin parsemé de différentes lignes de vie qui se croiseraient et se sépareraient sans jamais vraiment s'oublier.
Oh oui, il en rêvait.
Papa, méchant Papa, regarde donc comme ton fils a grandi.Sans un mot.
Sans une larme.
Petit Yoongi se contenta de laisser la feuille blanche telle quelle avec le stylo plume posé juste à coté,même ça il n'avait pas envie de l'emporter avec lui.Au lieu de ça, il se détourna vers son armoire ridiculement trop grande pour les vêtements sans saveurs qu'il portait depuis bien trop longtemps. Le petit brun prit au hasard différents bouts de tissus et les mis tous dans un sac à dos lui aussi tellement quelconque.
La monotonie de sa propre vie le prenait à la gorge maintenant. Avant il pensait que le monde était ainsi, noir ou blanc, pas de nuances de gris. Encore moins des couleurs.
Et au coté de son ange, il avait vu des couleurs apparaître. Faibles. Peu nombreuses mais la promesse lui avait été faite qu'il pourrait bientôt en voir d'autre.
Et c'était tout ce qu'il voulait.
Oh oui il en rêvait.
Papa, détestable Papa, vois comment il te quitte. A jamais.Yoongi n'était pas un acrobate. Pas un cambrioleur non plus et encore moins un professionnel de l'évasion.
Alors il avait choisi le simple, ses soirées entières à regarder des séries télés allaient peut êtrelui servir finalement. Simulation première, une fausse quinte de toux et quelques gémissements de douleurs. Le garde devant sa porte avait légèrement bougé.
Inquiétude : 20%Simulation seconde, quelques bruits suspects. Comme un corps qui tombe, emportant avec lui plusieurs objets fragiles qui vont se fracasser sur le sol dans un bruit assourdissant.
Inquiétude : 50%« Monsieur, est ce que tout va bien ? »
Ne pas répondre. Surtout ne pas répondre.
Inquiétude : 70%« Monsieur ? »
Ne pas répondre. Ne pas tout gâcher.
Inquiétude : 80%« Monsieur, je vais entrer ! »
Inquiétude : 90%Ce n'était pas le maximum mais c'était suffisant.
Juste au moment ou le garde ouvrit la porte, Yoongi empoigna sa lampe et alla frapper l'homme à la tempe,de toutes ses maigres forces.
Son corps massif alla à son tour s'effondrer sur le sol alors que le jeune asiatique le regardait, la respiration haletante.
Adrénaline.
Paralysie.Ses yeux papillonnèrent et enfin, ses jambes se mirent en marche.
Une étincelle dans son esprit embrumé par le délicieux parfum de la liberté et Yoongi referma la porte de sa chambre. Retardons un maximum la mise en alerte des autres gardes et surtout de son père.
Sa capuche un peu trop large remontée sur ses cheveux sombres, il trottina jusqu'aux escaliers en évitant au maximum les gens qui déambulaient dans les couloirs.
Il n'allait pas y arriver. Il avait l'impression que tout le monde pouvait entendre son cœur qui battait la chamade ou sa respiration qui était totalement irrégulière.Pas à pas. L'un après l'autre.
Yoongi dévala les escaliers avec précipitation.
La porte était justement en vue.« Min Yoongi ! »
Le cri rauque paternel stoppa net le jeune homme. Il n'avait pas pu s'en empêcher, son corps était programmé pour respecter cet homme.« Qu'est ce que c'est que cet accoutrement ? »
C'était les vêtements de sa liberté,quelque chose de stupide mais qui lui avait donné suffisamment de forces pour assommer un mastodonte engagé par cet homme qui lui faisait face.
Celui ci lui paraissait tout à coup petit dans son costume trop serré.
Cela devait être tellement inconfortable..« Je m'en vais. »souffla Yoongi, la tête relevée mais les mains rentrées dans ses manches trop larges.
Papa n'est pas tout puissant parce que Papa est humain.
Pourquoi ne l'avait il pas compris avant ?
Papa n'était pas le méchant monstre sous son lit qui pouvait l'agripper quand bon lui semblait.
Papa n'était qu'un humain qui traitait tout ses congénères comme des objets.
Papa était de ceux qui ne voyait le monde qu'en monochrome.
Et papa, ton fils ne veut pas être comme toi.« Ne fais pas l'enfant, tu n'as que 16 ans. Comment pourrais tu survivre dans la rue ?Parce que si tu quittes cette maison, tu ne seras plus mon fils. J'ai été bien trop gentil de venir te chercher la dernière fois. »
Mais Papa, Yoongi aurait bien aimé que tu n'ai jamais ce regain de conscience. Jamais car tu l'avais arraché à son seul bonheur.
Et Papa, veut tu apprendre autre chose ?« J'ai 18 ans, papa. »
La voix de Yoongi était neutre, parce qu'il n'éprouvait même pas de rancœur envers son père. Il était vide tout simplement. A nouveau, Min Yoongi était fatigué et tout ça juste à cause de l'homme qui se tenait en face de lui.
Il ne l'avait jamais vu à ses anniversaires.
Jamais.
Même pas une carte de papier glacé ou quelques excuses une fois rentré de son travail.
Que du silence.« Je m'en vais. »répéta une dernière fois le jeune homme avant de se décider à tourner les talons malgré l'appel de son père qui n'était même pas touché par le rappel amer de son absence incessante même pour ce jour aussi important qu'était l'anniversaire de son fils unique.
La bouche déformée par une grimace hideuse, il regardait cette petite silhouette dans des vêtements beaucoup trop larges s'éloigner peu à peu de lui.
Un de ses jouets lui échappait. Un pion en moins sur son échiquier.
Et au loin, Min Yoongi se sentait pousser des ailes.
Porté vers son ange.Papa, mon cher papa.
Papa, détestable papa.
Tu n'es plus que Mr Min.