Chapitre 8

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Je n'ai pas dormi de la nuit. Le visage de Benedikt n'a cessé de hanter mes pensées. Je suis un monstre. Un horrible monstre égoïste. J'ai puisé toutes mes larmes ; et pourtant, je n'ai pas fini de déverser ma tristesse. Mon cœur me fait mal. Je m'en veux tellement de haïr cet homme qui n'a absolument rien fait. Je sais que ce n'est pas de sa faute, que c'est moi qui ai pris la décision de lui venir en aide plutôt que d'aller secourir ma famille. Non, ce n'est pas lui qui a tué mon frère. C'est moi.

Pourtant...

Mes yeux se sont habitués à l'obscurité de ma chambre, j'arrive à discerner dans le noir, des formes que je connais par cœur. Mon petit bureau en bois, mon armoire fraîchement achetée. Au mur, je peux distinguer les nombreux cadres mettant en valeur des citations de mes romans préférés. Mon regard sec se pose sur ma table de chevet où une photo est retournée. Je sais très bien ce qu'elle représente. Nous. J'ai envie de la regarder. Cela fait plusieurs semaines que je n'ai pas osé me confronter à elle.

Doucement, je dirige ma main tremblante vers cette image qui me terrifie. Mon cœur bat la chamade, il menace de sortir de ma poitrine. Mes doigts moites se referment sur le petit cadre en bois, mais je ne le retourne pas immédiatement. Je prends une grande inspiration, puis relâche l'air qui gonflait mes poumons.

La lueur des premiers rayons de soleil qui traversent les trous de mes volets me permettent de voir presque clairement ma mère et mon frère. Je ne suis pas sur cette photo, parce que c'était moi qui l'ai prise ce jour là. Nous n'avons jamais été le genre de famille à faire des collections d'album, nous avons toujours très peu immortalisé nos moments et cette photo, c'est la seule que j'ai trouvé avant que papa fasse vider la maison en entière. Il m'avait proposée de venir vivre avec lui et sa nouvelle famille pendant un temps. J'avais refusé bien évidement. Il était hors de question que j'aille squatter chez une personne qui n'avait rien à faire de moi et qui me proposait cela juste pour faire bonne impression. Si sa femme le croit adorable et bienveillant, elle tombera de haut quand elle se fera larguer à son tour pour une autre. A ce moment là, je ne serai plus la seule enfant abandonnée, mes demi-frères et sœurs le seront également.

Sur la photo, mon petit frère a un sourire jusqu'aux oreilles. Une large écharpe noire entoure son cou et maman le tient dans ses bras. Je me rappelle que ce jour-là, il faisait très froid. On était sorti pour faire un bonhomme de neige dans le parc à côté de chez nous.

Quant à maman, elle est habillée d'une robe d'hiver en laine et ses mains sont emmitouflées dans des gants roses bonbon qui m'appartenaient mais que je n'avais jamais voulus porter à cause de leur couleur et de la petite coccinelle dessinée dessus. J'avais 17 ans et ce genre de vêtements ne me plaisaient plus comme avant. Ma mère avait tendance à oublier ce petit détail. Pour elle, j'étais toujours sa petite princesse.

Je me rends compte que cette photo vient de m'arracher un sourire, le premier depuis que j'ai quitté cette foutue fête.

L'alarme de mon portable se met à sonner et me vaut un sursaut. J'ai complètement oublié d'enlever mon réveil pour les cours alors qu'on est dimanche. Ça m'a fait le même coup hier matin et j'ai quand même réussi à manquer de désactiver l'alarme. Quelle cruche !

Soit, cette nuit fut à la fois courte et longue, mais je n'ai pas du tout envie de dormir. Hannah et Rory ne risquent pas d'être levées à cette heure ci. Il est six heures et demi, et le weekend, elles font grasse-matinée jusqu'à dix-heure minimum. Moi aussi, d'habitude.

Comme je n'ai pas grand-chose à faire et que j'ai très envie de me changer les idées, je me dis qu'un petit footing matinal me ferait le plus grand bien. J'aime courir lorsque je suis stressée, triste ou quand quelque chose ne va pas. Cette activité me pousse à positiver. En plus, c'est bon pour la forme.

Sans attendre une minute de plus, je me lève de mon lit pour aller prendre des vêtements de sport. Comme je faisais beaucoup d'activité physique quand j'étais au lycée et aussi pendant les vacances, j'ai tout une étagère rien que pour les fringues de cette catégorie.

Une couette haute, des baskets et me voilà parée pour me dépenser dans les rues de la ville.

J'ai couru pendant une bonne heure et demie. Pendant ma promenade de santé, j'ai pu croiser la voisine allant chercher son pain à la boulangerie du coin. Je suis passée par le parc fleurie. Le parfum des roses m'a fait du bien. J'aime la nature, j'aime les caresses des brins d'herbes, le crissement des feuilles qui s'effleurent, la douce odeur des fleurs et la fraîcheur de la rosée du matin. Comme toujours, j'ai vu plusieurs animaux ; des chats errants, des oiseaux qui chantent, des écureuils à la recherche de glands.

Je suis rentrée à la maison à huit heures trente car j'ai profité de ma sortie pour passer acheter de petites gourmandises. C'est un moyen pour moi de me faire pardonner pour avoir gâché leur soirée à mes deux colocataires. Elles ont essayé de savoir ce qu'il s'était passé, lorsque nous sommes rentrées, mais je n'avais pas le courage ni la force d'aligner trois mots. Elles avaient donc finit par abandonner et me dire bonne nuit. Je sais qu'elles me diront que ce n'est pas grave, que je n'ai pas foutu en l'air la soirée. Mais je sais aussi que c'est juste par politesse –j'aurais fait pareil.

Plus tard dans la matinée, mon téléphone se met à vibrer et à sonner. J'allonge mon bras pour attraper mon Smartphone et décroche.

— Allô ?

— Blue. Je ne te dérange pas ?

C'est Isaac. Cela m'étonne qu'il soit aussi matinal.

— Non, non, ne t'inquiète pas, le rassuré-je.

— Mon frère m'a raconté... A propos d'hier soir...

Je reste un moment silencieuse. Je n'aurais jamais pensé que Benedikt en parlerait à Isaac.

—Oh... J-J'irai lui présenté mes excuses, dis-je en murmurant.

— Il est en deuxième année de médecine, si tu veux.

— Oui, j'avais cru comprendre qu'il était dans cette filière là, j'irai le voir directement dans son bâtiment. Je dois raccrocher, à demain !

— A demain, Blue.

Je m'effondre sur le lit et ferme les yeux un instant. Comment vais-je pouvoir lui expliquer que si je me suis enfuie en pleurant et en lui criant dessus, c'est parce que je lui ai mis sur le dos toute ma haine ? Il va me prendre pour une peste, c'est sûr et certain. Je verrai comment ça se passera au moment venu.

Le reste de la journée passa calmement. Le dimanche, nous n'aimons pas spécialement sortir. Chacun va à ses occupations et si personne n'à rien à faire, alors on se met d'accord pour regarder un film ou faire un jeu de société. Aujourd'hui, je décide de faire du tricot. La sœur de Rory a accouché et j'ai décidé de réaliser moi-même des petits chaussons chauds pour le nouveau-né. La laine que j'ai choisie est grise. Rory me dit toujours que j'ai un esprit de vieille dans un corps de jeune. Elle n'arrive pas à comprendre que ce genre d'activités me permet de m'évader. On est très différentes. Alors que j'aime la lecture, le tricot et le sport, elle, préfère regarder la télé, lire des magazines de mode et se bourrer la gueule pour passer une bonne soirée. D'ailleurs cette après-midi, elle a décidé de regarder son émission favorite. Quant à Hannah, elle a passé la journée à tester des recettes de gâteaux qu'elle nous a forcées à engloutir les uns après les autres.

Soyons fortsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant