Il était une fois une belle jeune fille. Née de la danse virevoltante d'une feuille d'automne, créée par la brise fraîche d'un début d'hiver, issue de l'engourdissement des corps avant l'hibernation, elle était la princesse d'un bois enchanté et gelé. Sans père ni mère, les grands arbres aux branches noueuses et aux troncs majestueux l'avaient élevée et elle avait grandi parmi les fées et les créatures qui, en ce temps-là, peuplaient et animaient les forêts de leurs cabrioles et leurs rires heureux. Liée à sa terre natale, la belle enfant ne pouvait la quitter. Mais n'en déplaise aux cœurs aventureux, elle n'en avait nullement l'attention. La vie lui était douce et tranquille et elle passait les heures de sa journée à guérir faune et flore lorsque l'un ou l'autre étaient blessés ou malades. Car de sa naissance au creux des augustes cernes d'un grand chêne millénaire, elle avait hérité du don de guérison. Un seul de ses touchés et soudain la vie gonflait les poitrines, purgeait les veines, nourrissait la sève, mûrissait les fruits chétifs.
La Belle des bois était heureuse, choyée, protégée. Elle s'était même liée d'amitié avec un faon, le jour où celui-ci, la patte ravagée par le piège d'un chasseur, l'avait appelée à l'aide de son râle chétif. De cette journée, où elle avait guéri sa plaie, le sauvant ainsi de la marmite bouillonnante qui aurait volontiers accueilli l'un de ses civets, ils s'étaient tous deux liés d'une amitié que le monde des hommes n'était pas encore à même de comprendre. À l'heure où se conte cette histoire, le jeune faon a déjà bien grandi et porte fièrement sa seconde mue de bois.
« Pomme, l'appela-t-elle un jour alors qu'elle était occupée à collecter des baies sauvages recouvertes de la fine et translucide pellicule de givre de la nuit. N'as-tu jamais eu envie de te trouver une jolie femelle ? »
S'approchant de sa compagne, il posa son museau humide dans son cou. Elle rit et le gratta entre les deux yeux, là où sa fourrure était si douce. Prenant sa marque d'affection pour un non, elle reprit son labeur et n'en parla plus.
Quelques années passèrent encore, le temps ne réussissant pas à changer ou marquer les traits de la jolie forestière. Pomme et elle, étaient connus et aimés de tous les petits habitants de la forêt, leur procurant soins et nourriture lorsque celle-ci, lors des mois les plus rudes de l'hiver, venait à manquer. Car, si la vie était tranquille dans le bois gelé, elle pouvait y être également austère. Les bourgeons ne connaissaient de printemps que lorsque le toucher de la Belle les faisait éclore, formant fleurs délicates et fruits savoureux.
Un matin, alors que le givre dentelait encore de blanc l'humus du sous-bois, le jeune cerf s'éloigna de sa compagne de toujours et disparut derrière les frondaisons de quelques hêtres bien garnis. Ayant l'habitude des disparitions périodiques de son ami, la belle jeune fille ne s'en inquiéta pas plus que d'habitude, vaquant à ses occupations journalières. Un renard à la queue foulée, une mésange bleue qui ne savait plus chanter et une famille de hérissons en pleine indigestion l'occupèrent jusqu'à la fin du jour. Mais lorsque Pomme ne revint pas de la nuit, la Belle du bois décida de partir à sa recherche dès le lendemain. Elle ne marcha pas longtemps, ayant appris comme tous ceux qui dormaient sur des lits de mousse à reconnaître des traces laissées sur un sol meuble. Au bout de son périple, elle écarta une branche qui donnait sur une clairière ensoleillée. Là, sous les lourdes branches d'un érable rougeoyant, elle retrouva Pomme qui, les bois hauts et fiers, faisait sa cour à une jolie biche à la fourrure dorée. Elle ne l'avait jamais vu si majestueux et si heureux. Se sachant de trop et ne voulant briser ce moment privilégié, la Belle s'effaça retournant dans l'arbre creux qui lui servait d'abris depuis des années.
De longs mois s'écoulèrent sans que son ami ne revienne la voir plus d'une ou deux fois par semaine lors d'heureux, mais trop courts instants.
Lorsqu'il vint la visiter un matin à l'aube du huitième mois après sa rencontre avec sa nouvelle compagne, ce sont huit nouvelles pattes qui gambadèrent maladroitement autour de ses jambes. Elle passa une journée merveilleuse entourée de ces deux nouveaux faons, de son vieil ami et de sa biche, leur faisant découvrir des coins secrets et idylliques. Ils patinèrent sur le lac gelé au cœur du bois. Les faons encore maladroits glissèrent sur la glace et s'emmêlèrent les pattes pour le plus grand bonheur de la Belle. Puis le soleil rougeoyant baigna la cime des arbres et s'enveloppa dans sa robe de nuit, parant le ciel d'un milliard d'étoiles. Pomme glissa son museau dans le cou de son amie et elle sut à ce moment-là qu'il lui disait au revoir. Il avait une nouvelle famille, des responsabilités. Il devait leur trouver un foyer bien à eux, qu'ils ne pouvaient partager avec elle. Une larme unique dévala sa joue et elle laissa partir celui qui avait partagé sa vie, des années durant.