De l'écriture inclusive

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Ou la décadence grammaticale.

« Le désir d'égalité n'excuse pas le façonnage des consciences » - Raphaël Enthoven

Le féminisme, c'est la lutte contre les inégalités entre les hommes et les femmes, comme par exemple les différences de salaire injustifiées, la discrimination à l'embauche ou tout autre cas pouvant affecter la vie d'une femme plus ou moins gravement. En somme, c'est abolir les inégalités de traitement et les distinctions faites entre les deux genres en matière de qualité attendue. Mais dans les rangs de cette armée luttant pour cette noble cause, nous pouvons voir quelques bataillons dissidents voulant imposer une belle ineptie : l'écriture inclusive. Petite perle des féministes des plus engagés ; subtil mélange entre absurdité et inutilité.

Le langage épicène - ou écriture inclusive pour les puristes - consiste à porter des attentions graphiques et syntaxiques pour égaliser les représentations entre les femmes et les hommes. Pour cela ont été établies trois conventions : premièrement, accorder en genre les noms de fonctions, de grades, métiers et autres titres. Deuxièmement, utiliser la double flexion, l'épicène ou le point médian pour inclure à la fois le masculin et le féminin. Ce qui donnerait par exemple : « Les candidat·e·s » (j'ai mis 3 secondes pour écrire ce mot) ou encore « Elles et ils mangent » - « iels mangent » pour les plus impertinents. Dernièrement, ne plus mettre de majuscule de prestige à « Homme ». Depuis que la question de cette écriture est revenue sur le devant de la scène, difficile de ne pas sentir l'âcreté des guerres de positions. Soit vous êtes pour, soit vous êtes un affreux réactionnaire, nostalgique des temps bénis des colonies et de l'époque où Maman maîtrisait à la fois, non sans perfection, l'art du soufflé, du chignon banane et de la fermeture bien serrée de son corset et de sa bouche ; sauf évidemment pour pouffer aux plaisanteries dégueulasses de Papa avant d'aller lui cimenter le couple en pensant fort à l'Angleterre. Les réseaux sociaux ne se sont pas fait prier pour vomir leur soupe intellectuelle, en deux cent quatre-vingts caractères pour les plus éloquents, à base de rhétorique qui ferait passer Nietzsche et Rousseau pour des ignares. Réfléchissons alors à la question que cette écriture pose : celle du langage. L'argument le plus avancé par les pro-écriture inclusive est que le langage oriente et structure la pensée - donc façonne le monde. Ce marigot épistémique dans lequel patauge gaiement l'écriture inclusive est le spécimen le plus redoutablement délétère : le langage n'est pas une baguette magique permettant de modeler le monde à sa guise. Les secondes ne sont pas engendrées par le premier. Le langage est un outil d'encodage, de description et de retranscription d'un réel qui lui préexiste. Un travail vieux de plusieurs milliers - voire millions - d'années limité par notre nature humaine. Évidemment, les vaillants défenseurs du langage épicène nous crachent ce syllogisme qu'importe que sa réfutation soit pliée depuis plus de quarante ans - l'envie d'une réforme féministe aura notamment connu une relative heure de gloire dans les années 1970, avec des séminaires antisexistement remplacés en ovulaires, pour ne donner qu'un seul et pittoresque exemple - comme l'a notamment démontré en long en large et en travers Steven Pinker, psycholinguiste, dans L'Instinct du langage en 1994. Défendre une noble cause n'est pas une condition nécessaire ni suffisante pour avoir raison. Mais que fichtre ! Aucune démonstration des plus convaincantes n'empêche Eliane Viennot de nous distribuer sa bouillie prémâchée : « La langage structure et oriente la pensée ». Un mensonge est plus dur à tuer qu'un fantôme, disait à peu près Virginia Woolf, qui visiblement s'y connaissait davantage en sciences cognitives que nos délicieux messies du point médian.

Ce qui est dangereux, c'est le rêve qui trône au cœur de l'écriture inclusive : l'être humain serait une page blanche, à l'exception de deux ou trois réflexes vulgaires comme la digestion ou la respiration, uniquement déterminé à apprendre. C'est beau, mais complètement faux ; et comme le résume Steven Pinker, il ne s'agit ni plus ni moins que d'un rêve de dictateur ; d'un dictateur médiocre incapable de formater les mentalités. Les partisans de l'écriture inclusive n'en sont peut-être encore qu'au stade de la gentille dictature, mais en voulant nettoyer le langage d'éléments qu'ils considèrent nocifs, ils nous proposent le même genre d'ingénierie sociale que les Khmers rouges, persuadés que les Cambodgiens n'allaient plus avoir faim en supprimant le verbe « manger » du vocabulaire. C'est à ce titre que l'écriture inclusive doit être combattue.

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