Tome 2-Ch 10-Elisa

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Le ciel se dégage de ses nuages, et dans un plissement des yeux, j'observe la nuée d'oiseaux s'envoler du grand chêne face à la fenêtre. Ce mois de septembre est encore chaud, et malgré les quelques-jours de pluie que nous venons de connaître, l'air est étouffant. Évidemment, la clim a choisi de tomber en rad aujourd'hui, et je grimace à chaque fois que je dois m'éponger le front. Il n'y a pas à dire, cette journée commence de manière bizarre. D'abord, il y a Dam. Ses paroles qui m'ont blessée et qui lui auraient mérité une gifle. Puis, mes larmes, toujours présentes même si je les maudis de plus en plus. Et ensuite, ses bras, autour de moi. Son parfum qui m'enivrait et sa peau douce et chaude sous ma joue. J'aurais tant voulu poser mes lèvres sur son corps, lui clamer mon amour, lui prouver à quel point il me manquait. À la place, je lui ai simplement demandé d'essayer avec Eden. Parce qu'avant de penser à moi, à ce que je ressens, il faut que je tente de les réunir.
—Tu ne prends pas ta pause ?

Je détourne la tête de la vitre, où mon regard s'était perdu et souris à Mélanie. Toujours pimpante dans ses tailleurs, ma meilleure amie et patronne pose ses mains sur les hanches et fait claquer sa langue sur son palais.

—Ne réponds pas, j'ai compris. Tu comptais encore déprimer en contemplant le paysage. Et bien non !
—Je ne déprime pas, me défends-je.

—À peine, ironise-t-elle. Viens, on va manger chez Patty's.

J'acquiesce et me lève, parce que cette sortie me fera grand bien, puis, manger sur la terrasse ombragée de chez Patty's n'a pas de prix par cette chaleur.

Nous sommes installées dans un des coins de la terrasse, atour d'une petite table fuchsia et nous sirotons nos sodas entre deux olives avalées, le temps qu'arrivent nos plats.

—Vas-y, crache le morceau, commence Mélanie.

—Je pense, c'est tout. C'est la première fois que Damien sera avec Eden... Tu penses qu'il va gérer ?

Mélanie repose son verre sur la table et s'adosse à sa chaise.

—Bien sûr que ça ira, Elisa. Damien est simplement perturbé, rien d'anormal selon Connor.
J'aimerai tant lui poser vingt-mille questions, parce que je me doute qu'elle et Connor parlent de Damien bien plus qu'elle ne me le dit. Mais l'impression de fouiner dans la vie de celui que j'aime me dérange, alors je hoche la tête et me tais. Mais mon amie n'est pas dupe, puisqu'elle ajoute :

—Mets-toi à sa place, poulette. Il a été otage pendant une longue année, entouré d'hommes plus fous les uns que les autres. Il revient, apprend qu'il est papa, et par la même occasion qu'il ne possède plus rien.

—Ça ne justifie pas le pourquoi il me rejette, ne puis-je m'empêcher de taire.

—La peur ? suggère-t-elle. Ou encore le besoin de calme, de se retrouver un peu, lui et ses repères.

—Probablement, oui.
Même si ça fait mal, elle doit avoir raison, et moi, je dois prendre mon mal en patience, comme d'habitude. J'ai la rage de me dire qu'une personne dans ce putain de monde me l'ait abîmé, qu'elle me l'ait blessé au point d'avoir anéanti ce qu'il était.

—Il reviendra vers toi, Elisa. Je te l'ai déjà dit mais je te répète que Connor ne l'avait jamais vu aussi bouleversé lorsqu'il a su que tu l'attendais, avec Eden.

—Je sais, oui, même si ses réactions aujourd'hui ne me le montrent pas vraiment... Je vais lui laisser du temps. Que veux-tu que je fasse mis à part être moi ? Tu m'as dit de redevenir celle dont il était tombé amoureux, sauf que je n'ai jamais rien fait pour le séduire. Alors je vais continuer à persévérer, en tentant de ne pas lui foutre la pression, et c'est tout.

—Amen, dit-elle en levant son verre.
Je saisis le mien, le cogne doucement dessus. Le serveur arrive, nos deux assiettes dans les mains et nous gardons le silence jusqu'à ce qu'il reparte. Puis, alors que je prends ma fourchette pour saisir la tranche de tomate, Mélanie remet Damien sur le tapis.

—En tout cas, je le trouve encore plus beau que l'année dernière.
Elle déclare cela avec tant de désinvolture que je ne peux retenir un rire. Et comment !

—Oui, affirmé-je en avalant ma tomate. C'est vrai qu'il est beau. Si tu savais comme je suis heureuse de le retrouver en un seul morceau.
—Je me doute ! Je n'imagine même pas si c'était à Connor que cela était arrivé. Merde, tu penses qu'ils lui ont fait quoi ?

Elle mâchouille à la hâte sa feuille de salade en attendant ma réponse qui ne viendra pourtant pas. Franchement ? Qu'est-ce que j'en sais ? Damien ne me parle pas, et puis, rien que les cicatrices que porte sa peau me disent qu'il a été roué de coups. Mais je préfère le garder pour moi.

—Et avec Connor ? demandé-je, profitant de la mention de son nom pour changer de sujet.
Les yeux de Mélanie étincellent, ses joues rosissent alors que ses lèvres s'étirent dans un large sourire.

—C'est parfait. Il est parfait. Je ne pensais pas que ressentir un tel amour pour un homme était possible. Et avec Logan... Merde, jure-t-elle en posant ses couverts. Je me demande pourquoi je n'ai pas attendu Connor pour avoir mon fils. Il est tellement proche de lui, tellement gentil et Logan l'adore.

Je souris, ravie pour mon amie. C'est vrai que Connor est un chic type, et je ne doute pas du tout que Logan l'adore. Ils ont emménagé ensemble environ trois mois après la disparition de Damien. Evidemment, ils ont gardé la maison spacieuse de Mélanie, histoire de ne pas trop perturber Logan. Et tous les trois, ils forment une jolie petite famille. Je soupire, espérant qu'un jour Dam aille mieux, espérant qu'il ait envie de revenir avec moi, avec Eden. Parce que là, je patauge dans la panade. Je ne sais plus comment faire pour qu'il comprenne que ce que je veux, c'est lui... Seulement lui, avec nous deux.

En sortant du travail, je presse le pas vers le Starbucks le plus proche. Une dose de caféine ne serait pas mal venue en sachant que je vais le revoir, ou pas d'ailleurs. Tout l'après-midi, j'ai hésité à téléphoner chez Danielle, pour savoir comment cela se passait. Mais je me suis retenue de le faire, de peur de mal agir, de peur de mettre la pression à Damien, ou de rompre un moment qu'il passerait avec son fils. Je suis nerveuse, mais fatiguée pourtant. Est-ce qu'il est resté, au moins ? Ou a-t-il fui en voyant notre fils ? J'espère qu'il aura fait un effort envers Eden, qui lui, n'a rien demandé à toute cette situation de merde.
Une fois que j'ai les trois cafés en main, je repars vers la foule qui s'amasse de plus en plus sur les trottoirs, inquiète, curieuse, mais surtout pressée. 

Un jour trop tardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant