Déjà vingt-cinq fois qu'elle passait sa main dans ses longs cheveux bruns. Je les avais comptés parce-qu' il n'y avait plus que cela qui comptait à cet instant, dans cette salle : elle. Elle était assise au bar de cette boîte de nuit où j'étais entrée tout à fait par hasard, elle fumait. A vrai dire, je n'étais pas plus étonnée que ça de la voir ici, elle était le genre de femme à aimer fumer, boire, danser et flirter. Ce qui m'étonnait, c'était de la revoir après autant d'années passées à essayer de l'oublier. Elle était partie parce que j'avais merdé, ou bien c'était elle, je ne savais plus et je ne voulais pas m'en rappeler.
Je m'étais avancée jusqu'au bar, trois tabourets plus loin du sien. Je m'accoudais au bar et me tournais pour la regarder. Ses yeux bruns, parfois teintés de vert par moment, croisaient les miens. J'étais presque sûre qu'elle souriait alors qu'elle recrachait la fumée de sa cigarette. Je souriais aussi et donnais un coup de tête en sa direction. Elle m'analysait avec ce regard charmeur qu'elle avait toujours eu pour me faire craquer. Elle n'avait pas changé. Je commandai une bière que je payai immédiatement puis la levais à sa santé. Elle me répondait en levant son verre de whisky.
J'étais désarçonnée parce que cette femme faisait toujours en sorte de foutre ma vie en l'air avec son beau visage, ses yeux bordés d'étoiles et sa bouche en cœur. J'étais entrée dans cette boîte dans l'espoir de pouvoir me détendre de ma journée et voilà que je la croisais. Je me fondais dans la foule et trouvais un endroit pour m'asseoir et boire. Cependant, j'avais fais en sorte qu'elle soit dans mon champ de vision sans vraiment m'en rendre compte. Je la surveillais du coin de l'œil et attendais ce moment fatidique où elle se lèverait pour rejoindre une belle inconnue, l'inviter à danser pour me rendre jalouse et me faire fulminer. Je bus une nouvelle gorgée et elle se tournait vers moi, me trouvant quasi-instantanément malgré l'obscurité et les stroboscopes. Je crois qu'à cet instant précis, une seule question tournait en boucle dans mon esprit ; que me voulait-elle ? C'était vrai cela merde, elle m'avait abandonné, m'avait fait mal à en crever et la voilà qui réapparaissait pour me tourner autour comme un vautour ! Je n'avais rien demandé.
Elle n'avait pas bougé de son tabouret, elle me regardait tout comme je l'observais droitement dans les yeux malgré les ombres dansantes qui parfois obstruaient notre jeu de regard. Elle apportait de temps en temps son verre à ses lèvres qui semblaient presque embrasser les parois glacées. J'étais jalouse, jalouse de ne pas pouvoir y goûter. Jalouse de ne pas pouvoir comme autrefois, les savourer.
J'étais toujours avachie sur ma banquette, une main dans ma poche avant de jean, l'autre tenant ma bière. Je la fixais comme pour la provoquer. Puis soudain, ce fut vers moi qu'une inconnue se tourna. « Tu veux danser ? » avait-elle demandé au creux de mon oreille. Je l'avais consulté du regard, comme pour lui en demander la permission. Ses lèvres avaient esquissé un « o »de surprise et ses yeux étaient plus durs et menaçants. J'avais alors accepté en souriant, dévoilant toutes mes dents, sans jamais la quitter des yeux un seul instant. Je m'étais levée et j'avais pris la main de la jeune demoiselle pour l'emmener sur la piste. J'avais fais en sorte de me coller à elle sans pour autant la toucher. Juste la frôler. Je me déhanchais doucement, n'ayant jamais réellement eu le don d'une danseuse professionnelle. Je me fichais un peu de la brune ou blonde qui se trémoussait devant moi, celle que je voulais, c'était elle. Elle qui continuait de me fixer avec son calme déstabilisant, souriant en coin comme pour se moquer, une nouvelle cigarette coincée entre ses lèvres. De nous deux, il m'avait semblé être celle qui fulminait le plus parce qu'elle avait toujours eu cet air indifférent.
Puis soudain elle avait disparu du bar. Le tabouret était vide, le verre abandonné. Elle était partie et m'avait une nouvelle fois délaissée. Tout en dansant, je regardais chaque femme comme pour la retrouver mais finalement je me demandais si je n'étais pas fatiguée, si je n'avais pas rêvé. C'était courant de rêver, d'imaginer une personne qui nous manquait à tel point qu'on finissait presque par croire qu'elle revenait, qu'elle était là et qu'elle allait nous serrer en disant «ça va aller, je suis là, je vais rester. » Je me désespérais d'être restée autant accrochée à elle. Je me faisais une raison, j'avais déjà trop bu et la journée avait été chargée. Je voyais des mirages, je devenais cinglée.