Chapitre 2

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Ivan avait longuement travaillé sur la drogue en question et elle était réglementée certes, mais pas concernant les humains. Elle était pour les animaux. Le curare servait principalement pour la vivisection des animaux dans les laboratoires, fonctionnant de cette manière: le poison paralysait totalement les bêtes sans procurer d'analgésie. Au contraire, il avait pour effet d'augmenter la sensibilité et de rendre les expériences plus horribles. Autrement dit, les animaux sentaient tout ce qui pouvait leur arriver. Les bêtes paralysées ne pouvant bouger tout en restant tout à fait conscientes. De fait, elles ressentaient toutes les souffrances atroces qui leurs étaient infligées. Ce n'était donc pas dans les facs de médecine, les hôpitaux ou les pharmacies qu'il fallait chercher mais davantage dans les laboratoires de test. Il fit remonter l'information jusqu'aux inspecteurs. Il avait beau être légiste, scientifique et tout ce qui s'en suit, il avait vu des horreurs mais ce genre de lecture le débectait malgré tout. La Sainte science de la médecine avait malheureusement, beaucoup de victimes à son actif.



La piste concernant François Meunier n'était qu'à moitié valable puisqu'il ne connaissait pas les autres victimes. Elles étaient donc liées à quelqu'un d'autre mais qui? Ils avaient distribués les portraits robots obtenus via le tenancier de l'hôtel à tous les commissariats et gendarmeries des alentours, afin de maximiser leurs chances. Désormais munis d'une liste des laboratoires pratiquant des expériences sur des animaux dans le secteur, les voilà partis pour aller vérifier si des stocks ne manquaient pas. La brigade des stupéfiants ayant été mit au parfum afin qu'ils chassent de leur coté, au cas où une filière de ce genre serait connue dans leur secteur d'activités. Profitant du fait qu'ils soient sur l'autoroute, Arthur lança une vanne à son collègue, histoire de détendre l'atmosphère. Ils avaient des cernes noires et une tronche de six pieds de long à cause de cette affaire.
- Je trouve que Meunier te ressemble beaucoup.
- Tu rigoles?! Il a les cheveux filasses, le teint fadasse et il pue la vinasse!
- Jolie suite de rimes en -asse. Je savais que tu aimais le cul mais à ce point...
Il y eut un instant de silence avant que Francis ne se mette à pouffer bêtement, comprenant la blague de l'autre. Asse/ass, en effet, bien trouvé.
- Pour en revenir à lui, je ne lui ressemble certainement pas!
- Bon, une version de toi dépressive et alcoolique.
- J'ose espérer ne jamais tomber si bas!
La conversation resta alors badine, leur permettant de souffler un peu pendant le temps du trajet, la route leur étant gentiment indiquée par le GPS fournit avec la voiture de fonction. L'affaire des tueurs de femmes faisait grosse presse et l'inquiétude gagnait la ville, sans qu'ils ne puissent y faire grand chose malgré la pression du procureur Wang. Ils aimeraient bien la voir à leur place tient! Chun Yan de son petit nom, également la compagne de leur médecin légiste, ne payait peut-être pas de mine à première vue mais en vérité, nul ne voulait subir sa colère. Et le fait que la police patauge autant dans une affaire aussi suivie par le public et les médias ne lui convenait pas. Cela leur donnait mauvaise image. Certes mais qu'y pouvaient-ils? Au moins, ils avaient une piste solide grâce à son copain, merci à lui, et à son équipe.



Gilbert buvait lentement sa bière, affalé au bar de son «beau-frère» car lui et Arthur n'étaient pas mariés, ils ne vivaient même pas ensembles pour le moment. Ils voyaient leurs compagnons respectifs en coup de vent ces derniers jours et en fait, Gil encore moins que Allistor.
- Putain d'enquête de merde...
- J'espère que t'es plus poli avec les mômes, commenta le roux en essuyant des verres à vin.
- Je suis un directeur de garderie exemplaire! Ils m'adorent.
- C'est sans doute vrai.
Après tout, Gilbert arrivait à se faire tenir tranquille Peter, le petit cousin terrible de la famille Kirkland. Le bar était plutôt tranquille lui aussi ce soir, des clients mais calmes, pas de réel chahut. C'était la fin de soirée enfin nuit, dans une heure, il faudra fermer. Pas inquiets sur le fait de rentrer tard, on était samedi. Arthur avait dit qu'il rentrerait directement chez lui après être parti à une heure indue de son bureau et Francis savait que Alli bossait tard les vendredis et samedis soirs. Il fermait le rideau à 2h du matin. Plus loin, un grand blond super baraqué avec un accent allemand draguait une petite asiatique fort jolie. Visiblement, y en avait un qui allait chopper ce soir! Non pas que Gilbert voulait draguer ou se faire accoster mais il se sentait un poil délaissé. Sortir avec un flic n'était jamais une sinécure en soit mais d'habitude, ils arrivaient à se trouver du temps entre eux. Mais là rien, nada, quechi! Quand il voyait Arthur, il était ronchon ou trop fatigué pour quoique ce soit. Ce n'était pas tant le sexe qui lui manquait, c'était simplement un contact, un mot plus gentil. De l'affection quoi.
- On dirait que tu as l'alcool triste.
Il releva les yeux pour mieux voir Allistor qui secouait l'un de ces machins à cocktails. Il savait le nom mais l'avait momentanément oublié.
- T'as pas idée d'à quel point parfois...
- La vie n'est pas toujours facile.
- Ça fait parti de ta formation de barman de répondre des trucs débiles comme ça?
- Oui et non. T'es rond comme une queue de pelle, tu peux pas rentrer dans cet état.
- Ouais, j'suppose que t'as raison.
- Attends que je ferme, je te déposerais.
- Merci Alli.
Le grand roux lui fit un petit sourire en coin, celui que Francis adorait. D'ailleurs Gilbert remarqua que dans le fond, sur la vitrine, était collée une photo d'eux quatre. Lui qui tenait par l'épaule un Arthur un peu éméché et Allistor qui tenait Francis par la taille, ce dernier prenant la photo. Devant eux se trouvait un gâteau avec des bougies. Cette photo datait d'avril dernier, les vingt-sept ans d'Arthur. Lui-même avait trente-deux ans, comme Francis, et Allistor trente-cinq. Le monde tournait et leurs horloges avec lui. Ah Arthur, si ronchon mais si mignon quand il le voulait. Si inquiet de tout et tout le monde. Qui pourrait croire au premier abord que l'ex membre de Scotland Yard était une telle crème à l'intérieur? La tête dure mais le cœur tendre. Un peu comme lui finalement. Gilbert était entré dans l'armée à dix-huit ans et il s'y sentait plutôt bien en fait mais il n'y resta que deux ans, son père étant décédé, son petit frère avait besoin de lui, un adorable gamin âgé de douze ans. L'armée lui avait payé sa reconversion, comme souvent, et il passa alors son CAP petite enfance et puériculture, trouvant une place dans la garderie du coin, lui permettant d'avoir un revenu et un emploi stable pour élever Ludwig. Et il pouvait se targuer d'avoir admirablement réussit. Du haut de ses vingt-quatre ans, Lutz, comme il aimait l'appeler, était un ingénieur bien placé et lancé dans la vie. Gilbert avait monté les échelons et il était devenu directeur à la place de l'ancienne, partie à la retraite, il y avait trois ans de cela déjà. Leurs vies étaient bien huilées et tout se passait bien. Lui et Ludwig n'avait pas la même mère mais ça ne les avait jamais dérangé, de toute façon, ils n'avaient connu que leur père. Et l'un l'autre.
- Eh Alli... Tu crois que ton frère m'aime encore?
- Bien sûr. Il ne prendrait pas la peine de venir te voir sinon.
- Ouais...
Allistor déposa alors un verre d'eau devant l'autre, refusant de lui servir plus d'alcool. Gilbert ne protesta pas. Il avait l'alcool triste en effet, cela faisait ressortir ce coté de lui perpétuellement anxieux d'être seul, abandonné. Et l'absence récurrente de son compagnon ne l'aidait pas. Il était profondément anxieux de ce genre de choses, angoissé sous son apparence je m'en foutiste. Il ne l'avouerait pas mais il suffisait de le connaître un peu pour le savoir.
L'heure tourna et finalement, Allistor ferma son bar «Scotts and Roses» congédiant les employés et les derniers clients. Gilbert dormait à moitié déjà, affalé du coté passager de sa voiture de collection. Une Morgan de 1984, bleu scintillant, 5 vitesses, un moteur de 1800 cm3, pas de conduite assistée évidemment. Alors qu'il montait en voiture, il vit le grand baraqué partir avec la donzelle, bras dessus bras dessous. Ils s'étaient lourdement dragués et il était clair que ça allait porter ses fruits. Grand bien leur fasse. En attendant, lui, il avait un beau frère sacrément torché à ramener chez lui. D'ailleurs, il avait la flemme de conduire jusque chez Gilbert, autant le déposer chez eux dans la chambre d'amis. Francis ne s'en rendrait sans doute pas compte, crevé de sa journée. Allistor ignorait qu'en faisant cela, ce qu'il pensait être une bonne action, il allait créer une tension supplémentaire entre Gilbert et son petit frère. En effet, Arthur était chez le directeur de garderie, attendant que son homme rentre à la maison et le harcelant de messages pour savoir pourquoi il n'était toujours pas rentré à une heure si tardive.



Francis était occupé sur son ordinateur, passant en revue les différents employés des labos qu'ils avaient été visité, à la recherche de quelqu'un de potentiellement suspect. Aucun vol n'avait été déclaré et les stocks semblaient normaux également, autant dire que leurs assassins avaient l'air de sortir de nulle part. Les avis de recherches ne donnaient rien non plus mais ceux-ci étaient extrêmement vagues. Tout ce qu'ils avaient, c'étaient les cadavres de ces femmes plus maltraitées que des cobayes... Il songea d'ailleurs que leurs investigations feraient bondir plus d'une association de protection animalière. Et il ne pourrait les contrarier. Fourbu, il se leva pour aller se chercher un café à la machine de la gendarmerie. Il y trouva Arthur et sa tête des mauvais jours.
- Qu'est-ce qui t'arrive?
Il enfourna ses pièces de monnaie dans la machine puis tapa le code pour obtenir un café caramel.
- J'ai attendu Gilbert samedi soir, toute la nuit. Il n'est rentré que dimanche dans la journée d'après lui.
- Ah, oui. Il a dormit chez nous parce qu'il était ivre.
Arthur marmonna quelque chose, une injure peut-être, que Francis préféra ignorer. A la place il touilla minutieusement son café.
- Écoute, ne lui en veut pas. Alli pensait bien faire.
- Si mon frère s'occupait de son cul aussi!
Quelques collègues leur jetèrent des coups d'œil alors il baissa la voix, embarrassé. Il ne s'était pas ouvertement disputé avec son compagnon mais Arthur était d'une nature jalouse et Gilbert le savait. Bien que dans la situation en cause, il n'eut absolument rien à se reprocher. Préférant ne pas continuer d'étaler sa vie privée sur son lieu de travail, il préféra parler de leur enquête. Bien que «préférer» soit un grand mot quand il s'agissait de discuter d'atrocités. Ils échangèrent leurs informations, leurs pistes de réflexion et les éventuelles nouveautés du coté de la brigade des stups et de leurs diverses équipes scientifiques. Ils avaient également enquêté du coté de François Meunier, étant donné qu'il avait eut des actions avec plusieurs victimes, deux en fait. Mais rien de spécial n'en ressortit, à leur grand damne. Cet homme tenait davantage de l'épave vivante mais n'apportait rien de nouveau à leur affaire. Ils le gardaient cependant sous le coude, car la police n'était pas du genre à croire aux coïncidences, sans pour autant rester focalisés dessus au risque de louper des éléments essentiels. La chasse était encore pleinement ouverte et malheureusement, extrêmement vaste.

Blood and BonesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant