Une enfant dans la neige

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Cette fois, la vampire fut réveillée par la préparation des chasseurs. Elle se leva mais ne s'approcha pas d'eux, cherchant simplement Eric du regard. Celui-ci aidait un camarade à enfiler et sangler sur son dos tout l'attirail nécessaire. D'après ce qu'elle pouvait observer, il était apprécié des autres mais pas particulièrement sollicité. Il rangea quelques affaires avant de croiser son regard. Il la rejoignit.

"Bonjour, comment vas-tu ?" Elle inclina la tête sur le côté. Ça allait. "Tant mieux. Oh ! Tu sais, j'y ai réfléchi longuement hier soir : je me suis dit que puisque tu ne voulais pas me le dire, je devrais te trouver un prénom ; pour pouvoir t'appeler, au cas où. Non ? Euh, tu es d'accord ?" Oui. "Donc... j'ai pensé à plusieurs choses mais il y en a un que je trouve vraiment joli, c'est... Lacryma ?" Elle n'aimait pas trop, mais si ça lui plaisait tant... Oui. Un sourire fendit sa face : "C'est vrai ? Super, j'avais peur de devoir t'en déballer toute une liste. Tu veux prendre un petit déjeuner avant que je ne parte ?" Non. "D'accord ! Alors... A ce soir !"

Il rejoignit les autres et une fois qu'ils furent harnachés, ils allèrent fouler le manteau de neige. Dès que le paysage les absorba, la vampire se couvrit de l'épaisse couverture d'Eric et sortit à son tour. Elle chercha le point le plus élevé pour obtenir une vue d'ensemble.

Il fallut grimper sur un rocher. Ses doigts gelés lui faisaient mal au contact de la pierre. Elle manqua plusieurs fois de faire tomber la couverture, qu'elle ne pouvait pas nouer autour d'elle, mais enfin, elle parvint au sommet. Ses vêtements mouillés par la neige lui collaient à la peau, elle sentait ses bandages s'imbiber à leur tour. Avant de retourner dans le refuge de la grotte, il fallait qu'elle sache où elle était tombée.

Devant elle, une longue étendue blanche à perte de vue, percée ça et là de pics rocheux et poignardée de quelques sapins. Cette étendue se soulevait pour former des montagnes au pieds desquelles dormaient de douces vallées. L'une d'elles, sur sa droite, luisait faiblement. Elle recueillait en son creux de petites formes noires : un village, sans doute celui des chasseurs. Il n'était qu'à quelques jours de marche, cela confirmait ses craintes. Aucun village humain n'était à portée de son ancien foyer.

Elle redescendit, frigorifiée et maintenant certaine de ne pas pouvoir retrouver son chemin. Elle devrait donc se fier aux humains jusqu'à obtenir assez de forces et de matériel pour pouvoir se lancer dans de véritables recherches, seule. Sûrement dans quelques années...

De retour dans la grotte, elle ramassa plusieurs bouts de bois brûlés et alla au fond.

"On est de retour !" lança Eric en rentrant. Il se rendit aussitôt auprès d'elle et s'accroupit. "Tiens ? Qu'est-ce que c'est ?" Autour de Lacryma assise à genoux serpentaient des symboles, des lignes et de petits dessins qu'il ne parvint pas à identifier. Quand la vampire le regarda, il comprit qu'aujourd'hui non plus, ses questions n'obtiendraient pas de réponses...

Elle approcha sa main de lui, il la laissa toucher sa pommette. "Ce n'est qu'une égratignure, je n'avais pas vu une branche." sourit-il. Elle se dressa sur ses genoux et passa un petit coup de langue râpeux sur la blessure. Eric recula légèrement et s'essuya du revers de la main. Impérieuse, Lacryma pris son poignet pour l'en dissuader. Puis elle retroussa la manche d'Eric pour dévoiler la marque qu'elle lui avait laissée. Mais la peau était lisse et blanche comme auparavant. Le chasseur s'en étonna.

Elle lécha de nouveau sa pommette. "Est-ce que... ça aide à cicatriser ?" Oui. L'esprit d'Eric entra en ébullition. Si la salive des vampires aidait à cicatriser, on pourrait en faire une application pharmaceutique formidable ! Surtout au vu de son efficacité ; deux trous pareils disparaître tout à fait au bout d'un jour et une nuit ! ...Pourquoi cela n'existait-il pas déjà ?

"Bon, et dis-moi un peu, qu'est-ce que c'est que tout ça ?" demanda-t-il en désignant par un mouvement large le sol griffonné. Elle se leva pour prendre la couverture qu'elle avait laissée plus loin et la lui rendit. Il la prit, des interrogations plein les yeux. Elle se rassit plus loin, lui tournant le dos.

Eric poussa un soupir. Elle ne s'ouvrait absolument pas à lui. Et il était prêt à parier que les soins qu'elle lui conférait étaient considérés par elle comme une sorte de paiement en retour de l'hébergement et des soins qu'eux lui avaient apportés.

"Lacryma. Viens." Il s'était levé. Elle le regarda. "Viens." Elle hocha négativement la tête. "S'il te plaît." Elle balaya sa longue chevelure en arrière et se leva à son tour. Il l'amena près du foyer que les autres avaient rallumé. Elle fut accueillie par des regards agréablement surpris, majoritairement des sourires, et deux-trois regards noirs. On s'écarta pour lui faire une place où elle refusa de s'asseoir tant qu'Éric n'en faisait pas de même. Il s'assit donc en tailleur et elle sur ses jambes à lui.

Au sol était déployé une sorte de petit coffret en bois avec des creux, quatre pour chacun des deux adversaires. Dedans, des cailloux qu'ils faisaient circuler de creux en creux. Parfois ils se contentaient d'en rajouter, parfois cela leur permettaient de récupérer le contenu d'un creux adverse, ce qui représentait un certain nombre de points vu les sourires carnassiers que cela déclenchait.
"C'est un jeu d'Awalé. Tu connais ?" demanda Éric. Non fit Lacryma. Alors il la laissa observer.

Quelques parties plus tard, il lui proposa d'essayer. Elle ne se le fit pas dire deux fois et se plaça aussitôt d'un côté. Les règles de l'Awalé étaient particulièrement simples et pourtant, le jeu était prenant. Éric en son fort intérieur fut ravi de sa réaction.
Un des chasseurs l'apostropha :
"Tu te mets pas en face Éric ?
- Non, non, je regarde."
Les hommes se lancèrent quelques coups d'œil puis l'un d'eux, relativement imposant, se posta comme son adversaire. Elle ne le considéra même pas et se focalisa immédiatement sur le jeu. En fait, en ne relevant pas la tête elle évitait également de constater que tout le monde sans exception la lorgnait.

La partie se déroula sans qu'elle ne commette d'erreur, même si la victoire lui échappa. Eric la félicita tout en retenant un gloussement. Elle tirait une moue déconfite par son échec. Un autre chasseur lui proposa une partie qu'elle joua avec encore plus d'assurance. Quand il essaya de mal jouer pour l'avantager, elle refusa son tour, ce qui fit rire. Elle attendit le décompte des points avec impatience. Elle avait un cailloux de moins que lui. "Zut !" Eric braqua son attention sur elle. Cette petite exclamation, à peine audible, était la plus grande des victoires pour lui. Il se mordit la lèvre inférieure pour empêcher son sourire de dévorer son visage. Alors c'était à cela que ressemblait sa voix ? Elle était bien à son image : fluette, cristalline, charmante.

Au fond de la grotte, au moment de se coucher, il eut de nouveau cet élan qui le poussait à l'enlacer mais y résista une fois de plus.

"Si tu as faim à un moment, n'hésite pas à me le dire, d'accord ?" Elle hocha la tête avant de disparaître sous la couverture. Il resta là un long moment à regarder ce petit tas de feutre qui formait son dilemme. Chaque jour il s'attachait plus à elle, chaque jour il s'approchait un peu plus de l'inévitable séparation...?