XII

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Ce fut le 25 septembre que commencèrent les travaux de la nouvelle façade du Bonheur des Dames. Le baron Hartmann, selon sa promesse, avait enlevé l’affaire, dans la dernière réunion générale du Crédit Immobilier. Et Mouret touchait enfin à la réalisation de son rêve : cette façade qui allait grandir sur la rue du Dix-Décembre, était comme l’épanouissement même de sa fortune. Aussi voulut-il fêter la pose de la première pierre. Il en fit une cérémonie, distribua des gratifications à ses vendeurs, leur donna le soir du gibier et du champagne. On remarqua son humeur joyeuse sur le chantier, le geste victorieux dont il scella la pierre, d’un coup de truelle. Depuis des semaines, il était inquiet, agité d’un tourment nerveux, qu’il ne parvenait pas toujours à cacher ; et son triomphe apportait un répit, une distraction dans sa souffrance. Toute l’après-midi, il sembla revenu à sa gaieté d’homme bien portant. Mais, dès le dîner, lorsqu’il traversa le réfectoire pour boire un verre de champagne avec son personnel, il reparut fiévreux, souriant d’un air pénible, les traits tirés par le mal inavoué qui le rongeait. Il était repris.

Le lendemain, aux confections, Clara Prunaire essaya d’être désagréable à Denise. Elle avait remarqué l’amour transi de Colomban, elle eut l’idée de plaisanter les Baudu. Comme Marguerite taillait son crayon en attendant les clientes, elle lui dit à voix haute :

— Vous savez, mon amoureux d’en face… Il finit par me chagriner dans cette boutique noire, où il n’entre jamais personne.

— Il n’est pas si malheureux, répondit Marguerite, il doit épouser la fille du patron.

— Tiens ! reprit Clara, ce serait drôle de l’enlever alors !… Je vais en faire la blague, parole d’honneur !

Et elle continua, heureuse de sentir Denise révoltée. Celle-ci lui pardonnait tout ; mais l’idée de sa cousine Geneviève mourante, achevée par cette cruauté, la jetait hors d’elle. Justement, une cliente se présentait, et comme madame Aurélie venait de descendre au sous-sol, elle prit la direction du comptoir, elle appela Clara.

— Mademoiselle Prunaire, vous feriez mieux de vous occuper de cette dame que de causer.

— Je ne causais pas.

— Veuillez vous taire, je vous prie. Et occupez-vous de madame tout de suite.

Clara se résigna, domptée. Lorsque Denise faisait acte de force, sans élever le ton, pas une ne résistait. Elle avait conquis une autorité absolue, par sa douceur même. Un instant, elle se promena en silence, au milieu de ces demoiselles devenues sérieuses. Marguerite s’était remise à tailler son crayon, dont la mine cassait toujours. Elle seule continuait à approuver la seconde de résister à Mouret, hochant la tête, n’avouant pas l’enfant qu’elle avait fait par hasard, mais déclarant que, si l’on se doutait des embarras d’une bêtise, on aimerait mieux se bien conduire.

— Vous vous fâchez ? dit une voix derrière Denise.

C’était Pauline qui traversait le rayon. Elle avait vu la scène, elle parlait bas, en souriant.

— Mais il le faut bien, répondit de même Denise. Je ne puis venir à bout de mon petit monde.

La lingère haussa les épaules.

— Laissez donc, vous serez notre reine à toutes, quand vous voudrez.

Elle, ne comprenait toujours pas les refus de son amie. Depuis la fin d’août, elle avait épousé Baugé, une vraie sottise, disait-elle gaiement. Le terrible Bourdoncle la traitait maintenant en sabot, en femme perdue pour le commerce. Sa frayeur était qu’on ne les envoyât un beau matin s’aimer dehors, car ces messieurs de la direction décrétaient l’amour exécrable et mortel à la vente. C’était au point que lorsqu’elle rencontrait Baugé dans les galeries, elle affectait de ne pas le connaître. Justement, elle venait d’avoir une alerte, le père Jouve avait failli la surprendre causant avec son mari, derrière une pile de torchons.

Au bonheur des dames Où les histoires vivent. Découvrez maintenant