Prologue : Samuel

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Le pensionnat Welligton était tout simplement et purement perdu en plein milieu de la forêt du petit village de l'Ohara.

Un seul chemin composé pour tout de terre et de boue permettait l'accès au premier bâtiment : celui de l'administration. Construit en 1857 par un vieux duc complètement fou, l'endroit était absolument pathétique. C'était d'ailleurs très souvent que l'on comparait le tout à une prison. Parce que ce n'était pas vraiment par choix que l'on venait étudier ici. Plutôt par obligation. On l'utilisait pour les "garçons perturbés". Du moins, c'est ce que tout le monde en disait. Personne de l'intérieur ne le ressentait vraiment. Qu'est ce que c'était être perturbé ? Ils étaient fous ? Pourquoi ? Aucune idée. Tout ce que savait Samuel c'était que personne ne cherchait à comprendre ce qui se passait réellement ici, dans un endroit fréquenté par aucune "personne normale". Selon les critères d'admission. Vous savez, ceux qui font que l'on range chacun dans des boîtes différentes allant d'enfant normal, à élève à difficulté tout comme par élève plus que perturbé. Sauf qu'ils faisaient tous partis de la dernière catégorie. La pire il paraissait mais, vu qu'ils ne connaissaient rien d'autre et bien ils s'en contentaient. Ils se disaient que c'était mieux qu'absolument rien. Ils en devenaient fiers. Mais personne n'était dupe. Surtout pas lui.

On disait aussi du pensionnat que s'en était une prison pour ses règles strictes. Personne ne devait les enfreindre et elles faisaient d'ailleurs parties des fondements mêmes de l'établissement. On y retrouvait beaucoup de chose sur le travail, la rigueur et la persévérance. Chaque matin, lors de la première heure de cours, chaque classe se devait de lire les dix commandements et de les respecter. Au risque d'être puni si ce n'était pas le cas. D'ailleurs elles étaient vastes, ici, les punitions. Allant des coups, des journées dans le sous-sol ou bien aux corvées de ménages qui n'en finissait plus. Le jeune homme du haut de ses 16ans subissait déjà tout cela régulièrement. Cela faisait plusieurs années que le pensionnat essayait de l'avoir, de le réduire au format de poussière et de lui grignoter le cerveau jusqu'à ce que celui ci devienne aussi liquide qu'une compote. Lui, restait là, debout, fier, de mener la vie dure à ses compagnons d'infortunes, aux employés, aux surveillants, au directeur mais surtout à sa mère. Il l'aimait mais ressentait une haine absolue tel qu'il était presque impossible d'exister. Elle l'avait abandonné dans ce trou à rats formulant avec ferveur que toutes ces années de galère, à moisir ici étaient pour son propre bien. Celui de se construire une véritable vie. Comme son père l'aimerait. Mais bon sang qu'est ce qu'il s'en fichait de son cher papa ! Elle devrait faire de même. Il les a quitté tous les deux sans aucun remord. Sans un dernier au revoir. Sans aucune hésitation. Comme s'il mettait au sale une paire de chaussettes ou qu'il venait de jeter un mouchoir utilisé à la poubelle. Si lui s'en fichait alors Samuel se fichait de ce qu'il pouvait bien penser de lui et de son avenir déjà pourri. Il en était certain. D'ailleurs rien que la mention d'étudiant dans le pensionnat Welligton sur son dossier lui donnait le droit à une future vie misérable comme il le méritait. De toute façon, qu'est ce qu'il s'en fichait !

Samuel avait quand même le droit à du réconfort de sa mère lorsque celle ci venait pour les visites mensuelles des parents, pour ceux qui en avaient encore. Pourquoi le laisser ici alors qu'elle en avait de la peine ? Stupide. Il ne la comprenait pas et ne voulait pas de sa pitié mais il ne disait rien préférant dans ces moments là, la laisser le serrer fortement dans ses bras. En effet, il restait toujours son enfant avec son adorable visage d'ange. Ne vous fiez pas à ça cependant, les apparences sont trompeuses. Surtout avec lui. Tout le monde était au courant ici, sauf Alison, sa chère et tendre maman. Le masque n'était pas encore tombé avec elle et de toute façon même si c'était le cas, que pourrait-elle faire ? Le changer était devenu impensable et le sortir d'ici tout aussi inimaginable. Ainsi, il restait. Entre quatre vieux bâtiments tous plus rustique les uns des autres sans compter le stade et le gymnase qui risquait de prendre feu à tout moment tant l'endroit était dévasté. Aucune des normes de l'Etat n'était prise de rigueur. Eau froide, été comme hiver. Aucun chauffage. Des fenêtres brisées ici et là. Des bouts de parquets qui se retiraient. Des morceaux de toits qui n'étaient plus en place. Un grillage plus qu'en fin de vie et on en passait. L'endroit faisait penser à une vieille bâtisse à rénover de haut en bas, de gauche à droite et même en diagonale. A moins qu'elle ne soit plus jamais réutilisable. Vu l'état c'était envisageable. De toute façon, il fallait déjà y accéder puisque le chemin était presque inutilisable et rares étaient les personnes qui y venaient. En plus, la forêt qui bordait chaque endroit du pensionnat entier était absolument digne d'un film d'horreur. Silencieuse pour les hommes. Bruyante pour toutes les bêtes possibles qui s'y emmagasinait. Obscure. Pleine de légende sordide et de faits réels qui en laissait plus d'un bouche bé, terrifié toutes les nuits, se roulant sur son lit et en criant à cause de cauchemars. Samuel aimait ces histoires. C'était d'ailleurs souvent lui qui les racontait aux nouveaux. Lui qui les terrifiait mais surtout lui qui les renvoyait. Son record en date était de deux heures et il en était fier. C'était aussi une des raisons pour lesquelles ces quatre camarades de dortoir le lassait tranquille. De toute façon, ils n'étaient pas bien impressionnant. On y retrouvait tout d'abord Franklin alias Frank parce qu'il faut avouer que Franklin c'était tout de même assez naze. Cela lui allait bien. Il n'était pas rare que l'on se demande pourquoi celui ci avait atterri ici. Minuscule par sa taille et sa carrure, naïf du haut de ses 14ans, il n'en restait pas moins le gars le plus à cheval sur le règlement, n'hésitant jamais pour balancer la première personne qui en franchit les limites. Voilà pourquoi on le retrouvait souvent dans un placard. Il y passait facilement et un rouleau de scotch ainsi que l'ultime menace de massacrer ses devoirs le faisait souvent taire. Après Franck, on retrouvait Mathieu, rondouillard, toutou du premier venu, suiveur avant tout. Il suffisait d'une sucette et vous l'aviez dans la poche. C'est juste que niveau conversation si vous ne parliez pas de cuisine alors vous êtes foutu et vous descendiez bien bas dans son estime. Peu importe. Il y avait aussi les jumeaux : Benjamin et Thomas. Identique pour tous les points mais seulement au niveau du physique. Il fallait souvent être avec eux pour espérer les reconnaitre un jour. Pourtant, niveau caractère c'était le feu et la glace, le ciel et la terre, l'eau et l'air. L'un calme et travailleur, l'autre hyperactif et paresseux. On ne trouvait pas pire opposé que ces deux là même en cherchant bien. L'un toujours à éviter Samuel, l'autre toujours avec. L'un le détestant, l'autre admirant. Puis, il y avait un lit vide et le sien. Une chambre de six comme on n'en trouvait dans les deux bâtiments faisant office de dortoirs. Ils se faisaient face, séparés pourtant par une cour où les mauvaises herbes régnaient sur tout le reste. Tout était laissé à l'abandon. Le pensionnat. Les élèves. Lui.

Samuel commençait à enfiler son uniforme avant d'aller en cours de mathématiques. Il commençait par remonter ses chaussettes jusqu'au milieu de ses mollets puis glissa son short gris qui descendait juste au dessus de ses genoux. Il continua ensuite par boutonner sa chemise blanche de haut en bas puis fit glisser le long de ses bras sa veste qui était de la même couleur que son bas. Il continua en plaçant autour de son cou une cravate qu'il ne nouera pas. Il détestait cette formalité et le faisait bien comprendre. Il se baissa ensuite afin de nouer ses chaussures brunes, usées par ses longues et habituelles promenades dans la forêt malgré cette interdiction. Une fois tout cela terminé, il partit coiffer rapidement ses cheveux châtains grâce à une seule de ses mains et à l'unique miroir de la chambre. Il rejoint Ben qui était sur le pas de la porte, les mains dans les poches puis ils descendirent les escaliers tous les deux, l'un à côté de l'autre. Ils partirent derrière leur dortoir comme toujours sans prendre le chemin des autres garçons. Ils se mettaient à chaque fois à l'emplacement là puisque le passage y était infime. La peur de se faire prendre n'était pas présente mais ni l'un ni l'autre ne voulait abandonner ce moment matinal où tous deux pouvaient fumer tranquillement. Si quelqu'un les surprenait alors il serait plus difficile de recommencer une nouvelle fois. C'est ainsi qu'ils se mirent assis épaule contre épaule puis que Samuel plaça une cigarette entre ses fines lèvres. Il fit de même avec son compagnon d'infortune et alluma les deux, l'une après l'autre grâce à son unique briquet, volé dans le bureau du directeur quelques semaines auparavant. C'était un bien précieux ici. Alors dans le silence le plus complet, ils profitèrent du calme et de la sérénité de l'endroit, détruisant peu à peu des parties infimes de leurs corps. Ils s'en fichaient. Ce n'était pas une cigarette qui allait totalement les achever. Il en fallait plus que cela. Ainsi, ils ne faisaient pas ça pour une quelconque raison ...juste comme ça. C'était au début pour essayer. Puis, ils avaient continué car ils aimaient ça. L'odeur. Le goût. C'était un tout. Ils recrachaient la fumée, recommençaient doucement et ainsi de suite. Jusqu'à la fin. Samuel avait fermé les yeux, la tête en arrière appuyé contre le mur derrière lui. Plus que quarante-quatre semaines avant la fin des cours. Plus que quarante-quatre semaines avant de quitter pour huit semaine ce pensionnat et être de nouveau libre grâce au peu d'autorité qu'avait sa mère. Il en profitait à chaque fois, un peu trop, pour faire ce qu'il avait envie, pour s'amuser. Il se savait la prunelle des yeux d'Alison, il savait qu'elle ne lui refuserait rien, même si elle ne voulait pas tout au fond d'elle. Un seul regard, un sourire angélique comme il pouvait si bien le faire et sa gueule d'ange faisait le reste, elle cédait. Enfin, assez parlé de sa mère. Ben et Sam se relevèrent après une dizaine de minutes sans un regard ni un sourire vers l'autre. Cela n'avait jamais été ainsi avec eux bien qu'ils s'appréciaient mutuellement. D'ailleurs, ce dernier, se rendait à son cours de maths en trainant des pieds. Cela n'avait jamais été sa matière favorite et encore moins maintenant. En plus, pour calmer son trop plein d'énergie, son cher professeur l'avait placé au premier rang à côté de cet imbécile d'intello de Franklin. Il ne parlait pas, levait la main sans cesse, balançait quand il copiait, le grondait pour ne pas réciter les dix commandements, informait quand il oubliait ses affaires ou son devoir et bientôt cela serait même pour avoir lever les yeux au ciel après une énième remarque. Stupide enfant ! Il soupira d'avance et rentra dans le bâtiment terne et gris qui faisait ressentir à chacun que vous êtes bien plus jeunes que les lieux. Voilà une bonne chose ! Bon la mauvaise restait toujours au niveau des normes et de la sécurité mais peu importe, aucun accident majeur n'avait été à déclarer jusque là. Il claqua la porte ce qui donna un bruit qui se mit à résonner à travers chaque parcelle du mur puis traversa les couloirs et monta les deux étages pour arriver à sa salle de cours. Il était en retard. Cela ne changeait pas. Il s'en fichait. Il en était à son deuxième depuis la rentrée qui datait de la veille. Ainsi, cela voulait dire que la prochaine fois cela serait corvée de ménage pour au moins une journée. Comme toujours. C'était d'ailleurs préférable que de passer la journée enfermée entre quatre murs et en plus, personne ne le surveillait jamais puisque tant que c'était effectué alors tout allait pour le mieux. Du mois, cela fonctionnait ainsi jusqu'à ce que le directeur ne s'en rende compte. Les règles comptaient pour lui. Pas pour Samuel. Bien au contraire. Ce qu'il préférait, c'était braver les interdits. D'ailleurs, il ne le savait pas encore mais cette année, il le ferait bien plus que les autres. Même contre son gré. Il s'en rendrait compte par la suite.

Malgré les interdits.Where stories live. Discover now