Débarrassé

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Et pour la première fois, je souris, du plus que je peux, tandis que cette lame sort de ta chair, ensanglantée. Ton corps mutilé et sans vie dégage une odeur âcre et métallisée, celle du sang, qui coule à flot sur mes draps blancs. Derrière mon masque de porcelaine, je souris, je jubile d'avoir pu faire de toi une œuvre, mon œuvre. Tu étais bien trop naïve pour te douter de ce que j'aurais pu te faire, de cette face cachée totalement horrible qui subsiste en moi. Lorsque j'ai approché cette lame de ton visage, y as-tu cru ? Non. Bien sûr. Tu es comme tous ces autres, qui me croient incapable du pire comme du meilleur. J'ai pris grand soin de choisir une lame parfaitement aiguisée, lisse et pure, pour trancher ta peau si sale, et si dégoûtante. Bien que tu fus dans un état lamentable de faiblesse, j'ai pris soin également de t'attacher soigneusement, au cas où un brin d'intelligence te traverserait l'esprit. J'ai mis un peu de Beethoven pour m'accompagner. « Für Elise », ma préférée, et la tienne aussi, je crois bien. Pour commencer, j'ai délicatement fait danser la lame sur ton visage apeurée de petite fille, j'ai vu la peur dans tes yeux, j'ai vu ce « pourquoi » revenir des centaines de fois à la seconde. Mais tu ne pouvais dire mot. Je ne voulais pas être dérangée dans mon travail minutieux, alors ce bandeau qui s'emplit de ta bave restera dans ta bouche. Je fis d'abord le tour de tes yeux qui ressemble aux miens, mais j'ai trop envie de te voir pleurer, alors j'attendrais un peu avant d'attaquer ceux-ci. Je descendis alors, atteignis ton nombril, traçai un cercle autour de celui-ci et enfonçai la lame doucement, sans même avoir besoin de forcer. Le feu grandit alors en moi, voyant ce liquide s'échapper de ta plaie. L'envie grandissante de continuer me prit d'assaut, ma lame s'enfonça de plus belle, te créant des lésions un peu partout sur le corps, une petite dizaine de plaies, comme des petites morsures. Je trouvais ce spectacle beau, et qu'importe si tu souffrais. Tu gémissais, et des larmes coulaient à flot de tes yeux cernés et ternes. Ton sang giclait de partout, et mon masque changea de couleur, comme s'il était épris d'une puissance inconnue, comme s'il était guidé par des démons, d'horribles démons. C'est eux qui m'obligent à faire tout ça, au fond. Ils m'accompagnent dans cette valse dangereuse. Je remonte mon couteau, au niveau de ta poitrine déformée. Tu ne ressembles vraiment plus à rien, et te contempler me donne envie de vomir. La seule façon de ne plus ressentir ça est de pénétrer, une fois de plus, la froideur de l'arme dans ta chair décomposée. Déchirer ta peau, la sentir se décoller après mon passage. Remonter ainsi, en forçant chaque fois un peu plus, jusqu'à ta gorge, et d'un coup net et précis, tout arracher. J'y mettrais bien les mains, mais tu ne mérites pas que je te touche directement. Même si cette idée m'avait traversé l'esprit, de t'empoigner ton cœur, ton petit organe qui ne t'est d'aucune utilité, et de l'arracher moi-même, avec mes propres doigts frêles tachés de ton sang. Et pourquoi pas même l'arracher avec les dents. Mais bon, je me contenterai d'y fourrer ce que j'ai sous la main, en prenant garde bien évidemment de ne pas rater mon coup. Mais avant de s'attaquer au cœur, je m'y prendrais à tes jambes, tes cuisses, car j'aime te voir pleurer toutes les larmes qu'il te reste, et tu cries, et la musique s'amplifie, alors tu cries encore plus fort, tu pries pour que quelqu'un t'entende, mais tu es seule, seule face à moi, et je n'entends que les notes, que cette symphonie enivrante qui me redonne de la force pour continuer ce ballet auquel tu participes, immobile. Tu pleures, tu suffoques, tu rassembles tes dernières forces pour tenter de t'enfuir mais en vain. Un léger filet de bave s'écoule de ta bouche. Je t'ai noué les bras et les jambes en l'air, comme si tu représentais une étoile. D'ailleurs c'était un peu le cas, avant. C'était comme cela que je te voyais. Et maintenant, tu es dans cette position, et tu as peur. Je le lis dans tes yeux. Mais tu me fais bien trop pitié, tes yeux reflètent quelque chose que je n'aime pas, ils reflètent tout ce que tu es, en fait. Alors, retour à la case départ. Maintenant que tu es entaillée de partout, le sang coule encore, par litres, mais qu'importe, mon masque me protège des éventuels démons qui m'en voudraient pour t'avoir charcutée ainsi. Parce que oui, c'est le mot. Charcutée. Tel un vulgaire morceau de viande à l'abattoir. La musique m'accompagne toujours derrière moi, les notes sonnent toujours plus fort, d'une puissance infinie, tandis que je trace un cercle fin autour de tes globes oculaires, tandis que ma lame s'enfonce petit à petit, jusqu'à sentir la peau craquer, jusqu'à voir cette vague rouge m'entourer, glisser sur mes mains, et cette odeur âcre qui me monte aux narines, me faisant frissonner de plaisir. Un plaisir pervers, certes, mais personne ne peut comprendre. Personne n'a jamais été à même de comprendre quoi que ce soit dans mon comportement. Tu convulses désormais, tu gémis, tu ne ressembles plus à rien. Cependant, je me demande si tu n'es pas plus belle qu'avant. Dans cette robe rouge qui te borde, qui suit les courbes cassées de ton corps usé. Je porte une main à ma bouche, et ce goût de métal fit naître en moi quelque chose d'encore inconnu jusqu'à présent. J'ai fermé mes yeux, je me suis laissé envahir par la musique, toujours Beethoven, et cette puissance. Mon sourire ne désamplifiait pas. Tu m'as vu naître, je te vois mourir. Je te vois, agonisante, tordue de douleur, victime de ma folie haineuse, victime de tes choix, au final. Victime, proie, d'un prédateur incontrôlable, de moi. Et le disque prit fin, et ma danse aussi par la même occasion, et dans la minute qui a suivi, tu t'es totalement éteinte. Enfin. Tu n'imagines pas le bien fou que je ressens désormais, comme purifiée, lavée de toutes mes idées noires, de tout ce qui me bouffait jusqu'à présent. Débarrassé de toi...Maman.

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