L'Essaimeuse

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« Agent immobilier » n'est pas censé être un métier à risques, songeait Axel Hus en jetant un regard inquiet vers la maison devant laquelle il attendait. Il sortit une cigarette de la pochette attachée à sa taille et l'alluma machinalement puis s'adossa à un arbre proche, soulagé par le picotement familier de la nicotine dans sa gorge.

La petite bicoque avait toujours paru un peu penchée. Du temps de l'ancien propriétaire, le lierre qui la rongeait lui donnait un air désuet qui, aux yeux de certains acheteurs, présentait quelque charme.

Mais, suite aux derniers évènements, Axel ne pouvait s'empêcher de trouver le bâtiment lugubre. Ses pierres usées semblaient désormais se déchausser comme de vieilles dents. Les fissures qui parcouraient la façade paraissaient sur le point de la réduire en miettes. On eut dit que seule la végétation gardait encore la maison en un seul morceau.

Axel s'amusa à faire quelques ronds de fumée pour passer le temps, jusqu'à ce qu'un coup de vent fasse taire les animaux alentour et plonge ce petit coin de forêt dans le silence. Mal à l'aise, l'agent immobilier se tourna face à la maison, scrutant ses alentours comme si un monstre pouvait soudain surgir de sous une pierre.

Deux personnes venaient de mourir dans cette maison, l'une après l'autre ; ce n'était pas l'endroit le plus agréable pour attendre une inconnue.

Au bout du fil, Brune Imker lui avait paru un peu froide, mais assez jeune. Axel trouvait étrange qu'on pratique ce métier à son âge ; pour lui, c'était plutôt un travail de vieux, issu d'un autre âge. Elle avait simplement répondu qu'elle faisait partie d'une entreprise familiale, comme si cela expliquait tout. Il se demanda si elle débarquerait dans un corbillard, habillée entièrement de noir et couverte de symboles religieux. Cependant, le devis qu'elle lui avait envoyé semblait correct, et il n'aurait à tout payer que si l'exorcisme se révélait concluant. Il n'avait pas grand-chose à perdre, d'autant plus qu'il lui tardait de vendre enfin cette satanée maison.

*

Elian n'avait pas remarqué tout de suite que son agent immobilier attendait à l'extérieur. En temps normal, il l'aurait invité à venir prendre un verre et en aurait profité pour prendre des nouvelles. Discuter lui manquait. Lui qui avait toujours aimé parler aux gens, voilà qu'il ne parvenait même plus à mettre un pied dehors. Il passa devant un miroir vide pour se poster à la fenêtre et regarder Axel allumer une deuxième cigarette. Il semblait nerveux et dut s'y reprendre plusieurs fois. Qui attendait-il ? Personne n'était revenu depuis l'enterrement.

Il sursauta lorsque le bruit d'un moteur retentit soudain au détour de la route. C'était un van blanc frappé d'un logo en forme de ruche d'abeilles et du nom « Schwarmsgebläse », qui ne signifiait rien pour lui et semblait plutôt difficile à prononcer. La fourgonnette paraissait ancienne et sale mais, à en entendre le moteur, bien entretenu. Elian s'approcha autant que possible de la vitre, en prenant bien soin de ne pas s'y coller, pour mieux voir.

« Voir » était un bien grand mot. Depuis son accident, il évoluait dans un monde trouble. C'était comme ouvrir les yeux sous l'eau : il percevait les mouvements de la lumière et la réverbération des voix, mais ne parvenait plus à distinguer les détails. Comme dans un souvenir.

La conductrice qui sauta à terre portait de grosses bottes, qui heurtèrent le sol avec un son mat, et un épais manteau noir qui absorbait la lumière. Elle salua à peine Monsieur Hus avant de partir vers la maison, son visage (Elian le ressentait plus qu'il ne le voyait) restait résolument fermé.

Axel dut trottiner à côté d'elle pour ne pas se laisser distancer, car elle marchait à grands pas et semblait désormais ignorer sa présence. « On ne devrait peut-être pas foncer tête baissée ? »

La Souffleuse d'essaims [ 1ere version ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant