L'Album

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Brune alla chercher deux sacs dans son van avant de revenir dans la maison, où elle les jeta sur le canapé en même temps que son manteau. Elle ferma la porte à clef avant de retirer son débardeur et d'envoyer valdinguer ses bottes.

« C'est, euh... une manière de s'installer », dit Elian en la voyant arracher ses chaussettes et les lancer sur le sofa.

« Où est la douche ? »

« À... l'étage. Mais, hum... »

« Si tu me déranges, je t'exorciserai avec autant de douceur qu'un volcan en éruption. »

Elian n'eut pas le temps de répondre : Brune avalait déjà les marches de l'étage en déboutonnant son jean.

Il passa ensuite l'heure (les heures ?) la plus longue de sa... mort. Était-il vraiment mort ? Il lui semblait bien s'être noyé. Il avait vu les pompiers emmener son corps. Mais il était présentement assis (techniquement assis) sur un canapé. À côté d'un débardeur froissé qui, s'il se fiait à l'odeur vague qui lui parvenait, avait été porté plusieurs jours consécutifs. Un peu dégouté, il eut le réflexe malheureux de vouloir le pousser au sol mais, évidemment, sa main passa au travers. Il lui était encore très difficile de déplacer quoi que ce soit. Il lui fallait concentrer toute son attention sur l'objet qu'il tentait de mouvoir, au point d'avoir l'impression que son corps disparaissait ailleurs qu'au point de contact. La sensation le mettait extrêmement mal à l'aise et, à vrai dire, le terrifiait. Il n'était absolument pas prêt à être exorcisé.

Il se leva, décidé à fuir. Puis se rassit en se rappelant qu'il ne pouvait pas quitter la maison. Chaque fois qu'il avait essayé d'en franchir le seuil, il lui avait semblé que le monde extérieur cherchait à l'aspirer pour le faire exploser en un million d'étoiles. Y penser lui donnait des frissons.

L'exorciste mettait vraiment du temps à revenir. Peut-être qu'elle avait glissé sur le savon et gisait morte sur le carrelage froid de la salle de bain ? Peut-être que le chauffe-eau avait fait des siennes et l'avait ébouillantée. Elian étudia ces possibilités et en arriva à la conclusion qu'aucune d'entre elles ne faisait sens. S'il décidait d'aller jeter un oeil, il lui faudrait se montrer honnête avec lui-même : il n'avait interagi avec personne depuis son décès, et cela faisait plus de deux heures que la seule personne qui le voyait encore avait disparu à l'étage.

Il voulait lui parler.

Il ne tenait cependant pas à mourir (à nouveau) dans d'atroces souffrances et se résolut à pénétrer dans la salle de bain les yeux fermés (en signe de bonne foi). Inutile d'essayer de frapper à la porte ou de l'ouvrir : il n'avait pas assez de force. Par contre, il avait appris un tour durant ses dernières semaines de réclusion en tant que fantôme. Fermant les yeux, il fit de son mieux pour se détendre puis se concentrer, jusqu'à ressentir l'environnement autour de lui.

En tant que spectre, il ne percevait plus quoi que ce soit comme il le faisait de son vivant. Le monde n'était plus qu'une sorte de souvenir intense que son imagination parvenait à recréer lorsqu'il y prêtait suffisamment attention. Mais s'il oubliait un instant que, par exemple, le sofa se trouvait à tel endroit dans le salon, il pouvait passer au travers comme si l'objet avait totalement disparu. De nombreux bibelots avaient ainsi été effacés de sa maison en même temps qu'ils quittaient sa mémoire, et c'était pire depuis qu'il avait tenté de sortir. Comme si l'univers avait arraché une partie de lui-même en plus de l'affaiblir.

Cependant, l'énorme inconvénient d'être mort présentait un petit avantage : il pouvait désormais flotter. Voler, pour être plus précis, bien qu'il ait trop peur pour s'aventurer à l'extérieur. Pour l'occasion, il se contenta de laisser son corps spectral arrêter de prétendre qu'il se tenait solidement ancré sur le sol de son rez-de-chaussée pour s'élever jusqu'à l'étage. Il rouvrit les yeux alors que ses chevilles traversaient le plancher et grimaça. Il avait passé deux jours entiers à s'amuser à ce jeu avant de s'en lasser mais ne le maîtrisait pas encore.

La Souffleuse d'essaims [ 1ere version ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant