Chapitre 3 La grand-place

9 1 2
                                    

Je sors du bâtiment, toujours incapable de bouger. Les deux hommes me balancent dans une camionnette identique à celle d'hier soir. Je suis étendu sur le sol, m'imaginant sur la grand-place à hurler de douleur. Les miliciens me redressent et me font m'asseoir sur la banquette en fer de la camionnette. Ils s'installent en face de moi et me fixent, la main posée sur leurs tasers de peur que je ne recommence ma petite folie d'hier soir. Mais je suis trop pétrifié pour faire ne serais-ce qu'un seul mouvement. Après cinq minutes d'attente insupportables la camionnette s'arrête. Les portes s'ouvrent. Tous le monde me regarde. Les Modestes avec un air attristé et les riches, avec un air de contentement malsain. C'est là que je vois Victoria, les larmes aux yeux, me regardant. Elle gigote, comme si quelque chose l'empêchait d'avancer. Je me rends compte que c'est Kurt qui la retient de courir vers moi. Kurt, c'est mon meilleur ami depuis près de 6 ans. Je l'ai rencontré à la Galerie, il avait volé une miche de pain pour nourrir sa famille. Il était amaigri par la faim et avait beaucoup de peine à fuir les miliciens qui le talonnaient. Connaissant déjà ce sentiment de panique pendant une fuite j'eus pitié de lui et décidais de l'aider. Je l'ai laissé passer et j'ai pris un bijou posé sur l'échoppe la plus proche. Ce bijou, je l'ai utilisé pour narguer les miliciens, pour qu'ils me poursuivent. Et c'est sans peine que je les semais, il faut dire que je connais tous les passages,  toutes les cachettes, tous les cul-de-sacs de la Galerie par coeur ! Après les avoir semer je retournais dans la Galerie redonner le bijou, il ne m'était d'aucune utilité. Je chassais déjà pour nourrir ma famille et voler ce bijou ne m'aurais attiré que des ennuis. En sortant de la Galerie je croisais Kurt, tout essoufflé :

-  Merci mec, t'es... t'es...un vrai pote ! Moi c'est... c'est... Kurt Devis. Et toi, c'est... quoi ton nom ?

-  Enchanté Kurt, moi c'est Demon Gray !

Après ça nous étions comme des frères. Lorsque l'un des deux avait besoin d'aide l'autre était là quoi qu'il arrive. Avec Vic nous étions le trio d'enfer !

Pour eux je décide de prendre mon courage à deux mains. Je me redresse, tête haute, j'avance avec les miliciens à mes côtés. Ils me tiennent les bras avec une force vigoureuse. Cela m'énerve j'essaye de m'enlever de leur emprise. Ils relâchent un peu mais me tiennent toujours. Je vois la grand-place qui se rapproche, je n'ai aucun espoir de fuite. Je décide d'accepter mon sort. Arrivé au milieu de la place les deux miliciens me détachent les mains afin de me fixer aux deux poteaux. J'ai les bras ouverts, comme si je me préparai à recevoir une étreinte. Mais la seule étreinte que je vais recevoir c'est celle de la souffrance, je m'en rends compte lorsque je reçois le premier coup de fouet. Un grognement m'échappe, les larmes me montent aux yeux et j'entends un cri dans le public. C'est Victoria. Je tourne la tête et je la vois, terrorisée en train de pleurer. Je lui souris. Je n'aime pas la voir dans cet état là, elle ne mérite pas de souffrir.

Les coups pleuvent sur mon dos. Au début je poussais des grognements, ne voulant pas hurler et passer pour un faible, mais maintenant je suis trop épuisé pour émettre n'importe quel son. Tout se qui sors de ma bouche ne sont que de simples gémissements presque inaudibles. Mon hypothèse d'hier soir se confirme, je reçois plus de vingt coups. Je ne sais pas combien exactement car je m'évanouis au trente-cinquième. Je ne suis pas complètement inconscient mais je suis dans un autre monde, comme plongé dans mon esprit. Je ressens toujours la douleur, j'entends toujours les petits cris de Vic. Aucune évasion possible... Je pense alors à Vic. 

Je pense à elle et à tout ce qu'elle a pu endurer ces dernières années. La mort de son père. Nos deux pères étaient amis, ils se battaient ensemble. Ils se donnaient souvent rendez-vous dans notre salon pour discuter des affaires de la rébellion, des prochaines interventions et des plans de combats. Ils étalaient leur carte et discutaient autour pendant des heures. Je ne comprenais pas à quoi tous cela servait, j'étais bien dans ma petite maison avec ma famille au complet. J'ai ouvert les yeux à la mort de mon père, son combat était désormais le mien. Ils ne se battaient pas pour leur propre petite personne, mais pour le peuple et contre les injustices qu'il subissait jour après jour. Le père de Vic a été anéanti à la mort de son acolyte et meilleur ami. Il s'ai mit à boire, il frappait sa femme et ses enfants sans s'en souvenir le lendemain. Il fut effrayé par ce qu'il devenait, voir sa famille le fuir de peur de se faire cogner était insupportable pour lui. Il s'est alors mit à attaquer des miliciens. Personne ne comprenait, pourquoi faisait-il ça ? Jusqu'au jour où des hommes armés sont allés le chercher une nuit alors qu'il dormait. Le lendemain il fut exécuté devant la ville entière mais avant qu'il ne soit guillotiné  il a crié  "ENFIN LIBRE !".  La lame s'est abattue et la mort est venue.

A ce moment je pensais que c'était par pur égoïsme, qu'il avait hurlé ça, qu'il pensait à sa liberté. Mais maintenant avec un peu de recule et l'ayant bien connu avant sa descente aux enfers, il hurlait pour sa famille. En se sacrifiant il pensait les libérer de lui et de sa violence. Après mon père, ce fut l'homme le plus courageux que j'ai connu.   

Les coups s'arrêtent subitement. Après la souffrance vécue je ressens une autre douleur, moins intense mais constante et insupportable. C'est comme si mon dos brûlait, prenait feu. Les picotements que j'éprouve un peu partout sur les blessures sont horribles. Il fait noir, je me sens si seul.

Des bras me soulèvent pour me glisser sur une planche qui sert de brancard. Je suis toujours dans une sorte d'inconscience, j'entends les paroles des gens tout autour de moi sans les comprendre, je sens les mains me maintenir sur la planche et bien sûr, la douleur. Ils se mettent à trottiner pour aller plus vite, je suppose que je suis en train de me vider de mon sang. Ils vont sûrement m'emmener chez moi pour que ma mère s'occupe de mes blessures.


Le sacrifice UltimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant